mardi 1 juin 2010

C'est qui, ils?

"D'ailleurs c'est pas seulement la Sécu, Messieurs-dames. La Sécurité sociale c'était seulement un exemple au hasard : il y en aurait des centaines d'autres. De tous les côtés, Ono, chère Ono, sage Ono, soyeuse Ono, de tous les côtés notre vie est prise en mains, planifiée, normalisée, réglementée, prévue, soumise.
(...)
Ce que la société supporte de plus en plus mal, et même ce qu'elle essaie de faire disparaître par tous les moyens, c'est l'individu, l'indépendant, le voyageur solitaire.
(...)
...je parle de la campagne elle-même, de la vraie campagne, là où personne vous voit, justement; de l'espace, du territoire, oui, je ne trouve pas d'autres mots : la nature, si tu préfères, les champs, les bois, les landes, les endroits vides. Les endroits vides, il y en a de moins en moins et bientôt il n'y en aura plus du tout. Et le peu qu'il en reste est réglementé de tous les côtés, viabilisé, cadastrisé, aménagé ou je ne sais pas quoi, avec des panneaux et des flèches partout qui te disent où aller, où ne pas aller, pour que partout tu sentes bien que tu es prévu, que ton cas est déjà connu de leurs services, que tes maîtres sont passés par là, qu'ils sont là, qu'ils te surveillent, et que la liberté que tu crois avoir c'est celle qu'ils ont décidé de te laisser, l'illusion que tu es libre. C'est vrai, tu as raison. La campagne ce n'est plus la liberté. Elle est comme la vie, elle est maillée, elle est enserrée de tous côtés : c'est pour ça que les espèces disparaissent l'une après l'autre, elles n'ont plus assez d'espace. Moi je suis une espèce qui disparaît. On est pris dans un réseau de routes et de règlements qui font qu'en s'éloignant d'une contrainte on ne fait jamais que se rapprocher de la suivante, la plus proche, qui tous les jours un peu plus proche, plus serrée. Alors oui, pour essayer de se dégager on se précipite en ville, tu as raison, on va se noyer dans la masse. Mais c'est justement ça qu'ils veulent : qu'il n'y ait plus que des masses, de la masse, pas d'individus.
- Ils..., ils..., ils..., ils... Tu dis toujours ils. C'est qui, ils?
- C'est tout le monde, c'est personne, c'est toi, c'est moi, c'est n'importe qui. La tyrannie n'a plus besoin de tyran, la dictature tourne très bien sans dictateur. Quand tous les individus sont noyés dans la masse, l'oppresseur n'est pas un individu, c'est la masse. Et elle n'a pas besoin d'exercer l'oppression : elle l'est.
("Loin", Renaud Camus)

Lire en plus :
Notes de Répliques avec Renaud Camus
Ce texte de Kundera
Cette réflexion sur la notion de territoire et de destination.

4 commentaires:

  1. J'ai lu, mais de travers, et juste parce que j'aimerais bien bien qu'on se revoie, un de ces jours...

    Enfin, bon...

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  2. Ben ouvrez votre boite-mail, il devrait normalement y avoir un message...

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  3. "l'oppresseur n'est pas un individu, c'est la masse", mais avec l'assistance du droit, d'un droit tordu, détraqué, perverti par une fausse morale de la solidarité.

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  4. Ce qui m'intéressait, c'est que ce discours se trouve dans un roman...

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