samedi 27 novembre 2010

De l'inquiétude

... "je me disais qu'il était devenu fou.
Et c'était le cas : fou d'angoisse à l'idée que son fils unique et bien-aimé était aussi mal préparé à affronter les périls de l'existence que n'importe quel jeune garçon au seuil de l'âge adulte, fou d'avoir découvert avec stupeur qu'un petit garçon grandit, en âge et en taille, qu'il se met à éclipser ses parents, et qu'à ce moment-là on ne peut pas le garder pour soi, qu'il faut le livrer au monde."  (Philip Roth, Indignation)


Être mère, aimer son enfant  procède d'une caractéristique fondamentale que j'ai réussi à isoler après moults réflexions et observations sur moi-même : cette caractéristique propre aux mamans est l'inquiétude.

A la naissance de mon premier enfant, un garçon, il y a 18 ans de cela j'ai un souvenir très précis lorsque je me suis sentie devenir mère à part entière : ça n'était pas pendant ma grossesse où je me portais comme un charme, ça n'était pas au moment de l'accouchement sans douleur particulière grâce à une péridurale efficace, ça n'était pas durant les deux premiers jours à la maternité où épuisée, endolorie, paniquée, je cachais bravement mon jeu et ne savais comment me comporter avec ce poupon braillard et pas particulièrement intéressé par le fait de boire mon lait ce qui rendait ma position physique d'autant plus inconfortable, non, je n'étais pas maman du tout à ce moment là, j'étais une gamine qui se demandait dans quelle galère elle s'était fourrée.

Le troisième jour, fête de la Pentecôte, j'étais dans ma chambre à la maternité, avec mon père, mon mari s'était absenté pour accueillir sa famille, le bébé était parti avec une infirmière pour quelques examens anodins. Au bout d'un moment, je commençais à m'inquiéter de la longueur des examens et je laissais mourir la conversation, mon père sentait aussi que quelque chose n'allait pas. L'infirmière revient et brutalement, sans précautions explique : "l'enfant présente des soucis; il faut l'hospitaliser ailleurs que dans notre maternité, nous l'emmenons immédiatement". Coup de massue direct sur mon cerveau et cœur, je regarde mon père sans mot dire, je ne peux pas parler et dire ce que je veux crier : "VA t-IL MOURIR?"
Mon père comprend tout en ce seul regard et se tourne vers l'infirmière : "Madame, il y a ici un verre d'eau, devons-nous baptiser l'enfant?" Il faut ajouter que, issu d'un milieu catholique hollandais, il avait perdu la foi mystérieusement vers l'âge de 18 ans -il n'en parlait pas- mais avait à cœur d'élever dans une foi pratiquante, grâce à ma mère, ses enfants. L'infirmière nous rassura, l'enfant n'était pas à la dernière extrémité, il fallait seulement lui donner les soins appropriés. Mon père se proposa alors d'emmener son petit fils dans sa propre voiture pour faire au plus vite; ça n'était pas proprement réglementaire aux yeux de l'Administration mais le ton péremptoire de Papa suffit à clouer le bec à tout l'appareil bureaucratique de la maternité (exploit que seul un hollandais, disons un non français socialisé, pouvait réussir!) et c'est ainsi que mon bébé est parti loin de moi se faire soigner.

C'est ce coup au cœur qui m'a investie en un quart de seconde de ma fonction maternelle. Je suis devenue mère, brutalement, par l'affreuse inquiétude provoquée et depuis j'ai gardé cette inquiétude tapie au fond de mon cœur, elle est inhérente au fait d'être mère, elle surgit pour tout et rien, à chaque instant de ma vie, de mes jours comme de mes nuits. C'est ainsi, j'ai fini par aimer cette inquiétude, disons à en faire ma compagne, comme un soldat fait de la peur sa compagne et lui en ait reconnaissant parce que c'est grâce à elle que ses réflexes de survie seront affutés. Moi, je lui en suis reconnaissante parce que c'est grâce à elle que je me sens mère à part entière. J'essaie de ne pas, de ne jamais me laisser submerger par elle, de ne pas m'en faire une ennemie mortelle, parfois elle gagne certains combats mais la plupart du temps je la contiens à peu près, j'en demeure la maîtresse.



16 commentaires:

  1. Etre mère ou père, pour nous occidentaux, c'est être inquiet, d'une inquiétude qui ne vous lâche jamais: les vaccins, les maladies infantiles pas si bénignes que ça, l'école et la promiscuité non voulue, les ami(e)s qu'on voudrait valider, puis tout ce qui vient après, le pire étant de les voir entrer dans l'âge adulte.
    Les Indiens (de l'Inde) ont bien intégré cet état de parents et versent une larme rituelle quand l'enfant paraît, avant de le fêter comme il se doit après. C'est l'inquiétude humaine devant le destin de ses petits.
    Ne pas la ressentir serait incompréhensible.

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  2. Comme je partage tout ce que vous dites dans ce beau texte!

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  3. Merci Carine, intéressant ces indiens et leur larme rituelle.

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  4. Très beau billet. (Et, tout comme Carine je présume, je n'ai pas choisi le qualificatif au hasard.)

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  5. L'inquiétude, bien sûr je connais aussi, et tu la décris vraiment bien.

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  6. Et oui, cette inquiétude qui ne nous lâche plus du jour où on la découvre, et on la découvre très vite ... Aujourd'hui encore, comme mon fils dormait bien plus que d'habitude, elle a surgi la bête à deux faces (celle qui ronge -la désagréable-, et celle qui protège et vous force à ouvrir l'œil, comme tu en parles si bien chère Crevette) : "et s'il lui était arrivé quelque chose ?? A 23 mois tout juste, est-ce que l'horreur subite peut encore tomber comme éclair atroce? Respire-t-il?" Alors,tant pis, d'accord avec sa maman, au risque d'un réveil grognon et surtout d'interrompre un sommeil nécessaire, avec des précautions de ninja en mission, j'ai couru le danger d'entrer dans sa chambre...Seigneur! Quelle joie de voir bouger la menotte! d'entendre ce souffle qui clame "VIE, VIE", plus beau pour moi que tous les "TERRE" qui firent vibrer tant de marins. Chez un auteur qui m'a délassé durant un séjour à l'hôpital, Harlan Coben, on retrouve chez tous ses héros cette peur récurrente pour leur(s) enfant(s); et une réflexion revient toujours "je me suis senti père en me sentant d'un coup gagné par l'inquiétude". Encore bien plus insomniaque en hosto que les douces crises habituelles du domicile, j'ai eu le temps d'en lire qql uns, (d'autant que la boutique du lieu n'était guère fourni et que je n'avais nullement la tête à la correspondance de tel grand auteur que j'avais bêtement demandé à mes proches), et bien c'est vraiment une constante chez ce père de 3 enfants (si mémoire ne me trahit), c'est profondément ancré dans la chair même de son âme.
    Et quand j'entends aux nouvelles qu'un enfant est mort dans telles ou telles conditions, cela me touche comme jamais ne le faisaient auparavant pareilles horreurs. Je m'imagine le désert du père...
    Un beaux texte, absolument. C'est qu'il nous provient du plus profond, d'un lieu où l'on ne se ment plus.Du tout.

    Ps Didier, j'ai répondu zici même à un tutoiement par un vouvoiement, n'y voiT pas le désir de marquer une frontière barbelée, dentelée de défiance, mais la simple raideur mentale de l'habitude.

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  7. Ah Restif le coup du sommeil prolongé! Quand ils étaient nourrissons, je ne dormais pas la nuit parce qu'ils nous réveillaient tout le temps et lorsque par bonheur l'un d'entre eux commençait enfin à "faire ses nuits", je ne dormais plus parce que je ne comprenais pas pourquoi il ne se réveillait pas comme il se doit!^^
    Harlan Coben, je n'ai pas lu... je vais combler cette lacune...

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  8. Et oui... D'une inquiétude l'autre. Et ça n'est pas prêt de s'arrêter !

    L'absence d'Harlan Coben dans son atrium mémoriel ce n'est aucunement une lacune. C'est du polard léger, sans prétentions, distrayant sans trop de violence, et ne risquant nullement le "X". Le film "Ne le dis à personne "en est tiré. On peut très bien s'en passer. Par contre, si comme moi tu as de ces périodes où rien ne passe que du narratif pur jus, l'équivalent à la littérature de ce qu'une bonne série Us est à Bergman, alors c'est très bien fait. Le thème de la famille, des enfants y est fondamental, et ça donne une assez bonne vision d'une certaine classe moyenne américaine, de leurs valeurs, et c'est bien, bien loin de nos lignes politiques françaises. Cette peinture de la réalité -souvent la rencontre du "monde d'en bas" et celui de la classe wasp- permet de faire se côtoyer ce qu'ici on prendrait pour une critique sociale âpre avec des idées qu'on taxerait de fascistes.Parce que l'auteur ne réduit pas la vie et sa complexité à une ligne politique. En ce sens (ce sera mon alibi culturel^^), ça en dit plus que des tonnes d'études sociologiques.

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  9. Je suis tout à fait pour la reprise du voussoiement sur les blogs. du reste, la Comtesse et moi-même n'en usons pas différemment.

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  10. Oui, et j'aime beaucoup ce voussoiement.

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  11. Je me voue au vous . D'ailleurs, pas besoin de se vousser pour ça. Ma syntaxe, d'origine, aime le vous, précieux voussoir lexical pour cette digne voute du langage.

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  12. La porte ouverte, l'écoute attentive du moindre signe de frémissement, du plus petit souffle, du plus léger mouvement...et quand ce signe est constaté, un intense soulagement. Je suis un père de deux mois, mais visiblement comme touts les autres.

    Popeye

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  13. Oui Popeye, on ne se refait pas...
    J'ajoute cependant qu'au sein de toutes ces inquiétudes réelles ou imaginaires, mon mari a toujours joué un rôle immense de raison et de maîtrise... Je crois bien que sans lui je serais une mère quelque peu hystérique.Faire des enfants,ok, les élever à deux c'est quasiment de l'ordre du vital.(pour eux comme pour nous les mères!^^)

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  14. ça me rappelle ma mère chérie. Elle me disait tout le temps "ce qui fait que je suis ta maman, c'est cette peur que je ressens dès que tu as 10 minutes de retard à la maison".

    "Etre mère, c'est être une louve"

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  15. "être mère c'est être une louve"
    Disons, il existe des mouvements reptiliens, au fond de nous-mêmes, de l'ordre de l'instinct, infiniment puissants, qui parfois se réveillent ou se révèlent; personnellement ils me surprennent beaucoup et toujours, comme si j'avais un dédoublement de personnalité.

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