mardi 27 juillet 2010

Le visage de mon ange-gardien




                                                                Chapelle à Douarnenez
Je suis donc partie en bétaillère en Bretagne la semaine dernière avec cinq enfants. La veille, je mets pompeusement sur mon petit blog pour les trois péquenots qui me lisent l’annonce de mon départ. En effet, internet ne me suit pas jusque par ces contrées marines. Didier Goux, mon « péquenot » le plus aimable, laisse immédiatement un petit commentaire, une question inquiète que j’estime amicalement provocante et qui me vexe un tantinet :
 « Vous partez avec la bétaillère ?
(Demande-t-il en s'efforçant de masquer sa profonde angoisse...) »
Je lui réponds toute frimeuse devant mon écran : « Oui bien sûr!^^ Mais la route empruntée est truffée de radars. Je suis obligée de brider l'engin. Tout ceci est lamentable. »
Ah ah ah.
Effectivement, après un début d’autoroute jusqu’à Rennes où le régulateur de vitesse ne décolle pas du 130 (je vous assure!), je réduis ma vitesse à 110 et commence alors, après le déjeuner express pique nique, un long, très long et très ennuyeux périple devant me mener quelque part en Bretagne sud. Un premier arrêt détente pipi et… café. Un deuxième une heure plus tard. Rien n’y fait, j’ai une envie irrésistible de dormir et les enfants ne m’aident guère, ils roupillent tous à l’arrière. Je bats des cils, désespérément, une pesanteur impitoyable ploie ma nuque, je suis crispée sur le volant, ma « mauvaise jambe » me fait un mal de chien et je ne peux la détendre, il faut que je m’arrête et vite. Impossible, cette misérable « quatre voies » digne de la plus minable des nationales n’a que quelques arrêts d’urgence mal fichus et les camions, nombreux, n’aident guère à la manœuvre. Pas une aire en vue, pas de pompe à essence, pas de café à moins de sortir et de me paumer dans la campagne locale. Au moment où je me décide à sortir pour de bon, mes yeux se ferment un dixième de seconde, je pique du nez, me redresse effrayée et crie intérieurement : « Les enfants ! Mon Dieu ! Les enfants ! »
 Et curieusement, un pan du commentaire de Didier Goux me revient à l’esprit : le terme « profonde angoisse » lancine mon pauvre cerveau complètement à la ramasse…Profonde angoisse, profonde angoisse… Je suis épuisée, la sortie se fait attendre, et la sarabande hallucinante dure :  « tiens bon tiens bon tiens bon le camion freine la voiture laisse là passer les enfants dormir tiens bon lâche pas le volant… » « Je suis mal barrée » ai-je le temps de penser vaguement.
Mais revenons un peu plus loin en arrière. Depuis toute jeune j’entretiens des rapports particuliers avec mon ange-gardien. Je le connais bien maintenant. J’en sais assez sur son caractère et ses habitudes pour savoir le « prendre ». C’est un ronchon. Il est sensible à la flatterie, il est sensible tout court, il est assez vif de caractère, se vexe pour un rien et le tout est enrobé d’une bonne couche de paresse. C’est pas un super doué, mon ange gardien. Je soupçonne le Bon Dieu de me l’avoir fourgué parce qu’Il ne savait pas trop quoi en faire. Quand je suis née, Il a du se dire, le Maître de l’univers : « voilà une petite fille assez quelconque, limite une petite souris grise, elle n’est pas embêtante, cet ange-gardien devrait lui convenir, à eux deux pas d’esbroufe, un petit sentier bien balisé pour le Paradis. » Je ne lui en veux pas du tout au Bon Dieu de son raisonnement : effectivement, un ange-gardien brillant, grandiose, un génie de l’angélisme ça ne m’aurait pas trop convenu et le pauvre Talentueux de la sauvegarde des âmes aurait certainement eut le sentiment de perdre son temps avec moi. Non qu’il n’y ait rien à sauver chez moi, au contraire, mais on ne peut pas dire que ma minuscule et médiocre âme soit vraiment un gros poisson des profondeurs spirituelles style Saint Pierre ou saint Paul ou Sainte Thérèse d’Avila. Non, une âme de crevette ça nécessite des moyens de crevette. Voilà. J’aurais été fort mal à l’aise avec un Génie de la protection physique et spirituelle. Comme si un scientifique de la Nasa avait été mon prof de maths au collège. Cela aurait été une sacrée déchéance pour ce dernier et bien inutile pour moi.
Mon ange-gardien, je le connais, j’ai appris à beaucoup l’aimer et il me le rend bien. Oh, la vie avec lui n’est pas toujours facile ! Vous ne pouvez imaginer les négociations infinies pour obtenir de petits services de sa part. La dernière fois que je lui ai demandé de traverser l’Atlantique pour veiller sur un vieil ami canadien, il a fait tout un foin, et il a fini par s’éloigner en voletant exprès lentement, bien lentement alors qu’il y avait urgence. Je ne me suis pas énervée mais je n’étais pas très contente, vous pensez.
Je le connais donc mon ange mais je n’arrivais pas à lui mettre un visage… Vous allez me dire, un ange, chère crevette, ça n’a pas de visage ni de corps puisque c’est un pur esprit. Bon, peut-être bien mais le mien, il parle, il bougonne, il paresse, il rigole, il pleure etc… Et pourtant sa face m’était voilée. En bonne petite souris très curieuse (ou crevette plutôt) j’attendais mon heure.
Adhonc, dans la bétaillère, nous étions mal barrés. Pas de sortie à l’horizon et les paupières de plus en plus lourdes. Au moment où je me remémore la « profonde angoisse » de Didier Goux qui fait écho à la mienne, au moment où j’hurle dans mon esprit embrumé : « les enfants, Mon Dieu ! », la radio qui grésillait depuis vingt minutes sans rien capter se remet en marche et j’entends ces mots chantés qui sonnent comme une trompette à mes oreilles : « Je ne suis qu’un homme, et ces mots RESONNENT ! », la clim qui coinçait m’envoie une grande bouffée d’air frais dans la figure, mes yeux s’ouvrent bien clairs, la fatigue disparaît, je suis parfaitement dispose et éveillée, la pesanteur qui me tenait encerclée se volatilise et je me retrouve à nouveau en pleine possession de mes moyens. Tout ça d’un coup. Comme je vous dis.
Et la chanson suivante est Finistère des Innocents, une de mes préférées, qui dit ces mots :
« Trouverais-tu cruel
que le doigt sur la bouche
je t'emmène, hors des villes
en un fort, une presqu'île
oublier nos duels
nos escarmouches
nos peurs imbéciles »
Je ne m’arrêterai plus ensuite, je rejoins au plus vite « mon Finistère, mon fort, ma presqu’île »
Et la chanson d’après est un autre tube que j’aime, « Devenir en gris » et d’ailleurs le ciel se couvre, il devient tout gris et il se met à pleuvoir. Là, je dis à mon ange : « T'étais pas obligé de me donner la météo, t’en fais un peu trop, tu ne sais jamais t’arrêter, t’es lourd ». Il se vexe et m’envoie une autre chanson ensuite, une daube évidemment dont j’ai oublié le titre. Puis il me dit : «  C’était Visage, gourde, VISAGE ! »
J’ai alors fais le lien entre mon ange et Didier Goux, c’est venu comme un éclair dans mon esprit : mon ange-gardien, en plus d’être un fichu caractère et en plus d’employer des moyens piles pour moi pour m’aider, genre de la variété rock de mon niveau à moi (il ne m’a pas envoyé un air d’opéra parce que là je crois que je serais tombée dans le coma illico), a, je le sais maintenant, le visage de Didier Goux, j’en suis absolument sûre et ceux qui doutent (malgré la logique imparable de ma démonstration) verront au Paradis avec moi que j’avais raison. Il a une « gueule » Didier, comme on dit, et l’on dit aussi que sur cette terre chacun de nous doit avoir son « clone » quelque part. Didier possède un clone mais ce clone n’est pas terrestre, il est angélique. Mon ange gardien a la tronche de Didier Goux.



 

10 commentaires:

  1. Votre chute m'amuse beaucoup car, plus haut, lisant la description de votre ange gardien, je me disais : « Tiens ! on dirait moi... »

    J'espère quand même que mon double angélique est moins paresseux que je ne le suis. Spécialement aujourd'hui, d'ailleurs.

    RépondreSupprimer
  2. "La veille, je mets pompeusement sur mon petit blog pour les trois péquenots qui me lisent l’annonce de mon départ."
    Ah bin merci pour eux^^
    Je sais bien que ce n'est pas péjoratif.

    RépondreSupprimer
  3. Ouahhhhh! j'ai lu la suite. Etonnant!

    RépondreSupprimer
  4. Vous voyez, j'ai du flair, ou bien vous allez encore croire à une sornette divine.
    Je ne serais pas Robin si je n'ajoutais pas ceci, dicté par mon propre ange gardien: Goux et XP, vos anges gardiens vous protègent des étrangers, surtout noirs et arabes, à mon humble avis, il vous faudrait un ange gardien, céleste celui-là, qui vous apprendrait à les respecter et vous initierait aux constants messages évangéliques de l'hospitalité, de l'accueil et de la considération à porter aux plus faibles.Amen!

    RépondreSupprimer
  5. Robin, faisez gaffe à quesque vous disez : mes pouvoirs d'ange gardien de la Dame sont terribles...

    RépondreSupprimer
  6. "il vous faudrait un ange gardien, céleste celui-là, qui vous apprendrait à les respecter et vous initierait aux constants messages évangéliques de l'hospitalité, de l'accueil et de la considération à porter aux plus faibles.Amen!"
    J'ai l'impression de rêver.
    Ou bien c'est de l'humour? Je l'espère.

    RépondreSupprimer
  7. J'imagine les anges de Robin, de Didier, le mien, celui de Carine et d'autres encore entrain de vanter les mérites de leurs ouailles et de se chamailler comme des brutes!^^

    RépondreSupprimer
  8. Ouahhhh, l'autre, elle me pique le visage angélique de mon Gouzounours ! C'est marrant, en lisant, je le sentais venir et je me disais, nooon, elle va pas oser ? Ben si ! La Crevette tu me fais rire. Bon, cela dit, mon ange gardien à moi, je n'ai jamais vu son visage mais il se foule pas trop non plus hein ! Sauf que je suis persuadée que c'est lui qui m'a fait rencontrer Didier au bon moment : )

    RépondreSupprimer
  9. Crevette, celui de Robin est bien plus hospitalier et céleste (sans majuscule) que les nôtres, donc il leur fiche la paix et leur déploie le tapis rouge ou blanc sous l'absence de pieds. Il respecte bien trop tout le monde pour se chamailler. Il leur fait des bisous et les caresse dans le sens des ailes pendant que les nôtres surveillent nos frasques malpensantes.

    RépondreSupprimer
  10. Catherine : la crevette, au point où elle en est, ose tout!
    Carine : "nos frasques malpensantes" : j'aime beaucoup.

    RépondreSupprimer