samedi 26 février 2011

A un ami qui écrit; portrait d'un écrivain à partir de "La contrevie" de Philip Roth (republication)


 

J’ai un beau jour allumé

Mon crayon-laser,

Un rayon-vert,

Éclair  de nausée

Vérité désespérée.

Vérité à dévoiler,

Avec le Crucifié ;

Vérité à transcender,

Avec le Ressuscité.



CF l'actualité récente sur Ilys et le texte d'XP : "Les trois débiles mentaux de Causeur"

Cher Ami,

Philip Roth... Il faut lire "La contrevie". En voilà un qui mélange réalité et fiction de façon si géniale qu'il provoque une sorte d'hypnose, (c'est vraiment le terme qui convient le mieux, à retenir) qu'il transporte son lecteur dans cette quatrième dimension (celle de la fiction ou de la vraie réalité) sans ménagements aucuns et crois-moi, il faut s'accrocher à ses quelques certitudes maigrichonnes pour ne pas sombrer dans la folie.Folie qui me parait de jour en jour être la Normalité la plus pure mais qui est ainsi traduite, décrite par ceux qui ne peuvent justement accéder à ces dimensions de l'être: on est traité de fou parce que l'on sait,on voit.Je ne veux plus qu'on me traite de folle parce que je considère que je suis la plus normale de toutes les femmes mais parfois, ce que je vois ou ce que je lis est cependant la vérité vraie, la réalité dévoilée. Yuja Wang, pianiste de renommée mondiale, explique en parlant de Chopin : "on est dans cet ailleurs et la réalité revient" : une pianiste, une interprète d'un artiste. Un lecteur est l'interprète aussi, d'un écrivain, d'un artiste. Il est transporté dans cet ailleurs et la réalité lui revient.Un autre ami m'écrit ceci : "Mais écrire.... [de] la fiction...Je ne sais que trop ce que cela engage. Plus de pudeur, une vie de forçat du stylo et surtout une aventure  spirituelle épuisante, dangereuse qui m'a toujours fait reculer.Je ne veux pas mettre ma famille en danger." On peut remplacer le terme d'écrire par celui de lire et l'on aura aussi, dans la lecture, "une aventure spirituelle épuisante, dangereuse, qui m'a toujours fait reculer."

Je pense qu'un  écrivain ne se pose pas toutes ces questions, il DOIT écrire sous peine de sombrer. Dantec dit qu'il lui faut écrire sinon c'est la littérature qui pourrait le tuer.("Tout roman est une forme de vie qui vous demande de la mettre au monde.Sinon il se pourrait bien qu’elle vous tue, elle.") Il a le Don. Tu le possèdes aussi très certainement.

Nous autres, lecteurs, sommes à la périphérie de cette quatrième dimension que vous dévoilez, vous autres écrivains, nous tournons comme de petits satellites autour de l'immense soleil... Dans le même temps, ces satellites, invinciblement attachés au soleil par une puissance attractive indépendante de leur volonté, ces petits satellites parfois se rapprochent dangereusement de l'astre lumineux (l'écrivain) qui se révèle, être, en fait, un immense trou noir, qui avale tout, absorbe tout pour le régurgiter à sa façon.(sous forme de rayons, de lumière, de vérité). Tout vous sert pour écrire, les gens, les objets, vos proches, vos sentiments, vos maladies, vos emmerdes, etc...

C'est un peu beaucoup le thème de Philip Roth dans La contrevie et c'est pourquoi il faut le lire. C'est le portrait de l'écrivain le plus vraisemblable, le plus juste que j'ai trouvé jusqu'ici et il te ressemble bien, XP.

Un passage de Roth : "Tu cherches un nouvel adversaire, avoue-le. Tu en as peut-être assez de te battre contre les Juifs, contre les pères, contre les inquisiteurs de la littératures, parce que plus tu te bats contre ces adversaires à domicile, plus ton conflit intérieur s'intensifie. Mais te battre contre les goyim, voilà qui est clair. Pas d'incertitudes, pas d'états d'âme, on peut faire le coup de poing en toute légitimité, en toute bonne conscience. Toi, quand on te résiste, quand tu te retrouves au milieu de la mêlée, ça te donne du ressort. Après toute la douceur qui est la mienne, tu meurs d'envie d'une bonne collision, d'un choc - n'importe lesquels, pourvu qu'il y ait assez d'antagonisme pour faire fumer le récit et servir de détonateur à ces philippiques véhémentes que tu adores. être juif chez Grossinger, c'est un peu rasoir, de toute évidence - mais en Angleterre, tu découvres que la partie est plus difficile, alors pour toi, elle devient drôle. Les gens te disent : "il y a des réserves", et là, te voilà revenu dans ton élément. Les réserves, tu t'en délectes."

Ce texte de Roth où l'un des personnages du roman, une jeune femme, Maria, quatrième femme de l'écrivain Nathan Zuckerman, évoque son état, sa nature d'écrivain, je pourrais te l'attribuer mot à mot, XP, peut-être en remplaçant le terme de juif par celui de chrétien , ou d'européen ou d'occidental pour élargir le champ de ton adversaire actuel, à ta mesure. Non que tu voues une haine aux chrétiens, pas du tout, mais disons qu'il est le matériau, ta nécessité pour écrire, ta" réserve". Jérôme Leroy, tu l'as tiré de ces réserves, Nicolas Hulot, Yann Arthus Bertrand, Christine Boutin, Naulleau,Ferrat récemment, les catholiques traditionalistes, les intégristes de tout poil, les intellectuels, les communistes, les socialos, les "artistes" , tous tirés du néant, de leurs abîmes insignifiantes pour servir ta Cause, celle de ton écriture. Nous ne faisons pas de politique sur Ilys, ne cesses -tu de répéter, tu as raison, tu n'en fais pas, jamais, tu fais de l'écriture, des pages et pages, tu avances en roulant comme un fou-furieux sur la route et ton bolide a besoin d'essence, de beaucoup d'essence. Nommer cet ennemi sans nom et sans visage, c'est cela le propre de l'écrivain et en nommant tu donnes la vie à ce qui était en  état de mort-vivant. "... il me ramène ses trouvailles.... - et pour l'artiste, toutes les choses sont pures." explique l'héroïne -écrivain , Mrs Stormer, dans la nouvelle d'Henry James :  "Greville Fane".

Grand rôle, grande responsabilité, tu tues, tu agresses, tu assassines, tu étripes, tu dissèques de façon obsessionnelle pour mieux régénérer ces zombies qui forment notre réalité. Voilà pourquoi ceux qui lisent vouent amour et haine à l'auteur : est-on vraiment heureux et satisfaits de sortir des limbes cette réalité qui se présente sous des jours pour le moins glauques et terrifiants? (et là je repense à Lovecraft, ses nouvelles, que je lis toujours en vacances, en Bretagne, dans ma chambrette à la géométrie bizarre, comme celle dans cette histoire de Lovecraft, "La chambre de la sorcière" : de cet espace tordu peuvent sortir, naitre des monstres infernaux auparavant "bloqués" dans une autre dimension souterraine... ) A-t-on vraiment, vraiment envie de tout savoir sur les gouffres de nos âmes? Les Jérôme Leroy, les Naulleau ainsi ressuscités dans différentes "contrevie" (combien de fois as-tu "suicidé" Jérôme Leroy, combien de situations pour le moins édifiantes lui as-tu fait "vivre"? combien de fois as-tu joué avec ta proie?) ils nous renvoient à nos propres esprits, cœurs, corps, ils sont les visages qui apparaissent dans nos miroirs et l'envie peut prendre de casser le miroir c'est à dire de détruire celui qui nous l'a tendu, ce miroir, en nous disant : "tiens! regarde! Mais regarde donc!!" Voilà ce que tu es vraiment! L'écrivain que tu es se réjouit comme un gosse de présenter cette glace et ce portrait, mais celui qui regarde lit jaune bien souvent et son rire sonne faux. Voilà pourquoi l'écrivain est "l'ennemi public" selon la formule de Houellebecq.

Un autre passage de Roth, celui où le frère de Nathan l'écrivain, Henry, se glisse subrepticement dans l'appartement de son frère décédé pour subtiliser des pages de manuscrit compromettantes pour lui-même : "Il avait beau connaitre son frère, il ne l'aurait jamais cru capable d'écrire ces lignes. Toute la journée, il avait fait la sourde oreille à sa rancune, il l'avait condamnée, il s'était fait l'effet d'un misérable pour ne rien éprouver, il s'était flagellé pour son incapacité à pardonner, et voilà que ces pages, outre qu'elles le tournaient en ridicule de la pire façon, le mentionnaient par son nom. Tout le monde, d'ailleurs, apparaissait sous sa propre identité, Carol, les enfants, et même Wendy Casselman, la petite blonde qui, avant de se marier, avait brièvement été son assistante."

En tant que lecteur, cette fois, "[nous] aurions besoin de toute la pureté de l'artiste pour pardonner." continue Henry James.

C'est le juif dans tous ses états qui est observé à la loupe par Roth via son héros fétiche, Nathan Zuckerman, juif-américain, c'est le juif de la diaspora, le juif d'Israël, le juif qui rejette ses origines, celui qui les retrouve, le juif confronté à l'antisémitisme réel ou imaginaire, le juif, le juif, le juif.
Chez toi XP, c'est le chrétien dans tous ses états, le chrétien croyant, pratiquant, celui qui renie ses origines judéo-chrétiennes, l'athée, le chrétien "social", celui qui se dresse avec ces mêmes origines comme étendard, comme excuse, comme culpabilité, comme creuset de sa propre tombe, le chrétien, le chrétien, le chrétien. Le catholique à babouche, le gardien de vaches diplômé, le libéral à babouches, etc...

Qui comprend cela ? Qui accepte cela? Je ne sais pas, le petit satellite que je suis, à force de tourner autour de ces multiples soleils, ces lectures, ces vies et contrevies, a le vertige, parfois jusqu'à la nausée. Lire, se regarder dans la glace, s'essayer à différents visages, portraits, est plus difficile qu'on ne le croit. On croit tenir une vérité et tout à coup, l'image se tord, devient floue, se trouble.

Voilà XP, voilà une présentation bien particulière de Philip Roth, de sa "contrevie",  puisque c'est un portrait d'écrivain que j'ai dressé... et aussi, et toujours chez moi, en miroir, le "portrait" du lecteur.

9 commentaires:

  1. Quel cadeau superbe tu me fais!

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  2. Rends-toi compte : j'ai failli jamais te le faire ce cadeau!!
    J'étais enfermée dans une chambre d'enfant ce matin (poignée de porte cassée), j'ai du sortir par la fenêtre, puis par le toit de la maison puis sauter sur le toit de ma bétaillère -c'est vraiment Jolly Jumpy, tu as raison!- pour rentrer chez moi ensuite.
    Les joies de la campagne (isolée)...^^

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  3. Ah oui, alors toi aussi tu fais des cascades,comme Restif...je crois que je suis entouré de fous!

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  4. Oui, je fais des cascades comme Restif mais je m'en sors mieux lui...
    Entouré de fous? ouaip.

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  5. Après la belette dans la piscine, la crevette sur la voiture !!

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  6. Cette voiture est vraiment vraiment spéciale : toujours là quand j'ai besoin d'elle...
    Sinon, c'était pas une belette mais une fouine dans la piscine.

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  7. Il y a un film que j'aime beaucoup d'Hitchcok, "La main au collet" auquel j'ai pensé pendant que je gambadais sur mon toit de maison : il me fallait décider de me laisser pendouiller par la gouttière pour sauter en bas ou bien passer par la case voiture...

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  8. Mon Dieu, j'ai de la chance, de recevoir d'aussi jolis cadeaux^^

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  9. Je pense que c'est pas mal cette comparaison Roth XP.

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