samedi 6 février 2010

La terreur Stalinienne, réflexion sur les totalitarismes et leur traitement .

Notes prises à partir de l'émission de Finkielkraut, Répliques, le 05 02 2010
Invités : Nicolas Werth et Bérénice Levet
Nicolas Werth a écrit un livre L’ivrogne et la marchande de fleurs : autopsie d’un meurtre de masse, 1937-1938 (Tallandier, 2009) http://www.causeur.fr/la-grande-nuit-stalinienne,3719
J'ai entrecoupé ces notes succinctes de grandes citations de Finkielkraut lui-même dans Un cœur intelligent. Je remercie au passage Louis G. qui a évoqué de façon providentielle cet ouvrage hier, dans un commentaire, et j'ai ainsi pu relire le chapitre sur Grossman, Finkielkraut y fait référence pendant son émission. 


Près de 750000 citoyens soviétiques sont exécutés entre le mois d'août 1937 et le mois de mars 1938, un des plus grands massacres d'État jamais perpétré et le devoir de mémoire qui s'applique communément au nazisme demeure curieusement inappliqué en ce qui concerne la terreur stalinienne. "Les victimes disparaissent tout simplement."
Dans le cas de cette terreur, issue d'une vaste ingénierie sociale, l'innocence ne préserve de plus rien, c'est la société tout entière qui est coupable, criminalisée.
[Finkielkraut dans Un cœur intelligent, le chapitre intitulé : "Les orphelins du temps, Lecture de Tout passe, de Vassili Grossman" :  "Il y a d'autres livres sur le goulag, sur le totalitarisme, sur l'antisémitisme stalinien, sur le malheur russe et sur la tragédie soviétique, mais il n'y a pas d'autre livre sur la radio de Magadan et sur les larmes de Macha. Grossman a suivi la voie tracée par Tchekhov : il a ancré, il a incarné il a singularisé le sens au lieu de le laisser rejoindre la totalité en s'affranchissant des visages. C'est, sinon la vengeance, du moins la réponse de la philosophie du roman à l'envoûtante rencontre du théorique et de l'imaginaire que constitue le roman de la philosophie et à la dangereuse ivresse d'aimer ou d'exécrer les êtres abstraits, sans nom ni prénom, qui en découle."
Finkielkraut s'interroge malgré tout : quel est le noyau de rationalité de ce massacre?
NW : au départ, les agent de la terreur avaient 15 catégories de personnes présumées coupables. (par exemple, celles qui étaient déjà auparavant fichées par la police). Mais très rapidement, la machine va s'emballer et le champ de culpabilité va recouvrir tout le monde, il va falloir trouver et tuer beaucoup plus que ceux qui entrent dans les catégories de départ.
BL : les agent de la terreur fabriquent des coupables. La violence n'est plus articulée à une fin.
AF : cette violence, en s'émancipant de sa finalité, se retourne contre elle-même puisque Staline décime sa propre armée! Il affaiblit ses propres défenses en décimant son peuple!

La question première revient : pourquoi la différence de traitement entre le communisme et le nazisme.
 NW : ces dernières années, un travail très intéressant est fourni pour redonner chair à toutes ces victimes anonymes.
BL : le problème du communisme est qu'il ne s'explique pas simplement par la question raciale comme le nazisme. L'antiracisme est le seul combat aujourd'hui, dans toutes les mentalités, pour tous les esprits. (Mais, selon Primo Lévi, même le racisme ne suffit pas à expliquer le nazisme.)
En fait c'est le fait d'en arriver à traiter le réel comme un matériau, comme un matériau susceptible d'expérimentations c'est cela qui donne la meilleure définition des totalitarismes, nazisme et communisme. Hitler et Staline ont pris leur pays et le monde comme un champ d'expérimentation.
NW : chez Lénine on remarque déjà cette volonté de purifier la terre russe de ces "poux", de ces "insectes". Cette "animalisation" des termes, cette idée du nettoyage total.
F : en fait cette idée communiste que le Bien est encore possible dans ce monde n'a jamais complètement quittée nos esprits modernes. D'où la difficulté d'un devoir de mémoire pour le communisme.
[Finkielkraut : même livre et chapitre que précédemment :
"Il n'y a pas non plus  de solution historique : "Là où se lève l'aube du Bien, écrit encore Ikonnikov, les enfants et les vieillards périssent, le sang coule[...], j'ai pu voir en action la force implacable de l'idée de bien social qui est née dans notre pays." Ce n'est pas la force brute en effet, c'est la force implacable du Bien, c'est la haine au nom de l'amour qui se sont abattues sur les paysans d'Ukraine. Mais si le Bien n'est ni dans la nature ni dans l'histoire, que reste-t-il? A quoi peut-on croire pour ne pas sombrer dans le désespoir nihiliste? Il reste, dit Ikonnikov, la "petite bonté", la bonté de tous les jours, la bonté sans discours, sans doctrine, sans système, la bonté des hommes hors du Bien religieux ou social, le désintéressement tacite, le geste simple d'un être pour un autre être, en-deçà ou au-delà des généralités et des abstractions."


Finkielkraut  évoque Hannah Arendt qui parle de la nécessité pour le moderne de se réconcilier avec l'existence. Le moderne continue de vivre dans le ressentiment contre son état de créature limitée. La leçon du XXè siècle n'a pas été tirée. Le communisme comme le nazisme ont le monde comme Volonté. Nous n'avons pas renoncé aux grands rêves prométhéens. Le nazisme s'est dressé contre la religion de l'Humanité, (d'où  sa plus facile explication et éradication), le communisme lui revendique au contraire la religion de l'humanité, l'égalitarisme. Sorte de Docteur Jekyll et Mister Hyde, à la source commune : le déni du réel. (de la finitude)Mais la réflexion pour le communisme n'avance pas puisque le communisme  prône le Bien, celui de l'Homme, ce qui a priori apparaît comme quelque chose de très positif contrairement au nazisme qui lutte contre l'Homme, contre l'Autre.. L'attitude totalitaire est corrélée à la guerre : la lutte à mort, la lutte totale puisque la fin visée est totale, absolue. On ne renoue pas avec le Politique.

[Finkielkraut, toujours  dans Un cœur intelligent, même chapitre que précédemment :
"Qu'en est-il désormais pour Vassili Grossman de la fin ultime qui fléchait le temps? Qu'en est-il de la grande promesse qui justifiait tous les sacrifices : rendre l'ouvrier et le paysan maîtres de la vie? Cette promesse n'est pas émancipatrice, elle est fatale, car elle associe la liberté et la domination. Or la liberté, ce n'est pas le règne humain accompli, ce n'est pas la coïncidence finale du réel et du rationnel, c'est le défi jeté par la pluralité humaine à cette ambition totalisante. En voulant réduire, jusqu'à la faire disparaître, la part de l'immaîtrisable et de l'incalculable, on bâtit une société d'esclaves."]

Question posée à Dantec : "Pourchassées dans La Sirène Rouge, assassinées dans Les Racines du Mal/Artefact/Metacortex, torturées et transformées en automate dans Villa Vortex, la fillette suppliciée est une image récurrente dans l'imaginaire Dantecquien depuis plus de 30 ans. D'où vous vient cette obsession ?"

Réponse de Dantec : "Mon côté sentimental, je présume.Plus sérieusement, je ne sais pas, et peu importe. Elles, elles le savent, c’est amplement suffisant."
Et : Delsol dans Éloge de la singularité :
"Comment tirer leçon des expériences tant que la conscience occidentale demeure habitée par la nostalgie de l'utopie? L'homme moderne a cru apercevoir ce que Grégoire de Nysse appelait la Beauté désespérante, la beauté parfaite du Bien, entrevue dans un instant rare, et aussitôt enfuie. Cette disparition semble dès lors inacceptable. L'amant se met à errer dans un monde où plus rien ne lui agrée. Tels apparaissent tant d'anciens disciples du communisme, marqués par ce que les Européens du Centre-Est appellent la morsure hégélienne. La morsure est blessure, déchirement de tissus protecteurs et pénétration d'un corps étranger qui imprègne - de poison? le chien mais aussi le serpent ou le scorpion, mordent -, puis se retire, laissant ouverte la plaie. L'utopie égalitaire représente sans doute le plus ancien rêve social, l'attente des siècles. Qui l'a vue de près, ou a cru la voir ou la toucher, qui a cru en préparer avec ferveur la constitution majestueuse, alors ne s'en remet pas. Une fois le rêve délité, l'échec avéré, le disciple se prend à courir derrière cette ombre, il l'appelle, il tâtonne dans le noir à sa recherche et, surtout, détruit inlassablement tout ce qui se présente et ne lui ressemble pas."

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