"Apocalypse ne signifie évidemment pas "fin-du-monde-catastrophe-généralisée, etc.",le mot signifie au contraire la révélation de la présence divine dans le monde."*** " Toute littérature est un écho du Verbe, qu’on le veuille ou non."(Dantec) *** l’Art, qu’il soit littéraire ou plastique, n’exprimait jamais rien d’autre, à ses yeux, que l’idée que la partie n’est jamais et n’est pas jouée (Muray)***"la vérité ne peut-être obtenue qu'au prix de renoncer à la certitude" (Nemo)
jeudi 8 avril 2010
Littérature et vérité, Alain Finkielkraut dans Répliques, Partie 3
La Partie 2 se terminait sur ce commentaire de CL à propos de la méthode critique employée par PJ.
F. : Ah ! Vous lui renvoyez ses compliments ! Je voudrais m’attacher une seconde au terme de nombrilisme avant d’en arriver à la question de la vérité en littérature. Dans « Littérature monstre », PJ, vous faites une critique, presque élogieuse, de Jonathan Little, « Les Bienveillantes ». Vous dites : « Au moins c’est ambitieux, contrairement aux épanchements autofictionnels et son succès inattendu témoigne à l’évidence d’un besoin dans le public d’autre chose que l’écœurant nombrilisme qui domine la production française. » Alors, voyeurisme de Little opposé au nombrilisme de la production française, je ne suis pas tout à fait convaincu. Faire endosser le mal absolu à un homme accablé de toutes les perversions, je ne suis pas sûr que l’on va beaucoup progresser.
PJ : Je pense que c’est un roman raté.
F. : Ah bon ?!
PJ : De ce point de vue là et précisément du point de vue que vous dites.
F. : Ah bon. Mais il y a quand même une entreprise, une tentative. Oui mais alors justement ce mot de nombrilisme est utilisé par Renaud Camus auquel vous avez rendu hommage tout à l’heure dans un livre, publié chez POL, « PA », une de ces formes autobiographiques, « Petite Annonce », et il dit : « Il n’y aurait plus chez nous que des auteurs nombrilistes, ce serait même la cause de la décadence de nos lettres et de leur peu de succès de par le monde. Les écrivains français ne feraient que parler d’eux-mêmes au lieu d’aborder de grands sujets comme ils le devraient, de raconter de grandes histoires et d’inventer de vrais personnages. C’est peut-être vrai. Mais je ne vois pas ce qu’on leur reproche à ces auteurs-là. Est-ce que le soi n’est pas un grand sujet par hasard? Est-ce que la fiction seule a droit de cité ? Est-ce que les personnages de romans qui sont soumis à des exigences de cohérence formelle –et encore- sont forcément plus intéressants que des personnes réelles, confrontées tous les jours à des hasards autrement plus nombreux et qui n’ont que plus de mérites à mon avis à tâcher de s’imposer une forme. Et puis on dit : ils sont toujours à évoquer le petit confort bien douillet qu’il y aurait à parler de soi. Que ne s’y collètent-ils pas un peu eux-mêmes à ce confort vilipendé courage. J’admire autant celui de Jean-Jacques ou de Gilles ou de L., que celui de Malraux ou celui d’Hemingway. Je ne sais pas lesquels de ces auteurs ont eu le plus d’influence sur l’histoire de l’homme, l’histoire de l’âme, l’Histoire tout court et celle des sensibilités. [F. : je finis ma citation, elle est longue, justement, je n’aime pas couper] Et puis l’orgueil bien entendu ! Quel orgueil il faudrait avoir d’après nos critiques pour traiter de sa propre personne ou quelle médiocre vanité. C’est possible. Je conçois qu’on tire quelque orgueil en effet d’avoir osé dire sa faiblesse, sa lâcheté, ses désirs, ses impuissances ou sa peur de la nuit. Et ce faisant d’en avoir éclairé peut-être et rendue presque arpentables –qui sait ?- quelques quartiers de la nuit des autres et soulagé un peu leur peur ? »
CL : Bravo.
PJ : C’est un texte magnifique, c’est pourquoi en effet je citais Renaud Camus tout à l’heure pour ceux qui dans l’écriture de soi, au fond, vont tellement loin que ils dépassent complètement ces limitations de certains textes –de certains, je dis bien de certains- autobiographiques ou autofictionnels.
F. : Précisément, est-ce que vous avez lu « Romance nerveuse » ?
PJ : Oui, oui.
F. : Moi, je l’ai lu, -je ne voulais pas le lire : heureusement, je ne vis pas seul ; c’est une chance dont je me félicite tous les jours- je l’ai lu CL -et il est paru dans la polémique dans laquelle nous dirons quelques mots avec Marie Darrieussecq- et j’ai trouvé que ce livre était passionnant et fascinant, précisément parce que pour le moins autobiographique, si j’ose dire, ou autofictionnel de vos livres parce que en réalité il est beaucoup moins question de vous que de ce paparazzi incroyable. Ce personnage, qui ne peut être qu’un personnage réel, nous accompagne parce que il incarne l’esprit du temps comme nul autre me semble t-il.
CL : Oui, le « je » est là comme regard, comme conscience –d’ailleurs dédoublé-, comme réflexion à propos de ce personnage et effectivement c’est un livre que j’ai conçu davantage comme le portrait de cet homme et à travers lui le portrait de notre société contemporaine, en effet.
F. : C’est qui cet homme ? Dites-en quelques mots peut-être.
CL : C’est un paparazzi que la narratrice rencontre alors qu’il est en plein travail, en train de shooter, comme on dit dans le jargon, en train de shooter un chanteur de variétés et commence une liaison assez agitée parce que ce sont deux personnages qui a priori n’ont rien à faire ensembles, et c’est comme un autre monde pour la narratrice.
F. : Justement : on est dans le registre de l’autofiction mais il y a quelque chose du réel qui nous dévoilé là, par ce biais et par le biais donc d’une narratrice qui n’est pas au cœur de son récit. Est-ce que ça a pu éliminer, supprimer vos réserves initiales PJ ?
CL : Une narratrice qui ne se met guère en valeur….
PJ : …Et qui se dédouble dans le personnage de R. qui est en quelque sorte son démon intérieur, une sorte de lucidité en noir… Bon, comment dire les choses ? [F. : « mais dites-les comme vous les pensez !] On se dit tout ! C’est l’époque ! [dit en riant de la part de PJ] De tout ce qu’a écrit CL que j’ai lue, c’est certainement le texte que je préfère… Ca ne veut pas dire que j’adhère à ce texte pour des raisons que j’aurais peut-être du mal à donner. Mais dans tous les cas il y a deux choses qui m’ont beaucoup intéressé, c’est effectivement le portrait de cet étonnant, très étonnant personnage –à la fois parangon de virilité mais qui s’avère beaucoup plus compliqué que cela- et toutes les complexités de ce –je ne sais plus si l’on doit dire "paparazzo »- me semblent extrêmement intéressantes. Je dois dire quand même sans revenir à ce sujet que ce qui a trait à la polémique avec Marie Darrieussecq m’a également intéressé pour différentes raisons et d’abord parce que j’ai trouvé incroyable qu’un éditeur, à partir d’une querelle entre auteurs, puisse dire -quelle était la formule extraordinaire ?- : « Vous êtes libérée de toute obligation », ce qui me paraissait carrément de la science-fiction mais enfin…. Cela dit, quelque chose me retient, invinciblement -peut-être parce que j’ai toujours le sentiment, chez CL, d’une intention –je suis désolé-, en effet, d’une intention mais de quelque chose qui ne va pas jusqu’au bout. Vous donnez presque comme étrange –je ne sais pas si c’est vous la quatrième de couverture ou si c’est quelqu’un d’autre-, comme étrange ou paradoxal par exemple cette relation entre une intellectuelle et une sorte de chien fou qui ne lit jamais un livre alors qu’on est dans un topos, en fait. Ca n’empêche pas qu’un topos puisse être littérairement traité, en effet.
F. : Une intellectuelle et un paparazzo, même si c’est un topos, c’est tout de même assez rare. Même si l’amour ce sont toujours des mésalliances, fort heureusement mais là ça va fort !
PJ : C’est un vieux thème traité des milliers de fois sur le quel j’aimerais parfois que le texte aille plus loin, oui.
F. : CL, je vais dire tout de suite pourquoi je trouve ce texte très beau, très impressionnant mais il y a le problème –qui est vraiment le problème général de l’autofiction- tout d’un coup soulevé par PJ : votre éditeur, il change de nom mais tout le monde sait qui c’est. Et là on se dit : l’écrivain autobiographique s’expose, ça n’est pas si facile, il faut peut-être parfois un certain courage, exposer ses faiblesses et ses lâchetés…. Le problème est qu’il ne s’expose pas tout seul. [CL : « Oui »] Et Renaud Camus, fait un très bel éloge, dans « PA » de la discrétion. De ce qu’il appelle par ailleurs « l’in-nocence », ne pas nuire. Mais comment faire pour ne pas nuire ? c’est à dire… On peut être sûr –n’entrons pas dans le détail- que si l’éditeur était là, il donnerait de votre querelle une autre interprétation, il contesterait peut-être certaines des formulations que vous lui prêtez et c’est le cas pour lui mais c’est le cas aussi –et vous l’avez intégré dans votre propre œuvre continue- de votre mari. Qui a beaucoup souffert, semble t-il, de ce que vous dites, qu’il dit, qu’il a sans doute dit. Comment se débrouiller avec ça ?
CL : Oui c’est une question qui se pose à chaque instant pour un écrivain d’autofiction. Je cite souvent cette phrase de Philippe Lejeune, spécialiste de l’autobiographie qui dit : « Nous sommes copropriétaires de nos vies. » Et donc effectivement, certaines personnes sont fatalement, si je puis dire impliquées dans la narration quand on écrit à partir de sa propre vie. Je crois que cela relève de l’éthique de l’écrivain. En tous cas moi je sais que je me pose constamment la question : est-ce que je peux dire cela, est-ce que j’ai le droit de le faire par rapport à telle personne que j’engage, que j’expose… Je fais très attention. Parce qu’on se pose toujours la question de ce qui est écrit dans l’autofiction mais on oublie tout ce qui n’a pas été écrit, tout ce qui n’a pas été retenu justement, tout ce qui a été laissé de côté par l’auteur par souci de ne pas mettre excessivement en danger les personnes de l’entourage.
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