« Je crois que l’Occident vit ce que les pères du
désert ont appelé la tentation du démon de midi, celle qui advient au milieu de
la journée, quand la chaleur est la plus pesante. On l’appelle l’acédie. C’est
une forme de dépression, un relâchement, une lassitude spirituelle.
(…) la tradition spirituelle et monastique définit l’acédie
comme une tristesse qui s’empare de l’âme devant ce qui devrait être son plus
grand bonheur : la relation d’amitié avec Dieu. Elle attaque la joie qui
doit caractériser l’âme dans sa relation avec Dieu. L’âme ne se réjouit plus de
connaître et d’aimer Dieu. Cela l’ennuie, la dégoûte, lui pèse. Elle
préférerait autre chose. Quoi ? N’importe quoi ! Tout plutôt que Dieu.
(…) Dans la tradition, les maîtres ont appelé acédie un tel
manque de foi. J’irai pour ma part encore plus loin. Le mal qui caractérise la
société occidentale est une tristesse consciente d’elle-même. L’Occident se
refuse à aimer. Je crois que c’est infiniment grave. Il tue en lui-même le
moteur de toute spiritualité : le désir de Dieu. Devant la grandeur
enivrante de l’appel de Dieu à la sainteté, l’homme occidental se replie sur
lui-même. Il fait la moue. Il refuse de se laisser attirer. Il choisit de
rester dans la tristesse et refuse la joie que Dieu lui offre. (…) La
dépression a gagné le cœur de l’homme d’Occident. Elle s’y est installée et
elle distille son dangereux venin.
(…) L’histoire de l’Occident nous est racontée dans l’Evangile
à travers l’épisode de l’homme riche (Mc 10, 17-31). Ce dernier cherche la vie
éternelle. Son cœur est rempli du désir du bonheur. Il respecte les
commandements. Il est la figure de l’Occident chrétien de la première moitié du
XXè siècle, généreux et plein de grands désirs. Cet Occident a envoyé des
missionnaires dans le monde entier. Et, de lui, on peut dire ce que l’Evangile
dit de l’homme : « Jésus, posant son regard sur lui, l’aima »(21),
et le Seigneur ajoute, l’invitant à partager sa joie suprême et à le suivre de
plus près : « Une seule chose te manque, va, vends tout ce que tu as,
donne-le aux pauvres puis viens et suis-moi » (21). Jésus offre à l’homme
d’entrer dans son intimité. L'Évangile conclut : « Mais lui à
ces mots devint sombre et s’en alla tout triste car il avait de grands biens »
(22). Voilà l’histoire de l’Occident. Il a refusé au dernier moment de tout
donner. Il a calé devant le sacrifice suprême. Il a eu peur, retenu par ses
richesses. Alors il a sombré dans la tristesse.
(…) L’acédie a trois conséquences qui sont les marques de la
société occidentale contemporaine : la torpeur, l’aigreur et la fuite dans
l’agitation. (…) Torpeur, aigreur et agitation forment le triptyque tragique de
notre temps.
(…) Les couples sont singulièrement touchés. (…) Souvent,
nos contemporains ne croient même plus qu’il soit possible de s’aimer toute sa
vie.
(…) Saint Thomas d’Aquin dit que le grand remède à l’acédie
n’est pas en nous mais en Dieu. C’est l’incarnation, la venue de Dieu en notre
chair. En effet, puisque le ciel semble si loin et que nous pouvons nous lasser
dans la recherche de Dieu, il est venu lui-même à notre rencontre pour rendre
plus facile notre désir de l’aimer, pour rendre palpable le bien qu’il nous
offre. (…) Le seul remède reste le retour à la prière, car elle est une énergie
et une force intérieures dont la source est Dieu lui-même.
(…) Je voudrais souligner que la persévérance qui permet de
surmonter l’acédie est joyeuse. (…) L’acédie est une tristesse qui semble ne
pas avoir de causes particulières car dans les faits rien ne manque. Elle
atteint le dynamisme spirituel lui-même. Aussi, pour lutter, il n’y a rien d’autre
à faire que d’être fidèle à son engagement, de persévérer dans la prière et se
garder de tout remettre en cause. (…) Rends-moi la joie d’être sauvé »,
dit le psaume 50 (14).
L’Acédie et la crise d’identité, extraits du Cardinal Sarah
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