mercredi 14 octobre 2009

Un romancier écrit et ne renonce jamais.

Il faut parler, à propos des romans les plus aboutis de McCarthy (dont incontestablement, le très violent Méridien de sang est l'épure) d'un véritablement élargissement, la prose magnifique du romancier américain devenant grosse d'un mystère qui la dépasse mais devant lequel elle ne désespère point. On dirait que Céline, de rage, détruit ce qu'il ne peut ou veut comprendre. McCarthy ne se couche pas ni ne cille devant le sombre spectacle de l'horreur. Il paraît même ne lui adresser aucun reproche.. Il endure.Il se tient debout devant elle et consigne minutieusement chaque élément de la scène, cadavres en putréfaction, bagarres inouïes, cannibalisme, tueries abominables, lâchetés insignes, sabbats autour des feux sorciers. Contrairement à nos bavards romanciers se gargarisent d'un paganisme approximatif coupé à l'eau plate d'un catéchisme de Procure, qui chiquent puis recrachent, à la demande des pions aisément choqués, un Christ verdâtre qui n'a plus qu'une fort lointaine parenté avec celui des Évangiles et ressemblerait plutôt à la pâte molle d'une sucrerie gluante sucée par un Lautréamont en culottes courtes, McCarthy ne s'embarrasse pas de méandreuses circonlocutions prétendant épuiser l'indicible ou son contraire, l'ineffable.McCarthy écrit comme Goya peint : en voyant, et ce don de première vue si je puis dire ne fait jamais l'impasse de la réalité, aussi laide ou horrible soit-elle, qui se tient sous le regard.
C'est pourtant cette farouche volonté de ne pas détourner le regard dégouté vers le ciel qui constitue comme espèce de don de voyance, pour le coup une seconde vue. Un romancier écrit et ne renonce jamais.Un faux romancier, un romancier raté comme l'a été Maurice Blanchot, écrit pour dire qu'il ne peut pas écrire ou bavarde, comme Louis-René des Forêts, pour affirmer que l'essence du langage est de toute façon un impondérable qu'aucun discours ne pourra définir.McCarthy, lui, écrit et, en écrivant, ne renonce pas.En écrivant, il affirme que la littérature est cette écriture prodigieuse qui rarement s'embarrassera de considération fort savantes sur sa propre irréalité. McCarthy écrit comme Goya peint et, peignant, pose incontestablement que la vérité de la peinture ne saurait souffrir aucun discours second. Il est comme Goya griffonnant sans relâche ce qu'il voit et, plus encore, ce qu'il a vu, l'horreur à venir, l'horreur présente et passée (multipliant les masques comme le diable des Veilles de Bonaventura, l'horreur n'a pourtant qu'un seul visage que nul n'a vu) à quelque pas des charniers et des atrocités de la guerre.Notre romancier soulignons-le, pérore toutefois beaucoup moins que Goya affichant lourdement, dans l'une de ses plus célèbres gravures, son lumineux (et nigaud) credo révolutionnaire : "El sueno de la razon produce monstruos", pieuse bêtise reprise par toutes les comptines maçonniques puisque nous savons que c'est au contraire le plein jour de la Raison qui enfante les monstres les plus innommables. Ce qui fait de Cormac McCarthy l'un des écrivains les plus secs, je veux dire avare de mots qu'il m'a été donné de lire.Dans cette sécheresse germent des mondes.
(La littérature à contre-nuit, Juan Asensio)

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