Lire impérativement :
http://modernologue.blogspot.com/2009/06/ce-vieux-raciste-mon-heros.html
Je viens de regarder Gran Torino avec Clint Eastwood.
Très bon film, plein de leçons à en tirer. On va le faire avec Delsol, bien sûr.
D'abord, petite parenthèse personnelle : amour pour cette magnifique bagnole, la Gran Torino : j'aime ma bétaillère comme un ouvrier aime ses outils, comme un maître aime son chien, comme un cow-boy aime son cheval : trop de moments passés ensembles, sans doute.... Cette belle américaine, la Gran Torino, m'a séduite! Mais c'est un amour de danseuse; je suis d'une fidélité absolue à ma bétaillère, en fait!
Prendre la Route, "Jeter les cartes, se lever, monter dans sa voiture, ajuster ses lunettes de soleil et partir : vivre enfin." Mouais... A voir.
Alors quoi : Gran Torino : "jeter les cartes" ou Bétaillère : "vivre pour de vrai" ? Finalement, c'est tout l'enjeu du film et de la vie, n'est-ce pas ?
"Il est plus difficile de vivre avec ce que l'on ne nous a pas ordonné de faire "dit le vieux Walt au jeune curé.
Il est vrai qu'il est plus difficile d'être libre et responsable de ses actes plutôt que d'être assisté, "d'obéir aux ordres"ce qui évite bien souvent des choix cornéliens et des poids sur la conscience...
Finalement, l'éducation ne consiste qu'à apprendre à faire des choix toujours pénibles, rarement satisfaisants et surtout à assumer ces choix. Jusqu'au bout. C'est la seule façon de devenir un homme.
"Il n'y a pas de morale sans liberté, sans choix personnel entre le bien et le mal (en tout cas ce que la liberté personnelle considère comme tels), et c'est là le sens de la morale, au-delà de la question de son commencement. Une action devient morale ou immorale parce qu'elle est décidée par un acteur libre et conscient de soi, faute de quoi elle n'est ni l'un ni l'autre, elle est neutre..."
Du thème de la transmission : passage d'anthologie dans le film où le vieux apprend au jeune Tao à "parler comme un homme" et donc à se comporter comme un homme et donc à devenir un homme, avec la complicité de son ami barbier.
"La transmission est l'inculcation, à un être LIBRE, de croyances INCERTAINES."
"L'existence de l'aléatoire, à la fois dans la personne de l'éduqué et dans les visées de l'éducateur, livre cette activité au doute et à l'imperfection."
"La contingence intrinsèque, découlant de la liberté de celui qui reçoit et de l'incertitude de celui qui transmet, impose à ce dernier un engagement personnel dans le processus de la transmission.... Tout se passe ici comme si l'éducateur se mettait lui-même en jeu pour compenser le caractère incertain de ce qu'il apporte; pour garantir par son être ce que la raison à elle seule ne peut garantir."
La mort-sacrifice du vieux Walt.
Xyr a intitulé froidement un de ses mots : "qu'ils crèvent tous." C'est un peu -beaucoup- l'idée du vieux Walt et du jeune Tao dans le film, après le viol sordide de la jeune soeur de Tao. Qu'ils crèvent tous, qu'ils paient leur crime, que justice soit rendue!
Mais là, à la fin c'est le vieux Walt qui meurt... et justice est rendue. Les criminels iront pourrir en prison et seront peut-être même tués puisque la peine de mort n'est pas qu'un vain mot aux EU.
Il y a différentes façon d'appliquer le "qu'ils crèvent tous" : des intelligentes, des réfléchies, des bien muries et des rageuses, des hystériques, des "qui ne servent à rien".
Qu'ils crèvent tous, certes, mais le vieux Walt dans Gran Torino ne dit pas le contraire. Il s'y prend intelligemment, c'est ça qui me plait dans ce film, il tend son piège avec un sang-froid machiavélique (bon enfin bref, machiavélique n'est pas le meilleur terme). Certes, il y laisse sa peau et vous allez me répondre : "c'est pas pour moi." Mais Xyr dit aussi: "la liberté ne se donne pas, elle se prend. " Et là c'est à chacun d'estimer ce qu'il a à faire et la façon de s'y prendre. Le vieux Walt n'oblige personne à le suivre, -au contraire!- il prend sa décision seul et de façon souveraine : il ne rend pas des comptes au curé qui lui en demande pourtant!
Qu'ils crèvent tous "? OK, d'accord, mais alors qu'ils crèvent vraiment et que pas un seul n'en réchappe. Faire le travail proprement, correctement, avec sang-froid et lucidité, pas dans la rage aveugle.C'est pourquoi cette phrase : "du calme! du calme!", toujours dans le même film, m'avait plu.
De façon plus générale, c'est très difficile de "tuer" vraiment, à fortiori de tuer ce qui est gangrené en nous ou une civilisation gangrenée qui n'en finit pas de mourir. C'est quasi-impossible. Nous vivons toujours sur une nostalgie morbide, nous sommes toujours à deux doigts de renouveler les erreurs du passé, simplement parce que nous refusons de creuser notre tombe, de mourir à nous-même, de faire une vraie introspection de ce qui est et de ce qui fût.
Delsol dit : "Nous n'avons pas encore accepté de prendre en charge la pesanteur des expériences. C'est pourquoi nous ne sommes pas en mesure d'instaurer un débat concernant les contours du monde prochain. La fin de l'utopie du progrès et de l'utopie communiste ne suscite pratiquement pas de réflexion sur les causes." "S'ouvrir à l'expérience signifie accepter la réalité : faire preuve d'honnêteté, laquelle représente ici une qualité à la fois intellectuelle et morale.L'honnêteté consiste à regarder. Ce qui semble facile, et ne l'est pas. D'abord parce que tout regard est une interprétation, et la "réalité" discutable. Ensuite, parce que la réalité nous contredit et nous accuse. Elle remet en cause nos préjugés et les illusions issues de nos préjugés. Elle destabilise nos triomphes qu'elle peut transformer en échecs. Il faut de la bravoure pour affronter cet adversaire magistral. Nous pouvons faire mine de l'oublier : il nous rattrape toujours." (éloge de la singularité)
Asensio, dans un article sur Mazneff écrit :
"Tuez le vieil homme, débarrassez-vous de cette vieille peau qui paraît plus fine que celle d'un nourrisson, de cette mémoire plus vieille et épaisse que si elle appartenait à un de ces hommes fabuleux hantant les débuts de l'histoire selon la Bible (et qui finissent piteusement, voyez les immortels de Borges), larguez les amarres (n'avez-vous pas répéter, à l'envi, Navigare necesse est, vivere non necesse) et surtout, surtout, ne vous retournez pas, celles et ceux qui se retournent sont maudits !"
Tirer avec un revolver est facile, creuser sa tombe avec un bêche est plus compliqué.
Jeanne Bloy, dans le journal de son mari :"Il faut creuser et descendre dans la terre jusqu'au lit des morts. Alors on trouvera la Joie."( Août 1895 )
Revolver et légitime défense
Magnifique ode à la légitime défense dans le film. Le jeune curé qui s'écrie absurdement, lors de la défense par le vieux Walt de ses voisins : "mais il fallait appeler la police!" Ce même curé qui tentera le soutien de cette police pour éviter le carnage final et police totalement impuissante à éviter la confrontation.
Le revolver : bien utile dans l'histoire, ce revolver. Mais il ne résout pas tout : il n'empêche la petite Sue de se faire violer, il n'empêche cette famille de Hmong de se faire enquiquiner par de la racaille. Légitime défense, avec armes, certes mais surtout avec intelligence, avec sang-froid, avec lucidité.Le vieux Walt, après une explosion de rage, de douleur fort humaine et légitime dit au petit Tao : "il faut du calme! Du calme pour tendre notre piège. Nous n'aurons qu'une seule chance et risquons de ne pas en revenir!" La Rage? oui, mais celle qui glace le sang et rend affuté, pas celle qui aveugle...
Dantec et pas Delsol, cette fois : "La guerre était sans nul doute la chose la plus simple à faire, mais c'était surtout la plus difficile à réussir". ( Dantec, dans Babylon Babies, éd.Folio SF, p26)
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