dimanche 8 novembre 2009

J'ai traversé l'épreuve et j'en suis sorti


Ci-joint un commentaire que j'ai laissé sur ce site : http://renartleveille.wordpress.com/2009/10/14/un-dinosaure-dans-la-blogosphere/#comment-16836

lire d'abord l'intervention de Dantec sur son site à lui pour comprendre de quoi il retourne :

http://www.mauricedantec.com/article/article.php/article/l-etincelle-et-les-extincteurs


Re bonjour ou re bonsoir,je ne sais pas trop : j’ai retrouvé un passage de K. Dick qui explicite à mon sens fort bien l’épreuve traversée par cette écrivain, Nelly Arcan.
Dans ce passage, le “combat” se termine bien. Pour Nelly Arcan, ça n’a pas été le cas. Je serais tentée de lui transmettre des excuses, comme l’un des héros de K. Dick : le soutien envers nos écrivains, nos artistes doit être inconditionnel et total.
Je commence par mette en exergue un passage du texte de Dantec, pour faire écho à K. Dick.Comprenne qui pourra!
Excusez-moi, derechef, pour la longueur du post.
Merci à Maurice G. Dantec pour son intervention si éclairante.

NELLY ARCAN : L'ETINCELLE et LES EXTINCTEURS par Dantec :

"Peu de temps après la parution d'A ciel ouvert, alors que la critique journalistique poursuivait ses valses-hésitations autour de la « nouvelle Nelly Arcan », l'hebdomadaire gratuit ICI-MONTREAL parvint à l'attirer dans ses colonnes même pas infernales, et le ciel enfin offert se transforma irrésistiblement en une nouvelle cellule carcérale, celle de la presse à poncifs humanitaires, celle des pigistes guévaristes à la petite semaine, celle des « transgressifs » à géométrie phantasmatique variable, celle qui aimait bien Nelly Arcan, mais sous la neige carbonique des idées reçues.
Ainsi Nelly Arcan devint chroniqueuse socio-culturelle pour une vulgaire machinerie du nihilisme soft alors même que les cieux littéraires s'étaient enfin ouverts dans l'orage de la krisis ontologique, avaient avalé le monde, et permis à toutes les identités de sa personne de se réunir tout en restant disjointes bref, au moment où elle était devenue un écrivain à part entière."

Philip K. Dick, dans le Maître du Haut-Château :
"... cet objet [une broche créée de façon artisanale] nous laisse entrevoir un monde entièrement nouveau.
(...)
-Les mains de l’artisan, dit Paul, avaient du wu, et ont permis à ce wu de s’infiltrer dans cette pièce [la broche]. Il est possible qu’il ne sache qu’une chose, c’est que cette pièce le satisfait. Elle est complète, Robert.
[comme le dernière ouvrage de Nelly Arcan : un livre à part entière]
(...)
Des pièces comme celle-ci... dit Paul qui prenait une fois de plus la broche à la main.(Il referma le couvercle et rendit la boîte à Childan.)... peuvent être produites en grande série. Soit en métal soit en plastique. D'après un moule. En n'importe quelles quantités.
-Et en ce qui concerne le wu? demanda Childan au bout d'un instant. Est-ce qu'il subsisterait dans les articles ainsi fabriqués?
Paul ne répondit rien.
(...)
-Il semblerait, dit Childan, qu'il y ait beaucoup d'argent à gagner là-dedans.
Paul fit signe que oui.
-C'est cela votre idée? demanda Childan.
-Non, dit Paul et il resta silencieux.
(...)
-Les artisans américains ont fait cet objet entièrement à la main, c'est exact? C'est un travail de leur corps?
-Oui, depuis le dessin original jusqu'au dernier polissage.
-Monsieur! Est-ce que ces artisans vont marcher? J'imaginerais qu'ils rêvent d'autre chose pour leur travail.
-Je me risquerai à dire qu'on pourra les persuader, dit Childan. (Le problème lui apparaissait comme mineur.)
-Oui, dit Paul. Je le suppose.
Il y avait quelque chose dans le ton de Paul que Childan remarqua aussitôt. Une façon nébuleuse et particulière d'insister. Cela s'imposa à Childan. Il avait sans aucun doute dissipé l'ambiguïté : il voyait.
Bien sûr. Toute cette affaire, c'était le cruel renoncement auquel aboutissaient les efforts des Américains, et il y assistait. Du cynisme, mais à Dieu ne plaise, il avait avalé l'hameçon, la ligne et le plomb. Il m'a conduit à cette conclusion : les productions manuelles américaines sont tout juste bonnes à servir de modèles pour des porte-bonheur de pacotille.
C'était ainsi que les Japonais imposaient leur domination, non par la brutalité, mais avec cette subtilité, ingéniosité, une ruse inlassable.
Seigneur! Nous sommes des Barbares à côté d'eux. Nous sommes simplement des lourdauds en présence de raisonnements aussi impitoyables. Paul ne m'a pas dit que notre art est sans valeur; il me l'a fait dire. Et par une ironie suprême, il se prend à regretter ce que j'ai dit. Une manifestation de chagrin simulé, comme peut en avoir un civilisé, en entendant la vérité sortir de ma bouche.
Il m'a brisé dit Childan, presque à haute voix- heureusement, cependant, on ne l'entendit pas, cette pensée resta pour lui seul. Il nous a humiliés, ma race et moi. Et je suis sans recours. Il n'y a pas moyen de se venger; nous sommes battus et nos défaites sont comme cela, si ténues, si délicates que nous pouvons à peine les percevoir. En réalité, il nous faut franchir une étape dans notre évolution pour pouvoir prendre même conscience que c'est arrivé.
(...)
Paul, dit Robert Childan.(Sa voix était comme un coassement maladif; ni contrôle ni modulation.)
-Oui, Robert.
-Paul... je...suis... humilié.
Sa tête tournait.
-Pourquoi cela Robert?
Il paraissait intéressé, mais il était plutôt détaché. Il ne se sentait pas en cause.
-Paul. Un moment. (Il tripotait le petit bijou, qui était humide de sueur.)Je... suis fier de ce travail. Il ne peut pas être envisagé d'en faire des porte-bonheur de pacotille. Je rejette l'idée.
Une fois de plus, il ne put saisir la réaction du jeune japonais, qui prêtait simplement l'oreille, sans plus.
-Merci tout de même, dit Robert Childan.
Paul s'inclina.
Robert Childan s'inclina.
-Les hommes qui ont fait cela, dit Childan, sont des artistes américains pleins de fierté. Moi compris. Suggérer d'en faire des porte-bonheur de pacotille est donc une injure et je demande des excuses.
Un silence incrédule et prolongé.
Paul le guettait toujours. Un sourcil relevé légèrement et ses fines lèvres crispées. Un sourire?
-Je le demande, dit Childan.
C'était tout; il ne pouvait pas aller plus loin.
A présent, il se contentait d'attendre.
Rien ne se passait.
S'il vous plaît, disait-il en lui-même, aidez-moi.
-Pardonnez mon excès de prétention.
Il lui tendit la main.
-Très bien, dit Robert Childan. Il se serrèrent la main.
Le calme revint dans l'esprit de Childan. J'ai traversé l'épreuve et j'en suis sorti. Tout est fini. Par la grâce de Dieu; cela s'est produit au moment précis où il le fallait pour moi. Une autre fois - cela se passerait autrement. Pourrais-je jamais oser une fois de plus forcer ma chance? Probablement non.
Il se sentait mélancolique. Un bref instant, comme s'il montait à la surface et la voyait dégagée.
La vie est courte, se disait-il. L'art, ou quelque chose qui n'est pas la vie, est long, cela s'étend sans fin, comme un ver solide.Plat, blanc, il n'est pas lissé par le passage de quoi que ce soit par dessus ou en travers. Je suis là. Mais pas pour longtemps. Il prit la petite boîte et rangea la joaillerie Edfrank dans la poche de son veston.

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