vendredi 13 mars 2009

De la transmission comme survie pour l'humanité.

"La prise de conscience, après guerre, de ce qu'avait été le nazisme, a laissé dans les âmes le sentiment d'une véritable destruction de la culture : nous vivons dans une "après-culture", écrit Steiner. Une fois l'humanisme récusé avec cette ampleur, reste t-il un avenir pour la culture?
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Aussi, l'époque se persuade que les crimes commis alors remettent en cause la légitimité même de toute culture. A quoi bon lire Goethe puisque Auschwitz le déligitime pour toujours...Derrière le nazisme, plus loin, nous nous sommes mis à pointer le doigt sur tous nos crimes historiques, dont chacun était issu d'une valeur ou d'une vision particulière : la nation, la religion... Et finalement nous avons commencé à haïr la nation et la religion, comme l'ensemble de ce qui pouvait en un siècle ou en un autre alimenter des crimes - c'est à dire, tout. N'importe quel enthousiasme est devenu suspect, parce qu'il peut engendrer, forcément, un fanatisme. Nous sommes devenus des haineux. Notre dernière répulsion - s'attache à l'homme tout court. C'est lui, finalement, le responsable de tout cela. Notre valeur phare : la misanthropie.
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Nourris d'une culture dépravée, comment pourrions-nous transmettre ? S'annonce alors celui qui se nomme lui-même le dernier homme, celui qui est né pour fermer la porte. Tout ce qu'il a reçu a été aussitôt recouvert d'hostilité, et jugé indigne d'exister. On l'a jeté dans la vie avec ce conseil : surtout ne pas croire et ne rien penser que le refus. Sloterdijik le décrit comme "l'homme sans mission, le non-messager". Son silence provient de son impuissance : "Il n'a plus rien à opposer au malheur."
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Ceux-là qui regardent dans les yeux, pétrifiés, l'anéantissement de leur monde culturel, doivent se garder d'avoir des enfants. Le dernier homme pourrait-il devenir père sans que son discours nous paraisse suspect? En tout cas, ils ne sont pas des promoteurs de l'avenir, puisqu'ils ont biffé celui-ci de leurs catégories mentales.(...) L'avenir se fera sans eux. Et avec d'autres, dont le moment n'est pas encore venu.
La profonde amertume des temps décevants (le mot est faible) ne suscitera pas la fin des temps. Aucune guerre n'a jamais empêché les enfants de naître. Qu'un vaste nuage passe sur l'espérance, il ne videra pas les berceaux.Il nous faut assumer le temps, pas seulement le passé, sans nous couvrir la tête de poussière, mais aussi le futur, parce que sont en cause les innocents venus derrière nous. Il est infantile de proclamer que nous ne pouvons plus prier, créer, parler, après Auschwitz. Ceux qui viennent derrière nous attendent autre chose que des torrents de négations. Il leur faut vivre, et aucune ruine ne fait vivre.
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Le désespoir érigé en philosophie ne permet pas de vivre, parce qu'il ouvre une rupture dans la transmission, et transforme en zombis les générations suivantes.Lorsque l'enfant, qui parle à temps et à contretemps, demande à quoi sert la vie, alors nos contemporains rougissent de confusion et d'effroi. On ne recule pas devant la question d'un enfant. Lorsque l'enfant demande à quoi sert la vie, ils se terrent silencieusement le long des murs (....) Et, dans le néant qu'on lui impose, rejoint une existence primitive de brutalité et de déréliction : l'enfant sans héritage remplace les mots par la violence, et se voit dans un monde privé de semblables."
Delsol, "Qu'est ce que l'homme".

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