Je n'y ai rien compris.
Dépitée par ma propre incompréhension et inculture, j'appelle au secours cet ami qui a bien voulu m'éclairer. Je vous donne à lire ces quelques notes personnelles qui pourront vous aider dans votre lecture et je remercie Restif d'avoir pris le temps de donner ces éclaircissements : A la fin, ils" "meurent" dans Le Maître et Marguerite (drôle de mort-entrée dans l'immortalité, -mais il me faudrait le texte . Ne t'arrête donc pas à l'identification Woland/Staline, oh elle existe c'est plus qu'une hypothèse. Disons qu'il existe une lecture politique du livre, réelle. Mais un tel livre en a plusieurs.
Si j'avais le bouquin sous la main ce serait beaucoup plus simple pour moi.
Disons : 1) que Ponce Pilate rejoint "son" Jésus. Que le maître - l'écrivain, double de Boulgakov- rejoins, avec Marguerite, la seule forme d'éternité qui lui reste. Cadeau de Woland? Voilà l'ambiguïté (l'un des ambiguïtés du livre). Marguerite, qui est-elle? D'abord la muse du Maître, celle par qui et par EllE seule uniquement le Maître peut encore écrire, par laquelle il a écrit.Celle par laquelle aussi, le bal de Woland peut avoir lieu. Elle est nécessaire au rite de la Walpurgis Nacht, un rite qui maintient le monde. Mais quel monde? Celui de la fiction peut-être bien...donc muse de Woland aussi Et c'est là où le jeu se complexifie merveilleusement, parce qu'alors il y a un lien "ontologique" entre le Maître et Woland (déjà ce titre de "Maître",donc rois sacrés...par elle !Sans elle pas de maître, pas de roi-woland-satan de la Walpurgis. Tous deux ont besoin de Marguerite pour exister. Mais comme le livre du Maître n'existe que par Marguerite, Ponce Pilate et son Jésus - et l'œuvre ! - n'existeraient sans Marguerite. Mais ...Quelle œuvre ? le livre du Maître sur Jésus/ Pilate ou bien celui que nous avons dans les mains? Les deux ! Marguerite la fée sorcière reine inspiratrice est donc la poésie et plus encore, l'Amour. Sous toutes ses formes -sacrifice-Agappe-passion-reine du bal-art et poésie.Amour = création du roman lui-même.
Mais il y aurait encore bien du décorticage à faire ! Voyons, réfléchissons, QUE détruit Marguerite devenue sorcière ? L'appartement d'un critique pourri délateur qui a brisé la carrière du Maître. elle est un chaos sain au centre même de la bureaucratie totalitaire.Elle brise symboliquement la société aux murs de verre. Et est cause première de la libération d'un prisonnier politique : le Maître -donc elle libère la "folie" de la création enfin libre. Sa nuit de Walpurgis est une nuit de la libération des puissances et de l'inconscient,de la création.
Et puis, sur un autre plan...Il y a l'intertexte faustien. La Marguerite de Faust finie exécutée, elle apparaît alors à la Walpurgis Nacht de Goethe sous les traits d'une pendue infanticide. Réécrivant le mythe avec une totale liberté et insolence, Boulgakov inverse les rôles et les polarités : non seulement Marguerite ne tue pas Faust-Le Maître, mais elle le libère de ses terreurs, lui rend confiance...et lui offre l'éternité (immortalité de l'œuvre, du génie et ce qui s'offre et s'ouvre à la fin du roman). Et réussit finalement à vaincre Woland, ce diable qui avait vaincu Faust chez Goethe (dans le Faust I, laissons le II pour ce soir ^^) en le forçant à admettre qu'elle lui est devenue indispensable, car la femme c'est la sorcière-reine qui rend possible la magie de Woland, celle qui le sacre Majesté de la nuit de Walpurgis. Il y a certes une alliance dans le chaos répandu en plein centre de la bureaucratie de la terreur entre Woland et Marguerite. Mais lui le fait par obligation, c'est son rôle, il n'a pas d'autre choix. Mais elle le fait par AMOUR! Et finalement sauve le Maître. Tout en assurant la liaison entre ce livre du Maître (libéré et qu'elle ressuscite) et celui qu'écrit Boulgakov elle fond les deux œuvres en une, elle est le pont qui les fait communiquer. Et communiquer notamment mythes littéraire (Goethe) reliés à mythes chrétiens (Jésus Ponce Pilate. Mais le Faust Handbuch qui servit de source à Goethe est aussi livre du mythe chrétien...) Elle est puissance active, Marguerite, et, in fine, créatrice. De vie, d'immortalité. Une légende naîtra des événements contés (et de sa femme de chambre devenue sorcière!) -le livre même de Boulgakov ou encore un autre...? Le trio de l'écrivain de la sorcière et du diable tresse sa poiétique en plein Moscou...et dans l'ailleurs du lecteur, des temps à venir et des lectures : pouvoir génésique de la Femme et de l'écriture, deux noms féminins, en Russe aussi, (poien= créer, mais c'est plus que ça en grec : souffle de vie.) Marguerite ..."Margaritas ante porcos" pas de perles au cochons. La Marguerite c'est aussi la perle. A comprendre.
Hélas, ce ne sont là que quelques éléments, car j'avoue que ta question m'ouvre des mondes d'interrogation. Ce que j'avais simplement ressenti il me faudrait désormais l'expliciter. Pour cela il me faudra une autre lecture, ou du moins la présence du livre entre mes mains.
Comme tous les vraiment grands livres, il s'agit d'en décrypter la symbolique, de comprendre les 3 ou 4 lectures qui sont autant de facettes d'une compréhension totale de l'œuvre dans son dire unique. Livre théologique, politique, satirique, fantastique où l'esthétique du burlesque et du grotesque rejoint celle d'une pure poésie. Œuvre de la totalité. Un personnage n'a pas qu'un seul sens, il rayonne d'images tissées par l'écriture et qui touchent aux mythes,aux symboles, aux sens profonds des images notamment dans l'histoire de l'art et de la littérature occidentale. Et puis dans ce type d'ouvrage il y a une cohérence immense : de quoi parle donc les deux premiers personnages qui apparaissent, le rédacteur en chef condamné à perdre sa tête et le poète? Du Christ et de Ponce Pilate! Et de l'impossibilité d'écrire dans cette société un drame qui ne soit pas perçu sous l'unique angle idéologique bolchévique. La profondeur de la dénonciation de Boulgakov n'emprunte pas la vulgarité du "roman engagé" à la Sartre. Ce n'est que l'une des interprétations de cette opéra à tons multiples. Les vrais chefs d'œuvres sont infinis...Et savent s'évader de toutes les prisons, et donc énoncer sans dénoncer, sans se laisser piéger par la geôle du roman de contestation, l'ART doit rester premier servi, comme Dieu! In fine Marguerite c'est la poésie, c'est la littérature, c'est l'indomptable liberté. Et l'Amour qui vainc les Moloch totalitaires et les enfers -qui ne font peut-être qu'un...Ou double facette du MAL éternel. Quand l'histoire devient le nouveau visage du diable.
Simple aperçu qui laisse bien des fils thématiques et narratifs porteur de sens qui s'entrecroisent,formant une tapisserie unique.
Et c'est en ce sens que je dis que certaine demi littérature actuelle n'est pas à cette hauteur. N'aura pas la postérité des œuvres maitresses à la richesse inépuisable. Celles-ci sont excessivement rares,ce qui justifie qu'on accepte qu'il y en ait d'autres. Mais sachons raison garder sous peine d'insulter à des efforts de 12 années qui faisaient risquer sa vie à l'auteur... Les plus hauts sommets de la création.
en espérant t'avoir pu être de quelque utilité dans ces quelques lignes écrites vites, vites.
Amitiés fortissimo,Restif
Ah mais c'est que cette glose me donne furieusement envie de relire le livre, à c't'heure !
RépondreSupprimerComme si je n'avais que ça à faire, pff...
"les événements véridiquement décrits dans ce livre s'estompèrent, puis s'effacèrent des mémoires. Mais pas chez tous, pas chez tous.Dès qu'arrive la fête de la pleine lune de printemps on voit apparaître..."
RépondreSupprimerOh "décryptage", certainement pas! je n'oserai. Juste quelques mots échangés au coin du feu numérique, sans souci d'articulations, à la va comme je te tape. Très modestement.
Me revient en mémoire le personnage d'Ivan Nikolaievitch Ponyriev qui, en compagnie de son rédacteur en chef, ouvre le roman. Qui l'ouvre (dans une discussion à propos de son "poème antireligieux" sur Jésus -Christ)et qui le ferme, dans un adieu au maître, son compagnon d'asile et visiteur nocturne et en recevant un baiser de Marguerite. Juste après avoir vu Pilate et Jésus marcher ensemble.
"C'est donc ainsi que cela s'est terminé" demande-t-il au maître.
-C'est ainsi que cela s'est terminé mon cher élève.
Et l'ultime phrase du roman nous renvoie à Pilate...
Alors? Rêve d'Ivan que tout cela ou plus simplement circularité du roman dessinant une sorte d'infini de l'imaginaire et de la puissance des mythes(littéraires et autres, ainsi de ce cri de "Venus, Venus" que pousse l'ancien mari de Marguerite") Je ne sais pas, tout reste ouvert. Mais en tous cas
"Dès qu'arrive la fête de la pleine lune de printemps", le poète passé professeur revient et de nouveau tout recommence. Comme à chaque fois qu'une personne ouvrira ce livre. Et se fera ses propres interprétations...
Ah, ça c'est gentil Didier Goux, ça fait plaisir. Finalement ce n'aura pas été inutile cette échappée : j'y aurai trouvé le bonheur de laisser la mémoire travailler hors texte-sous-les-yeux , La crevette y aura puisé quelques éléments d'appréciation, et cerise sur ce gâteau amical, vous voilà effleuré d'une envie de relire le roman, ce qui est bien la plus chouette chose qui puisse être dite d'une glose.
RépondreSupprimerQui sait, peut-être le destin (il est des personnes qui le régissent^^) nous donnera-t-il quelque jour l'occasion d'un "entreglosage" en direct.
Bonne idée! On fera un barbecue et on vous fera venir,et gloser, Restif et Didier. Moi j'ai un Maître (mon mari), je ferai la Marguerite et mon chat noir complètera le tableau.
RépondreSupprimerRestif et la Crevette : excellente idée (même si je ne suis pas trop à la hauteur, comme gloseur...).
RépondreSupprimerMais dites-moi, Monsieur Restif : on ne s'est pas déjà plus ou moins engueulé, vous et moi, par blogs interposés ? Et, si oui, vous vous souvenez pourquoi, vous ?
Me souvenir...Pas vraiment m'sieur Goux, pas vraiment. (ça devait être de la plus haute importance). Si vous avez comme moi une certaine tendance à suivre l'humeur de la minute qui vient, sans forcément s'assurer de la solidité du terrain auparavant, et bé vous comprendrez aisément qu'on se retrouve -comme nous- à se demander "mais au fait, POURQUOI. Y avait-il seulement quelque chose?". Et bien non, il n'y avait rien. Puisque c'est déjà oublié, continuons sur ce bon mouvement! qui oserait seulement froncer la mine en présence de la Crevette d'ailleurs ? En espérance de barbecue, une joyeuse joie du jour pour ce samedi, à tous deux.
RépondreSupprimerEn toute modéstie et sans prétention aucune, un petit résumé de ce "monument qu'est le roman de Michail Boulgakov "Maître et Marguerite".
RépondreSupprimerLa nuit du Vendredi Saint, Satan donne un bal de minuit. Il fait une offre à Marguerite : devenir une sorcière douée de pouvoirs surnaturels le temps du bal, et servir à Satan de "Maîtresse de maison" pour recevoir ses invités. Marguerite pénètre nue dans le monde de la nuit, survole les forêts noires et les fleuves de la Mère Russie, se baigne, et purifiée, revient à Moscou pour être l'hôte du grand bal de Satan. Debout au côté de ce dernier, elle accueille les personnages les plus tristement fameux de l'histoire de l'humanité alors qu'ils se déversent en nombre des portes de l'enfer.
http://www.youtube.com/watch?v=VsiA7YPDutM
Elle surmonte l'épreuve et Satan lui offre d'exaucer son vœu le plus cher : retrouver son amant le Maître et de vivre avec lui dans la misère et l'amour.
L’irruption du Diable, un soir de pleine lune à Moscou, met la ville sens dessus dessous ou Marguerite fait un pacte avec le Diable pour sauver son amant, le Maître. Univers mi-fantasque, mi-burlesque prétexte à dénoncer les dysfonctionnements de la société russe. L’auteur dénonce en vrac la culture officielle, la censure, le discours politique stéréotypé, le rejet de la culture classique et de ces grands maîtres, la crise du logement à Moscou et le cauchemar des appartements communautaires, les arrestations arbitraires…
Le Diable version Boulgakov est amusant, car plus facétieux que méchant. Des scènes hilarantes, mais il y a surtout une accumulation de petites diableries : apparitions et disparitions mystérieuses, roubles changés en dollars, voisin libidineux changé en pourceau etc… La plupart de ces facéties sont dues aux acolytes du Diable, dont un gros chat noir, nommé Béhémoth.
Sous le roman burlesque se cache un roman philosophique, dont la vraie question est :
Comment le bien pourrait-il exister, si le mal n’existait pas, pourquoi craindre le diable si on ne croit pas à Dieu ?
Restif : nous sommes donc parfaitement d'accord.
RépondreSupprimerOuf, je peux donc en conclure qu'il n'y aura pas de bagarres à coups de saucisses! Je savais que j'avais affaire à des gentlemen!^^
RépondreSupprimerCruella, merci d'avoir apporté votre pierre à l'édifice!
Un petit billet pour vous deux...
RépondreSupprimerJ'ai trouvé très intéressants ces éclaircissements de Restif qui enrichissent mes propres réflexions.
RépondreSupprimerComme de tous les grands livres on peut en effet faire du "Maître et Marguerite" d'innombrables lectures qui ne s'excluent nullement l'une l'autre.
Ayant relu ce chef-d'oeuvre suite à ma lecture du dernier roman de Jérôme Ferrari "Où j'ai laissé mon âme" ( qui s'ouvre sur une épigraphe tirée de ce roman et m'a fait instaurer un dialogue entre ces deux oeuvres ), je me suis également lancée dans une longue analyse - toute subjective - du roman de Boulgakov sur mon blog "L'or des livres". Il serait un peu fastidieux de la résumer ici mais que je me permets de la signaler.