jeudi 15 octobre 2009

Solitude : "à présent, l'idée, la certitude de son impuissance était devenue le centre éblouissant de sa joie"

"Est-il possible d'édifier une existence autour du feu de quelques livres? La réponse est : oui, sans conteste. l'erreur serait de croire qu'il s'agit d'une erreur."
(Savoir de Guerre, de Christophe van Rossom)


(dans La joie, Georges Bernanos)

"L'idée de cette solitude sans recours, éternelle, à peine eût-elle osé la concevoir, brisa d'un coup toute résistance, l'acheva. Elle leva les yeux vers le Christ pendu au mur un regard avide, et sans pouvoir se détourner plus longtemps de la source ineffable dont la soif la dévorait, elle glissa sur les genoux, se jeta dans la prière, les lèvres serrées, les yeux clos, comme on tombe, ou comme on meurt.

Jusqu'alors, elle n'était jamais entrée dans le monde étrange où elle avait seule accès que par une pente insensible : cette fois, elle s'y sentit couler à pic. Littéralement, elle crut entendre se refermer sur elle une eau profonde, et aussitôt, en effet, son corps défaillit sous un poids immense, accru sans cesse et dont l'irrésistible poussée chassait la vie dans ses veines. Ce fut comme un arrachement de l'être, si brutal, si douloureux, que l'âme violentée n'y put répondre que par un horrible silence... Et presque dans la même incalculable fraction de temps, la Lumière jaillit de toutes parts, recouvrit tout.
- Qu'ai-je donc cherché? se dit Mlle de Clergerie. Où étais-je? (Elle croyait reconnaître un à un chaque objet familier, il semblait qu'elle pût désormais les envelopper et les étreindre de ce regard intérieur qui baignait dans un autre jour.) Etait-il donc si difficile de me remettre entre Ses mains? M'y voici.

Car à présent, l'idée, la certitude de son impuissance était devenue le centre éblouissant de sa joie, le noyau de l'astre en flammes. C'était par cette impuissance même qu'elle se sentait unie au Maître encore invisible, c'était cette part humiliée de son âme qui plongeait dans le gouffre de suavité.Lentement, avec des soins infinis, elle achevait de consommer amoureusement cette lumière éparse; elle en concentrait le faisceau en un seul point de son être, comme si elle eût espéré faire ainsi sauter un dernier obstacle et se perdre en Dieu par cette brèche. Encore un court moment, le flot fut étale. Puis la vague flamboyante commença de baisser doucement, insidieusement, jetant çà et là son écume.La douleur venait de reparaître, ainsi que la dent noire d'un récif entre deux colonnes d'embrun, mais dépouillée de tout autre sentiment, réduite à l'essentiel, lisse et nue, en effet, comme une roche usée par le flot. A ce signe, Mlle de Clergerie reconnut que la dernière étape était franchie, son humble sacrifice reçu, et que les angoisses des dernières heures, les doutes et jusqu'à ses remords venaient de s'abîmer dans la prodigieuse compassion de Dieu."



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire