mercredi 5 juin 2019

"Rends-moi la joie d’être sauvé "



« Je crois que l’Occident vit ce que les pères du désert ont appelé la tentation du démon de midi, celle qui advient au milieu de la journée, quand la chaleur est la plus pesante. On l’appelle l’acédie. C’est une forme de dépression, un relâchement, une lassitude spirituelle.
(…) la tradition spirituelle et monastique définit l’acédie comme une tristesse qui s’empare de l’âme devant ce qui devrait être son plus grand bonheur : la relation d’amitié avec Dieu. Elle attaque la joie qui doit caractériser l’âme dans sa relation avec Dieu. L’âme ne se réjouit plus de connaître et d’aimer Dieu. Cela l’ennuie, la dégoûte, lui pèse. Elle préférerait autre chose. Quoi ? N’importe quoi ! Tout plutôt que Dieu.
(…) Dans la tradition, les maîtres ont appelé acédie un tel manque de foi. J’irai pour ma part encore plus loin. Le mal qui caractérise la société occidentale est une tristesse consciente d’elle-même. L’Occident se refuse à aimer. Je crois que c’est infiniment grave. Il tue en lui-même le moteur de toute spiritualité : le désir de Dieu. Devant la grandeur enivrante de l’appel de Dieu à la sainteté, l’homme occidental se replie sur lui-même. Il fait la moue. Il refuse de se laisser attirer. Il choisit de rester dans la tristesse et refuse la joie que Dieu lui offre. (…) La dépression a gagné le cœur de l’homme d’Occident. Elle s’y est installée et elle distille son dangereux venin.
(…) L’histoire de l’Occident nous est racontée dans l’Evangile à travers l’épisode de l’homme riche (Mc 10, 17-31). Ce dernier cherche la vie éternelle. Son cœur est rempli du désir du bonheur. Il respecte les commandements. Il est la figure de l’Occident chrétien de la première moitié du XXè siècle, généreux et plein de grands désirs. Cet Occident a envoyé des missionnaires dans le monde entier. Et, de lui, on peut dire ce que l’Evangile dit de l’homme : « Jésus, posant son regard sur lui, l’aima »(21), et le Seigneur ajoute, l’invitant à partager sa joie suprême et à le suivre de plus près : « Une seule chose te manque, va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres puis viens et suis-moi » (21). Jésus offre à l’homme d’entrer dans son intimité. L'Évangile conclut : « Mais lui à ces mots devint sombre et s’en alla tout triste car il avait de grands biens » (22). Voilà l’histoire de l’Occident. Il a refusé au dernier moment de tout donner. Il a calé devant le sacrifice suprême. Il a eu peur, retenu par ses richesses. Alors il a sombré dans la tristesse.
(…) L’acédie a trois conséquences qui sont les marques de la société occidentale contemporaine : la torpeur, l’aigreur et la fuite dans l’agitation. (…) Torpeur, aigreur et agitation forment le triptyque tragique de notre temps.
(…) Les couples sont singulièrement touchés. (…) Souvent, nos contemporains ne croient même plus qu’il soit possible de s’aimer toute sa vie.
(…) Saint Thomas d’Aquin dit que le grand remède à l’acédie n’est pas en nous mais en Dieu. C’est l’incarnation, la venue de Dieu en notre chair. En effet, puisque le ciel semble si loin et que nous pouvons nous lasser dans la recherche de Dieu, il est venu lui-même à notre rencontre pour rendre plus facile notre désir de l’aimer, pour rendre palpable le bien qu’il nous offre. (…) Le seul remède reste le retour à la prière, car elle est une énergie et une force intérieures dont la source est Dieu lui-même.
(…) Je voudrais souligner que la persévérance qui permet de surmonter l’acédie est joyeuse. (…) L’acédie est une tristesse qui semble ne pas avoir de causes particulières car dans les faits rien ne manque. Elle atteint le dynamisme spirituel lui-même. Aussi, pour lutter, il n’y a rien d’autre à faire que d’être fidèle à son engagement, de persévérer dans la prière et se garder de tout remettre en cause. (…) Rends-moi la joie d’être sauvé », dit le psaume 50 (14).

L’Acédie et la crise d’identité, extraits du Cardinal Sarah

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