vendredi 9 mars 2012

La journée de Gabrielle



Généralement, j'entends Gabrielle gazouiller dans son lit en montant vers les étages le matin, à sept heures. Jamais on ne l'entend pleurer, c'est toujours un petit pépiement, une parlotte de bébé et elle fait bouger un petit mobile qu'elle a dans son lit et on entend le bruit mélodique de sa voix et du jouet. Alors, en préparant le biberon, je désigne qui le lui donnera, Pierre ou Rémi, qui se disputent tous les matins pour s'occuper de leur petite soeur. Puis, je vais la lever : elle est toujours en travers du lit et s'agite frénétiquement au son de la porte qui s'ouvre, elle sourit largement, bat des cils à cause de la lumière. Je la change, puis c'est biberonnade pendant que je petit-déjeune.

Nous partons ensuite en voiture et elle gazouille pendant la prière ou crie pendant une musique de variété quelconque. Elle aime la musique et la bétaillère.
Après avoir déposé les enfants à l'école, je vais faire mes courses et mademoiselle raffole de cette activité. A peine juchée sur le caddie, elle prend un petit air affairé avec la bouche en cul de poule de la parfaite ménagère et ça me fait toujours rire. On a l'impression qu'elle réfléchit tout haut : "voyons, qu'est-ce que je dois prendre aujourd'hui... courgettes ou carottes? poulet ou steaks? Ouch, les prix ont encore augmenté, c'est-y pas Dieu possible..." En fait, je soupçonne un mimétisme avec sa mère et je pense qu'elle prend la même tronche que je dois faire à ce moment là, l'air un peu pincé et empressé, l'air compassé et concentré de n'importe quelle femme qui fait son marché comme si c'était la chose la plus importante du monde -et c'est effectivement la chose la plus importante du monde et même l'apocalypse peut aller se rhabiller à cette heure-ci parce que je fais des choix cruciaux pour le dîner du soir et qu'on ne rigole pas avec ça. Tout de même.

Nous rentrons, je la pouponne, elle prend son bain, je la crème de la tête aux pieds, elle raffole de ces petits massages, je passe bien sur toutes ses articulations et dans ses plis grassouillets! puis elle pleurniche lorsque je l'habille, elle en a assez, elle est fatiguée et veut dormir. Je la couche alors avec sa petite couverture qui lui sert de doudou : elle la tire jusqu'à son nez, et suce son pouce en la tripotant avec ses petits doigts. Je ferme la porte et elle s'endort épuisée.

A l'heure du déjeuner, elle est toute frétillante de faim et je la biberonne avec un peu de carottes dans son lait. Ensuite, depuis quelques jours, je lui donne quelques cuillerées de petit pot de fruits. C'est très amusant les débuts à la cuillère : elle n'ouvre pas la bouche, elle veut téter encore. Alors, je lui fourgue délicatement un bout de cuillère à café entre les lèvres et elle comprend, entrouvre un peu sa minuscule bouche, attrape un peu de la compote, suçote, avale en frissonnant -c'est trop acide- et sourit. Et nous recommençons quatre-cinq fois mais guère plus parce que l'acidité de cette nouveauté la gène assez rapidement.
Ces minuscules becquées de oisillon me ravissent, on sent qu'elle se concentre sur le geste, sur le goût, sur tout, et ces découvertes l'accaparent complètement! C'est un grand moment dans la vie de bébé et je roucoule  à côté, je l'encourage, je ris en voyant ses mimiques, ses airs surpris, ses airs ravis et sa façon qu'elle a de tourner la tête, très doucement mais obstinément pour signifier : "ça suffit, j'ai mon compte".
Tout passe par le goût à ces premiers âges, en Bretagne, elle ne voyait pas la mer mais elle était capable de rester fascinée dix bonnes minutes par un coquillage ou une miette de caillou... Tout ce qui est à leur portée  passe dans les petites quenottes et dans la bouche.

L'après midi, la sieste a moins de succès, et le biberon de quatre heures arrive souvent vers trois heures. Puis, il y a le rituel du biscuit, là aussi depuis peu. Gabrielle prend délicatement un petit beurre que je lui tends dans sa chaise haute, et elle se met à le suçoter immédiatement, elle bavote beaucoup, elle s'affaire énormément, c'est un gros travail pour elle, un énorme biscuit, un grand défi! Elle émiette soigneusement le gâteau, fabrique, avec les morceaux qui ne tombent pas, une sorte de pâte baveuse, avale à peu près le tout, recrache une partie, récupère sur ses doigts ce qu'elle peut et ré-enfourne le tout avec deux voire trois doigts, jusqu'à la garde. Je surveille les opérations successives et me retiens de l'essuyer et de la laver trop vite car alors elle perdrait une grande partie du biscuit et de son plaisir. Cela me demande une grande patience parce que je suis assez maniaque de nature et voir ma petite princesse avec du biscuit en emplâtre jusque dans les cheveux, cela me désole un peu.

Nous nous promenons ensuite en poussette ou en voiture, nous allons chercher les autres enfants à l'école et elle n'a plus peur de la cour d'école maintenant, du bruit et de l'agitation, elle retrouve vite les jumeaux qui l'embrassent sans complexe devant leurs petits camarades envieux et nous repartons à la maison.

Généralement, au retour, je la délaisse un peu, les grands la prennent avec eux ou bien je la recouche un moment pour tenter de faire les devoirs avec les garçons. Mais bien vite nous entendons son mobile sonner et les premiers qui ont fini de bosser s'en vont la chercher pour jouer avec elle ou la trimbaler partout dans la maison jusqu'à l'heure du soir où elle reprend un dernier biberon. Parfois, son père arrive à ce moment-là et elle passe un moment avec lui, très concentrée, attentive, à tirer sur ses lunettes, sa cravate... Elle remodèle son visage longuement en lui babillant de nombreuses confidences vitales.

A la prière du soir, je la mets sur mes genoux et elle est insupportable et déchaînée pour la plus grande joie des aînés. Elle fait son cirque pendant la récitation des "Je vous salue Marie" et mes "chut" autoritaires ne servent à rien du tout.
Je la couche ensuite, avec le petit rituel de la couverture-doudou sur le nez et elle s'endort dans la minute, toujours en souriant...

Je vous fait un portrait plutôt tranquille et aimable de ma petite fille, mais il est vrai que ses journées sont  calmes et que j'essaie de ne pas perturber cette routine. C'est sans compter les week end où elle est bousculée et sans compter ses maladies de bébé. J'ai toujours fait en sorte de privilégier la routine car j'ai remarqué combien celle-ci rassure et structure les petits enfants. C'est un des secrets du bonheur, cette routine, un trésor familial à pratiquer.

21 commentaires:

  1. Madame , ce que vous faites est horrible .

    Vous nous vendez la p'tiote le plus merveilleuse qu'ai connue l'humanité , la huitième merveille du monde (et encore , il faudrait que les sept premières disparaissent des mémoires pour mettre Gargamelle en pôle position) , le Bon Dieu s'est probablement servi des couleurs de Gabrielle comme d'une palette de peinture quand il a voulu peindre la beauté . Même sa bave est grâcieuse . Je crois que Guerlain fouille vos poubelles pour récupérer des extraits de Gabrielle , tout ce qui sort de cette petite est merveilleux . Ses "Ga Ga Ga" renvoient la lithurgie dans les bas-fonds de la musique . Si Arthur avait épousé Gabrielle , la face du monde aurait été différente . L'univers entier n'avait vocation qu'a créer Gabrielle .

    Vous poussez les couples honnêtes au vice et à la fornication , guidés par l'unique espoir d'enfanter quelque chose qui ai le centième de la splendeur de Gabrielle .
    Vous rendez-vous compte de la déception des futurs parents quand ils se rendent comptent que leur création ne fait que servir de faire-valoir à la Grâce en couches-cullotes ? Que leurs petits ressemblent à Jérôme Leroy ?
    C'est très mal , ce que vous faîtes .
    Faire entr'apercevoir le paradis au futurs parents , eux qui n'arriverons jamais à atteindre la sonnette .

    Briseuse de ménages ! Infâme tentatrice !

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  2. Mais enfin! je vous explique que si JL est tel qu'il est c'est sans doute qu'il a maqué de petits beurres, assurément.
    Je donne tous mes trucs qui sont valables pour n'importe quel poupon!

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  3. Par ailleurs, oui, j'ai du Guerlain pour moi-même.

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  4. Mon fils a deux semaines.
    Mon enfant en velours dont les yeux me font parfois pleurer tellement ils sont beaux.
    Mon fils me fait aussi parfois pleurer de fatigue quand il est quatre heures du matin, qu'il pleure à cause de ses coliques et que le papa doit dormir car il travaille le lendemain. Et qu'il faut donc endormir ou au moins calmer la bestiole. On jure alors qu'on ne s'y fera plus reprendre.

    Après, je lis des textes comme celui-ci et je me dis que non, en fait, j'en ferais bien encore dix comme mon fils, surtout s'ils s'avèrent être du modèle de ce texte :)

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  5. Artémise, je peux écrire ce genre de texte parce qu'il s'agit de ma ...neuvième. Je ne l'aurais pas écrit pour mon fils aîné, je le reconnais, j'étais dans un état de fatigue et de stress autrement plus importants pour lui à l'époque...(Disons la vérité : je garde un souvenir vraiment épouvantable des premiers mois de mon fiston)
    ça va passer, là, Gabrielle a dix mois environ, à deux semaine elle ouvrait des grands yeux de chouette la nuit (toute la nuit!^^) et moi je roupillais benoîtement avec la bestiole sur ma poitrine.
    Toutes nos félicitations familiales, tâchez de profiter malgré tout de votre bébé même si c'est difficile pour un premier.

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  6. Merci de votre mot. C'est vrai qu'à neuf enfants, vous avez assurément un savoir-faire qui me dépasse très largement...
    Je me sens encore assez démunie face à ce tout-petit (et surtout la perspective de le garder seule jusqu'en septembre) mais comment ne pas s'émerveiller devant lui, et surtout quand il s'endort sur La Truite que j'ai tant écouté pendant ma grossesse :) ?

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  7. Il ne s'agit pas tant de savoir faire que d'une forme "d'expérience". Par exemple, je me souviens d'angoisses épouvantables pour le premier à chacun de ses pleurs..; je ne savais pas pourquoi il pleurait! Maintenant, je discerne assez bien, après quelques jours d'adaptation et d'écoute d'un nouveau-né, ce qui se passe dans sa caboche...Donc c'est plus facile et je stresse surtout beaucoup moins.

    Quant à la solitude que vous évoquez, je crois vraiment que c'est le grand défi de la mère de famille. Avec un tout petit, faire des courses, même en bas de chez soi, cela prend l'allure d'une virée dans la jungle, d'une grande Aventure! Au moment où vous vous dites, ""j'y vas", je me lance, je vais acheter ma baguette", le bébé se met invariablement à couiner ou bien vous remarquez un type louche en bas de votre immeuble qui vous paraît être le Kidnappeur d'enfants par excellence... Du coup vous remontez chez vous, vous prenez le bébé et vous vous préparez à l'emmener... Pas de bol, la bestiole vous fait pile un beau renvoi ou une bouse dans sa couche... Vous le changez dans des hurlements furieux, et, épuisée, anéantie, vous renoncez à votre pain... Lorsqu'on a ce type de scénario toutes les deux heures environ,on comprend pourquoi même la venue d'une belle mère -acariâtre bien sûr- vous semble réjouissante.

    Mais tout ceci d'ici quelques mois sera oublié! je vous assure! Bébé va se stabiliser, vous allez surtout trouver vos marques avec le poupon et vous allez tout simplement apprendre à bien le connaître.

    Ma soeur a eu sa petite cinquième récemment et elle a déménagé entre temps : elle me téléphone beaucoup parce qu'elle ne peut pas du tout sortir et faire garder sa petite et elle me racontait dernièrement, complètement déprimée, que sa séance coiffure avec le poupon dans les bras avait viré au cauchemar et qu'elle était ressortie avec une coupe affreuse et un poupon tellement enragé qu'elle a failli "l'oublier" dans le salon de coiffure!^^

    Je crois que personne ne peut vraiment comprendre ce que vous venez de signifier lorsque vous dites : "la perspective de la garder seule jusqu'en septembre"

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  8. C'est exactement cela, on ne sait pas trop ni quoi faire, ni quand ni comment, et quand on se décide, c'est pas comme ça qu'il fallait faire. Vaut aussi pour "je vais essayer de l'endormir", "allez j'essaie de le laisser pleurer comme on me l'a conseillé", et ainsi de suite.

    Et comme l'Epoux travaille la journée, on se retrouve seule face à de grands yeux - ou des hurlements stridents. J'ai la chance d'avoir un travail suffisamment taillé sur mesure pour pouvoir m'occuper de mon fils jusqu'à ses six mois, mais en même temps je suis terriblement angoissée de ne pas savoir "l'occuper" pendant ce temps.

    Ne pas trop penser, ne pas trop penser :)

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  9. Les deux premiers mois en gros sont chaotiques pour le bébé, il n'arrive pas bien à trouver son rythme à cause de la digestion, à cause de différents petits tracas inhérents à son âge. Il faut du temps pour qu'il se règle.
    Ce qu'il faut c'est garder au maximum une "routine", cela aide beaucoup les petits.

    Il n'y a pas besoin d'occuper un bébé en fait : le nourrisson jusqu'à six mois (et même après) s'occupe énormément tout seul en regardant,en écoutant la voix de papa et de maman, en tétant, en câlinant et en dormant. Et C'EST TOUT.

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    1. Complètement d'accord. Dans les 4 premiers mois, un bébé a besoin d'être nourri, changé, lavé et bisouté. Et picétou. Et rien ne vaut la routine : horaires stables et localisations stables (lits, seins, baignoire, table à langer, voiture).

      Votre petit texte me fait songer à un film sur la vie de famille que j'ai revu avec plaisir tellement il est "vrai", tellement il relate le réel des relations parents/enfants et mari/femme, de la vie domestique et de ses petits tracas, de l'adolescence et de ses crises : Les Indestructibles de Walt Disney/Pixar.

      Obéron

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  10. Tiens, je ne l'ai pas vu,je regarderai merci Obéron.

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    1. Les Indestructibles sont un achat DVD sans crainte.
      Visible par les petits comme les grands car il y a plusieurs niveaux de lecture.
      De plus, chacun des enfants s'identifie facilement à un (super)héros, puisqu'il s'agit d'une famille américaine moyenne où tous les membres s'aiment malgré les petites trahisons du quotidien, jusqu'au moment où les cachoteries du père vont provoquer le resserrement des liens familiaux.

      Obéron

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