"Elle laissa couler entre ses paupières, vers sa petite-fille, un regard indéfinissable, à la fois anxieux et rusé :
-Qu'est-ce que tu veux que je te donne? Il y a bien la parure d'émeraudes, qui vient de ta tante Adoline... A quoi ça sert, tu ne pourrais pas la porter... Choisis plutôt du solide.
- Bah! fit Chantal, ne cherchez pas... Je sais ce que je m'en vais vous demander... Vous pourrez dormir après, dormir sur vos deux oreilles, dormir comme vous n'avez jamais dormi.
La folle ouvrit tout à fait les yeux.
-Donnez-moi vos clefs, mama, vos chères clefs.
- Mes clefs!
- Mais oui, vos clefs. Ce sont vos clefs qui vous empêchent de dormir. Chacune d'elles est un petit démon, et chacun de ces petits démons est, à lui seul, plus lourd qu'une montagne. Avec un poids pareil, ma pauvre mama, quand les anges s'y mettraient tous à la fois, ils n'arriveraient pas à vous traîner jusqu'en paradis.
(La joie, Georges Bernanos)
Oui, effrayant ce texte d'Alibekov.http://bouteillealamer.wordpress.com/2009/10/13/presage/
J'ai lu il y a quelque temps Démons et merveilles de Lovecraft. Bien évidemment c'était à une période où mon mari était absent , j'étais dans une bicoque en Bretagne avec quelques petits et planquée sous ma couette je lisais donc ce petit bouquin.
La première nouvelle m'a fichue bien la trouille comme il faut et j'ai eu l'impression d'entendre mon cher et tendre avec ce passage : "Je regrette, dit-il, d'avoir à vous demander de rester à la surface mais ce serait un crime que de permettre à quelqu'un ayant vos nerfs fragiles de descendre là.(...) Je ne veux nullement vous offenser et le Ciel sait combien je suis heureux de vous avoir avec moi, mais le sens de ma propre responsabilité m'interdit d'entraîner dans cet enfer, vers une mort probable ou probable folie, un paquet de nerfs de votre espèce."
Eh bien, il pourrait me dire de nouveau ce type de commentaire, le cher homme, en m'expliquant qu'il y a certaines réalités qu'une femme, à fortiori une crevette, se doit d'ignorer..Ne pas lire les rêves d'Alibekov, par exemple, ajoutera t-il en me lançant un regard en coin.
Ah! lui répondrais-je, la curiosité est décidément un vilain défaut de crevette...
Il soupirera, il rira un peu à moitié et me dira : je serai là lors des mauvais rêves...
Mais alors je lèverai la tête et lui dirai : cher ami, il ne s'agit plus de rêves, mais de ce que je vois au quotidien.
Ce sont nos enfants que je vois pourrir,et mourir, c'est moi qui m'enfonce, et tous autour de moi.
La clé des rêves a disparu. Et le monstre est remonté à la surface.
Alors, à ce stade, j'ai un autre ami qui connait son Léon Bloy comme le fond de ses poches.Il m'a écrit récemment : Bloy, voulait "soulever les dessous du langage."
Pour avoir moi-même lu un peu Bloy, je peux comprendre cette curieuse expression et savoir qu'il a réussi d'une certaine façon son pari.Toute la question est de savoir si l'on a le courage une fois la dalle soulevée, de s'enfoncer dans le gouffre.
Dans la même nouvelle de Lovecraft que je citai plus haut, les deux aventuriers soulèvent une dalle dans un cimetière glauquissime pour y traquer la chose.
"La dalle une fois enlevée, une sombre ouverture se révéla d'où s'échappèrent des gaz et des miasmes si nauséabonds que, saisis d'horreur, nous bondîmes en arrière. Au bout d'un moment, trouvant les exhalaisons plus supportables, nous approchâmes à nouveau de cette sorte de bouche d'ombre.Nos lanternes découvrirent le sommet d'une volée de marches de pierre sur lesquelles, de l'intérieur de la terre, chutait goutte à goutte une odieuse liqueur."
Ceci fait bien entendu penser à la description du mort-vivant chez Alibekov :
"J’avais envie de fuir, mais à mesure de cette liquéfaction figurant la mise à mort d’un cafard anéanti par les mortelles exhalaisons d’un neurotoxique, des schémas didactiques monochromes issus du monde scientifique s’affichaient devant moi.
Fuir??? "Barrez-vous! Pour l'amour de Dieu, replacez la dalle et barrez-vous, Carter!"
Fuir??? "Réveillez-vous Alibekov!!"
Fuir??? " Pour aller où chère amie, avec nos enfants?"
Fuir???"Il faut accepter, messieurs dames que certaines personnes refusent de changer, ne le veulent pas et souhaitent délibérément, en toute connaissance de cause être des monstres." a dit une maman d'une petite fille victime du prédateur Pierre Bodein, lors d'un colloque sur la justice.
Il faut regarder la réalité en face.Il faut cesser de fuir et ramasser la clé des rêves.La retrouver et ouvrir le coffre de nos démons et merveilles.
Le Cauchemar d'Innsmouth la Crevette, ça ne vous rappelle rien ?
RépondreSupprimerMême pas le retour de la "Bête Immonde" ? :D
Je n'avais pas compris une chose et cela va vous paraître d'une immense naïveté, Alibekov : je ne pensais pas que l'on puisse consciemment ne pas soulever la dalle de la Vérité. (quoiqu'il en coûte.)
RépondreSupprimerPlus que de la mauvaise foi,ou de la peur (légitime) il s'agit alors d'une volonté féroce de bien refermer le couvercle et de brouiller les pistes au-dessus.
Si vous repassez Alibekov,(on ne sait jamais, hum) vous pouvez lire ceci aussi : c'est drôle, la photo, c'est aussi dans un cimetière!
RépondreSupprimerhttp://oralaboraetlege.blogspot.com/2009/07/philosopher.html