jeudi 15 mai 2014

Le Soleil de Justice - Réflexion à partir de l'histoire de Jonas


"Mais un matin, un ver se leva" (Livre de Jonas)




Extraits du Commentaire sur le prophète Jonas, par dom Monléon
(A propos de Jonas qui fuit en mer au lieu d'accomplir sa mission auprès des Ninivites.)
1°) "D'abord, dit-il, il était blessé dans sa dignité professionnelle de se voir envoyé à des païens. Tous les prophètes, ses devanciers et ses contemporains, s'étaient adressés à Israël. Et Balaam lui-même, tout païen qu'il était, avait dû proclamer la grandeur de la nation juive, quand l'Esprit de Dieu s'était emparé de lui. Jonas souffrait donc de se voir choisi, lui seul, pour aller prêcher aux Assyriens -une race qu'il abhorrait!- "et pour tenter de convertir Ninive, une sentine d'idolâtrie et de corruption, où le vrai Dieu était totalement ignoré  
 2°) "Mais en plus, le Saint Esprit lui avait fait entendre que la conversion des Gentils marquerait la fin de la mission d'Israël. Le peuple saint, la race choisie n'aurait plus dès lors qu'à rentrer dans l'obscurité. Si donc la prédication de Jonas réussissait à toucher les Ninivites, elle serait par le fait même le principe du déclin de la nation juive. Avoir à dispenser aux païens une révélation jusque là jalousement réservée aux descendants de Jacob était une tâche bien ingrate; mais devenir soi-même l'instrument de la déchéance de sa race, cela vraiment notre infortuné prophète ne pouvait l'accepter."
3°) "Enfin, -il le dira lui-même plus loin- un obscur pressentiment lui faisait appréhender ce qui, en effet, devait se réaliser. Il se disait que Dieu, dont il connaissait le penchant à la miséricorde, était bien capable de revenir sur sa décision, de pardonner aux Ninivites, et de le mettre ainsi, lui, Jonas, dans la situation ridicule d'un sot, d'un individu qui ne sait ce qu'il dit, d'une outre gonflée de vent, dont les paroles n'ont aucune consistance."

Puis transposition à la personne du Christ (Jonas préfigure le Christ comme tous les grands personnages bibliques) par saint Jérôme : ce passage est sublime je trouve : 
"Il est dur d'entendre, écrit Rupert, et il ne semble pas possible d'attribuer au Sauveur ce qui est dit ici, que Jonas s'enfuit hors de la face du Seigneur, mais si vous considérez l'intention qui le fit fuir, vous verrez que, même chez le Prophète, cette fuite n'était pas répréhensible, parce qu'elle avait pour cause la piété, non l'infidélité. De toute la tendresse de son affection, Jonas souffrait pour son peuple, pour la nation des Hébreux, parce qu'il savait que c'était pour la condamner que Dieu l'envoyait prêcher aux Ninivites. ( En effet l'empressement de ceux-ci à se convertir à la parole d'un prophète - et d'un petit prophète - manifesterait clairement, par opposition, combien était inexcusable l'entêtement des juifs à ne pas vouloir écouter ceux que le Seigneur leur envoyait, surtout quand c'étaient des hommes de la classe d'Elie ou d'Elisée). Jonas fuyait, non parce qu'il redoutait la condamnation de sa race. Aussi sa fuite, bien loin de déplaire à Dieu, lui était-elle au contraire très agréable à cause de la grande piété (dont elle était le signe). Et ce qu'il fit en voulant fuir de la face du Seigneur, manifeste d'une certaine façon ce que devait faire un jour le Christ, d'une manière très louable. Jamais il ne s'est dérobé (à la volonté de son Père) par désobéissance; mais par une miséricordieuse affection, il retarda pour un temps la condamnation de son peuple. Nous en avons pour preuve les larmes qu'il versa sur Jérusalem, quand il dit : - "Car si tu savais toi aussi..." Ces larmes montrent combien vraiment sa tendresse humaine aurait voulu écarter le jugement prononcé par la divinité, qui allait s'abattre sur sa nation. La foi chrétienne sait et doit savoir que de même qu'il y a dans l'unique et même personne du Christ deux natures, la divine et l'humaine, de même il y a deux volontés, deux opérations. Or, en l'occurrence, la volonté divine avait décidé d'abandonner la Judée, et de livrer Jérusalem au pouvoir des ennemis. La volonté humaine au contraire voulait sauver sa race, ainsi que la ville de Jérusalem, et lui épargner une fin misérable.Ces deux volontés s'opposaient dans leurs désirs, comme Jésus Christ l'a montré au jardin de Gethsémani. Mais dans ces conflits, la volonté humaine se bornait à prier la volonté divine pour essayer de la fléchir : "Pater, si possibile est, transeat a me calix iste... sans cesser cependant de lui demeurer toujours soumise dans une obéissance absolue : Verumtamen non sicut ego volo, sed sicut tu."


Commencé le commentaire de dom Monléon sur le Livre de Jonas ("Commentaire sur le prophète Jonas", aux éditions saint Rémi).
C'est une histoire intéressante parce qu'amusante, celle du petit prophète Jonas. Ce dernier est si humain, avec une vue de l'esprit étroite, un orgueil un peu ridicule et en même temps un coeur gros comme cela comme on dit. Bref il me ressemble beaucoup et c'est pourquoi je l'aime bien. C'est un personnage éminemment attachant et d'ailleurs ce qui frappe dans son histoire c'est que toutes les personnes qu'il a rencontrées (depuis les marins sur le bateau qui sont désolés de le remettre à la mer et au monstre, jusqu'aux habitants de Nivnive) l'ont pris en amitié et se sont attachés à lui. Lui, se sentait en dessous de tout, de sa mission qu'il n'aimait et qu'il ne voulait pas accomplir pour les raisons développées ci-dessus mais tous ceux  à qui il s'est adressé ont été édifiés au sens spirituel et humain du terme par ce petit bonhomme attachant.

Dans ma vie de mère au foyer, de femme active, sous mon pseudo de crevette (plat préféré des monstres marins, les crevettes!), je suis amenée à rencontrer des tas de personnes très diverses, pas du tout catholiques, comme les habitants de Ninive à qui je parle de ma foi  même si bien souvent je préférerais me taire et faire demi-tour comme Jonas vers la mer. Et tous ces gens critiquent à juste titre mon Eglise catholique bien mal en point, un peu comme Jonas et le Christ s'attristent du sort de la nation Juive qui file un mauvais coton parce qu'incapable de reconnaître la Miséricorde divine lorsqu'elle se présente à eux. "Ceux qui gardent les vanités ont laissé là la miséricorde" lit-on dans le livre de Jonas et c'est tout l'enseignement de ce petit prophète amené à édifier des personnes qui ne demandent rien mais qui sont "preneuses" et qui se retrouve en conflit avec sa propre nation (ici, pour nous, notre patrie spirituelle, l'Eglise) car il en mesure toute la déchéance par rapport à ceux dont il leur explique qu'il faut qu'ils y entrent dans cette nation déchue et pourtant sainte!

Qui sait si notre Eglise n'est-elle pas elle-même à nouveau convertie par des païens, des petites gens? "Or, tandis que les Juifs étaient demeurés insensibles et incrédules devant la prédication du Christ, les païens se convertirent en foule à la voix des Apôtres. La conversion commença par le bas, par les petites gens : le christianisme ne fut-il pas appelé d'abord une "religion d'esclaves"?"
 Personnellement depuis quelques années je rencontre de ces jeunes convertis mal reçus dans une Eglise qui "garde les vanités", ces jeunes qui ne correspondent à aucun canon de la société civile  ou spirituelle, qui sont des parias dans ce bas-monde et j'ai le sentiment que ma foi a repris de sa vigueur et de sa jeunesse grâce à eux.

 Jonas qui sait que le Seigneur ne fera jamais de mal à qui se tourne vers Lui, ne serait-ce que pour le maudire(!) et que donc ses menaces ("encore 40 jours et Ninive sera détruite!") ne seront jamais mises à exécution par Celui qui est Miséricorde. Alors quid de la Justice? Quand interviendra la toute puissance divine en faveur des chrétiens, des "bons" chrétiens? Ces derniers ressemblent à s'y méprendre au frère aîné du fils prodigue qui a toujours bien fait le job comme il faut mais n'a pas mesuré ce qu'était la miséricorde infinie de son Père, à la différence de l'autre frère, qui a mené une vie de paria mais a su se tourner vers son Dieu et se jeter dans ses bras.

Jonas, une fois sa mission accomplie, se retire sur une colline voisine de Ninive, et bougonne contre Dieu qui n'a donc pas accompli sa menace et le fait passer, lui Jonas, pour un bonimenteur un peu imbécile. Dieu, dans sa bonté, fait pousser un lierre qui le protège des ardeurs du soleil. Ceci à l'image de la nation juive protégée par son Dieu dans tous ses exils et persécutions. On peut dire comme à l'image de notre Eglise toujours protégée par son Christ, une Eglise puissante aux yeux du monde. Mais Jonas ne s'aperçoit même pas de ce miracle du lierre qui a poussé en une nuit! Aucune gratitude envers son Dieu comme souvent nous les "vieux" chrétiens n'éprouvons guère de gratitude d'avoir été à l'ombre de la Foi toute leur vie! Et pourtant quelle immense grâce! Nous gardons toute notre vanité...
Une autre nuit, Dieu envoie un ver de terre qui dévore le lierre et Jonas se retrouve à nouveau sous les ardeurs brûlantes du soleil. "Depuis lors, le peuple juif, privé de roi, de prêtres et de sacrifices, dépité des succès de l’Évangile, gémit sous l'ardeur des persécutions dont il est l'objet, comme le Prophète se lamentait sous les rayons brûlants du soleil, au lieu de se réjouir en voyant la conversion des Ninivites."
Nous pourrions encore transposer le sentiment de dépit des Juifs à notre Eglise catholique, à nous-mêmes qui nous lamentons de sa déchéance au lieu d'adorer le "Soleil de justice " qui s'est levé sur tout le monde depuis qu'elle est mise à nu par ses contempteurs.




















2 commentaires:

  1. Merci la Crevette.
    On va bientôt faire devous un père de l'Eglise, en tout cas votre éclairage me parle.

    Il est piquant de le trouver, sur les rayons du truculent du Plessis, entre de violents éclats toulousains, des éruditions parisennes , et des contemplations rurales de taupophobe.

    Mais c'est ce qui me plait dans la boutique de DG, et vos apparitions y sont comme un verre de vin frais.

    Sans la connaître, ma tribu salue la votre.

    Bernard G

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    1. Merci beaucoup; je vous salue aussi, vous et les vôtres.

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