vendredi 6 novembre 2020

Journal du deuxième confinement, Vendredi 6 Novembre, le café


 Je suis sur le point de taxer une clope interdite à mes garçons (qu'ils ont certainement) pour pouvoir sortir dans les rues de mes villages sans masque. Mais il faudra que j'exerce ma gestuelle de nouvelle fumeuse. Je n'ai jamais fumé, si, une fois, vers 15 ans, dans une nuit d'adoration à la Basilique de Montmartre : en attendant mon tour d'adoration devant le saint Sacrement, dans les petites chambres mises à la disposition des "adorateurs", une amie m'avait proposé une cigarette. J'ai accepté pour essayer; fiasco complet, je suis devenue verte et nauséeuse. La clope c'était terminé à tout jamais. Je croyais.

Puisqu'on est dans le chapitre des addictions, une chose me manque terriblement depuis ce deuxième confinement : c'est le café pris à l'extérieur de la maison. J'avais commencé à me poser toute seule dans un café pendant mes vacances bretonnes. C'est un moment de paix et de grâce lorsqu'on est dans une petite maison avec plusieurs générations et vraiment, pour moi, les vacances se résument à ce café bien plus qu'à la plage, pour faire court.

J'ai mis très longtemps à me permettre cette démarche : j'ai été élevée dans l'idée qu'une femme ne se rend pas au café seule. J'ai pris mes premiers cafés, étudiante, avec celui qui allait devenir mon mari. C'était déjà un peu ringard comme attitude mais c'est ainsi.

Depuis septembre, j'ai prolongé cette habitude en prenant un café dans mon supermarché, au petit espace de restauration aménagé. Beaucoup de pépés et de mémés se posent comme moi, une fois les courses faites. C'est tout à fait agréable, j'écris quelques lignes sur mon cahier, je passe des coups de fil, je lis quelques articles. J'ai lu quelque part que notre immense écrivain Bernanos écrivait beaucoup dans des cafés. Et je comprends parfaitement la démarche. Entourée de personnes, d'animation, de bruits, tout en gardant son cocon de solitude intact. La combinaison idéale. Se faire servir, quand on est mère au foyer est une démarche qui vous sort de votre rôle de "servante" et c'est un luxe à peu de frais et absolument nécessaire pour ne pas rester enfermée dans un seul vêtement (celui de mère au foyer).

Ce matin, dans une lumière merveilleuse, nous observons avec Gaby des chevreuils au loin avec des oies sauvages au premier plan. Nous lasserons-nous toutes les deux de ces moments en voiture, dans la beauté qui nous entoure? La contemplation de la nature avec la sensation de liberté qu'elle procure demeure un des petits attachements, ancrages à la réalité dans ce monde devenu fou et totalement liberticide. Je crains de passer les fêtes de Noël un peu à la façon dont le passait Monseigneur Schneider et sa famille au Kirghizistan communiste : 

"Comme il y avait beaucoup de catholiques allemands dans notre ville au Kirghizistan, mes parents organisaient toujours les prières et la réunion pour célébrer Noël la veille, même si c'était interdit.

(...)

Comment y arrivions-nous? Il était formellement interdit d'organiser des réunions, mais notre meilleur ami, un Russe nommé Anatoly, qui était l'un des chefs de la police de la ville, vivait en face de chez nous. Il n'avait pas d'enfants et nous, les quatre enfants Schneider, avions de la chance parce qu'il nous aimait beaucoup. Nous le considérions comme notre oncle et c'était un bon ami de mon père. Il venait à la maison, et ils aux échecs ensemble.

(...)

Un soir, mon père a dit à Anatoly : "Tu sais, nous sommes catholiques, nous avons Noël ce soir, et nous devons prier ensemble." Anatoly lui répondit : "C'est interdit, mais je vous garantis que ce soir, aucun policier ne viendra. Je vous le garantis." Et ainsi, il nous a protégés. Nous avons pu célébrer les veilles de Noël dans le calme et la sérénité.

Puis, en 1969, nous avons quitté le Kirghizistan pour l'Estonie. J'avais huit ans."




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire