jeudi 31 décembre 2009

Le grand passage, Cormac McCarthy; B l'église : " un terrain à la fois sacré et miné"

"Mû par on ne sait quel instinct le vieil homme restait sur un terrain à la fois sacré et miné. C'était un choix de sa part, un geste; Tout le monde reconnaissait le pouvoir de son témoignage. La force de sa conviction sautait aux yeux. dans ses paroles il n'y avait ni mesure ni modération. Dans sa nouvelle vie le libertin se montrait à visage découvert. Vois-tu? Son arrogance allait jusqu'à mettre en jeu sa vie. sur ce terrain plein de danger il s'était érigé en témoin, le seul témoin qu'il pourra jamais y avoir, et si certains voyaient dans ses yeux l'exaltation de la folie que pouvait-on chercher d'autre chez un homme qui avait provoqué le Dieu de l'univers sur un terrain choisi par ce Dieu? Car il est dans la nature même d'un tel lieu d'être toujours dangereux et provisoire. Et c'est là en vérité que devons plaider notre cause, là ou nulle part.
Et le prêtre? Un homme aux idées larges. d'esprit libéral. Un homme généreux même. Une sorte de philosophe. On pourrait dire pourtant que la voie qu'il suivait en ce monde était si large qu'il laissait à peine de trace. Il avait en lui une grande vénération pour le monde, ce prêtre. Il entendait la voix de la Divinité dans le murmure du vent, dans les arbres. Même les pierres étaient sacrées. C'étaient un homme raisonnable et il croyait qu'il y avait de l'amour dans son cœur.
Il n'y en avait pas. Et il n'est pas vrai que Dieu murmure dans les arbres. On ne peut pas se tromper sur Sa voix.Quand les hommes l'entendent ils tombent à genoux et leur âme se déchire et ils crient vers Lui et il n'y a en eux aucune crainte mais seulement cette frénésie du cœur née d'une si puissante aspiration et ils supplient que sa Présence perdure car ils savent dès le premier instant que si les hommes sans Dieu peuvent vivre assez heureux dans leur exil ceux à qui Il a parlé ne peuvent envisager la vie sans Lui mais seulement les ténèbres et le désespoir. Les arbres et les pierres n'en font pas partie. Voilà. Le prêtre avec la générosité même de son esprit était en péril mortel et ne le savait pas. Il croyait en un Dieu infini sans centre ni circonférence. Par cette absence même de forme il avait tenté de rendre Dieu gérable. C'était son acte de mitoyenneté, sa colindancia. A force de générosité il avait cédé tout le terrain. Et dans son pacte de mitoyenneté Dieu n'avait plus voix au chapitre du tout."

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