jeudi 15 août 2013

Goum




"La gloire de Dieu c'est l'homme vivant et la gloire de l'homme c'est la vision de Dieu."
(Saint Irénée de Lyon )


Lundi 5 août



C'est l'anniversaire des jumeaux aujourd'hui et je quitte mes enfants et mon mari pour un raid spirituel que je crains de ne pas pouvoir terminer car il dure huit jours, dans les plaines et plateaux de l'Aubrac, dans des conditions physiques assez extrêmes. "Quitte ta famille, prends ta croix et suis-Moi" dis le Seigneur dans les évangiles, je pars avec des pieds de plomb, ne sachant plus réellement pourquoi je me suis lancée dans cette aventure au cœur de mes vacances. Et j'écris dans ce petit carnet de notes qui ne me quittera pas : "je vais donc essayer de tout quitter pour Te suivre Seigneur, à la trace, et Te trouver. Amen".

Il fait nuit. Nous avons essuyé un premier orage en marchant et quelques averses. J'ai dû sortir mon poncho tout neuf, et M-T. un des "lanceurs" m'a gentiment aidé à l'enfiler, empêtrée que j'étais avec ma carte (inutile) et mon sac à dos qui pèse une tonne. Doutes alors d'être vraiment à ma place, je ne sais même pas mettre un poncho. Angoisse. La nuit s'annonce assez calme, mon couchage est enfin prêt, il y a plein de bestioles attirées par ma lampe frontale pendant que je prends ces notes. Je me raccroche à ce petit carnet, à ce rituel de l'écrit pour ne pas sombrer dans le désespoir et la morosité. Les paysages sont déjà très beaux alors même que l'on entend encore l'autoroute locale. Le prêtre qui nous accompagne est de l'Institut du Christ Roi : providence quand Tu nous tiens... Au moins, je pourrai lui parler de mes grands filleuls. Il y a deux trois pères de famille. Le reste du groupe est composé de trentenaires filles et garçons, un petit jeune de vingt ans qui m'attendrit et me fait penser à mes fils... J'ai un mal de crâne lancinant à cause du soleil reçu dans les TER pour venir jusque là. On entend au loin les cloches des vaches, c'est un bruit paisible qui me réconforte, je vais m'endormir.



















Mardi 6 août

 Méditation par O. Je livre un petit compte rendu :
"Aussitôt laissant leurs filets, ils le suivirent".
Nous avons répondu à un appel. Les disciples répondent à l'appel du Christ sans se poser de question. Nous aurions aimé avoir cette grâce et facilité de départ des disciples, un départ pour quelque chose de nouveau... Quel objectif nous donnons-nous, que va-t-on abandonner en route qu'on ne voudra pas récupérer à l'arrivée?
Les disciples ont fait confiance au Christ. Allons-nous nous abandonner de la même façon au Seigneur, à ce qui va se passer cette semaine?
"Vous deviendrez des pêcheurs d'hommes" dit le seigneur aux disciples. c'est une expression d'une très grande ambition. Comment allons-nous nous-mêmes être des pêcheurs d'hommes durant cette semaine et ensemble?
La méditation matinale suivie de l'Eucharistie seront notre moteur pour marcher; l'élan se prend maintenant.

Après cette petite méditation par O., j'écris dans mon carnet : "Oh Jésus je m'abandonne sans vraiment me laisser aller : tant de freins, tant de péchés. Saint Esprit, prends mon âme et délivre-là que Dieu puisse enfin venir et parler en moi. Amen."

Marche : dur, trop dur. Halte à l'ombre, un petit mulot me rend visite dans les herbes, il n'a pas peur de moi et veut jouer. En remplissant ma gourde auprès d'un gite d'étape, je mets sans faire exprès de la bière. Le mélange bière-eau, providentiel me réconforte beaucoup. Le bon Dieu veille vraiment sur moi. C'est comme s'il s'agissait de son eau vinaigrée sur la Croix.
Nous arrivons dans un petit village et un des goumiers avec qui je marche va chercher la clé de l'Eglise pendant que je m'affale sur des marches en pierre. En rechignant je le suis dans l'Eglise. Magnifique intérieur, un Christ qui me transperce du regard dès l'entrée et qui me suis des yeux... Notre prêtre arrive et je lui demande une confession, dans l'église. Elle est un peu confuse, je suis "rendue" comme on dit. Peu importe! Comme il nous l'expliquera plus tard, la confession est beaucoup plus qu'un simple pardon : il s'agit en plus de restaurer ce qui a été abîmé par le péché. Il faut donc user et abuser de ce sacrement pour pouvoir guérir de tous nos maux spirituels et physiques (ou psychologiques). J'ai pu, au fil des années expérimenter le pouvoir de ce sacrement. Plus que le décompte des péchés, il faut avoir une âme vraiment contrite, c'est ce qui importe par dessus tout.  "Quand j'ai crié vers Toi, Seigneur, mon Dieu tu m'as guéri; Seigneur, tu m'as fait remonter de l'abîme et revivre quand je descendais à la fosse." (Psaume 29)
 Je continue ma marche avec notre abbé à qui je confie mes deux grands filleuls. Nous évoquons la situation des enfants de divorcés. Ce sont selon moi des morts vivants et les grâces sacramentelles leurs sont plus nécessaires que jamais.

Nuit dantesque : un vent très violent rase la plaine sur laquelle nous sommes posés comme des papillons sur des fleurs, à la merci de tous les éléments. Enfoncée dans mon sac et sur-sac, je suis bien protégée et sommeille vaguement dans le vacarme des éléments qui se déchaînent. Grondement du tonnerre, éclairs immenses qui zèbrent un ciel qui ne ressemble plus à rien. Je suis heureuse d'avoir un prêtre avec nous. Je songe à ce passage de ce petit roman pour enfants, si beau, et qui m'a si profondément marquée plus jeune : "Tom Playfair", écrit par un prêtre Francis J. Finn. Il y a un passage terrible où des enfants prennent la foudre et le prêtre qui arrive auprès d'eux leur donne dans un silence de mort l'absolution. J'en étais là de mes réflexions lorsqu'un des lanceurs nous enjoint calmement à nous lever pour rejoindre un grange 50 m plus bas. Nous bouclons nos sacs en tenue de nuit, et partons titubants à travers champs. En marchant trop vite, déséquilibrée par mon sac et divers objets que je porte, je me tords la cheville et m'effondre. J'ai très mal, je suis affolée et furieuse, je me dis c'est la fin, tu n'iras pas plus loin et je ne peux me relever, je suis seule. A ce moment une voix derrière moi : "je vais vous aider"!! Doux Jésus. L'abbé débarque avec ses lunettes de travers et me relève énergiquement et me soutient pendant que je serre les dents et dis machinalement : "ça va aller, ça va aller". Et ça va effectivement, nous rejoignons le groupe et nous couchons sous une immense grange à la toiture neuve... Au milieu de la nuit qui continue, je me désespère de ma cheville enflée qui me lance. Au matin, nous nous réveillons abrutis de fatigue et je bande ma cheville immédiatement. Je rejoins un des responsables déjà à pied d'oeuvre pour les gamelles sur le feu et lui dis que, peut-être, je ne pourrai pas continuer. Il allège alors mon sac, je reçois une bénédiction spéciale de l'abbé pour éclopés et je marcherai ce jour-là et je marcherai jusqu'au bout. Il n'y a que la prière pour tenir dans certaines situations et ma vie est l'image de ce goum : le Bon Dieu a passé son temps à me guérir et me soutenir lorsque j'étais dans la fosse...

L'abbé évoque la notion de la Gloire de Dieu durant la messe, pour évoquer cette nuit tempétueuse, et reprend le psaume 28 :
"Rendez au Seigneur, vous, les dieux,
rendez au Seigneur gloire et puissance.
(...)
La voix du Seigneur domine les eaux,
le Dieu de la gloire déchaîne le tonnerre,
le Seigneur domine la masse des eaux.

Voix du Seigneur dans sa force,
voix du Seigneur : elle casse les cèdres."


















Mercredi 7 août.



Je n'ai pas fait de compte rendu précis de la méditation de M. mais je me souviens d'une idée : les petits oiseaux du ciel qui ne manquent de rien et qui trouvent de quoi manger. Ne pas se tourmenter pour des détails annexes à notre vocation, Dieu pourvoira pour que nous puissions parvenir à être ce que nous devons être.
Réflexion personnelle après la méditation : j'entends les cloches des vaches dans les prés et les oiseaux qui chantent. Les oiseaux sont ces petits veilleurs qui font monter dès l'aurore une action de grâce continue sur notre terre et effectivement c'est leur seul but, leur unique finalité dont ils n'ont pas forcément conscience. Dieu s'occupe de leurs besoins afin qu'ils puissent s'occuper de cette unique tâche : chanter la gloire de Dieu et de sa création. Comme les chérubins protègent le trône divin, les oiseaux chantent Dieu. Alors, nous autres humains, quel est notre finalité, notre rôle ultime? Je note : devenir des ciboires du Christ. Je veux être un ciboire qui déborde pour mon mari et mes enfants.
"C'est moi le Seigneur ton Dieu
qui t'a fait monter de la terre d'Egypte
Ouvre ta bouche, moi, je l'emplirai"

La journée de marche commencée dans l'angoisse à cause de ma cheville se passe bien et sous la pluie. Je marche avec 4 jeunes filles, toutes mignonnes, responsables, gaies, bien catholiques et désireuses de se marier. Nous parlons talons hauts et vernis à ongle. Leur fraîcheur et leur naïveté sont émouvantes. Elles méritent d'être heureuses et de rendre heureux quelques hommes.
Soirée paisible au bivouac jusqu'à l'arrivée de la pluie. Nous repartons avec nos affaires vers une grange remplie de meules de foin et de pinces oreilles. Je dors mal, le sol est trop dur. Mais ma cheville ne me fait plus souffrir. Il pleut à verse le matin.




















Jeudi 8 août.


Compte rendu de la méditation que j'ai préparée : à partir de la parabole sur le Maître de la vigne :
"Il y a peu d'ouvriers pour la moisson"
Le goum est l'occasion rêvée pour certains pas encore fixés de se poser la question des grandes orientations de vie, mariage ou vie religieuse. Mais au delà de cette question il ne faut pas oublier que par notre baptême nous sommes tous prêtre, prophète et roi et que nous avons reçu des grâces spécifiques concernant ces trois modalités d'existence, de vie de notre âme baptisée.
La question est de savoir comment être un bon ouvrier prêtre prophète et roi dans notre vie quotidienne. Il me semble que la première chose est de décider d'embrasser , de nous ouvrir à cette grâce baptismale. De dire oui à ce baptême reçu, au Christ qui vient dans notre âme. Comme nous avons dit oui pour venir à ce goum. La liberté de notre oui, au départ, c'est une chose qui personnellement me donne le vertige. Le Bon Dieu a besoin de notre liberté pour venir chez nous, en nous. Dieu tout puissant qui nous appelle au plus profond de nos âmes. Infime et immense marge de manœuvre par Celui est Tout.
Après ce "mouvement" parfois imperceptible de notre âme, ce petit pas dans lequel réside toute notre liberté au départ, Dieu vient et notre prière, notre parole, nos demandes, nos actions deviennent celles de Dieu. L'ouvrier devient alors plus juste, plus adéquat dans ses gestes au sens spirituel du terme : Dieu est présent dans son âme, Dieu est son âme. Ouvrons nous simplement à la grâce de notre baptême, la grâce sanctifiante. En fait, cette moisson abondante dont parle le Christ, ça n'est pas seulement les autres, notre prochain mais nous-même, et l'abondance de cette vie divine en nous.
A propos de cette idée que Dieu est à l'origine de nos supplications et prières, je vous livre un texte de sainte Julienne de Norwich, une recluse anglaise du Moyen-Age.("Révélation de l'amour divin", ch. 41)
Notre Seigneur m'a fait une révélation sur la prière. J'ai vu qu'elle repose sur deux conditions : la rectitude et une confiance ferme. Très souvent, notre confiance n'est pas totale. Nous ne sommes pas sûrs que Dieu nous écoute, car nous pensons que nous en sommes indignes et d'ailleurs nous ne ressentons rien. Nous sommes souvent aussi secs et stériles après notre prière qu'avant. Notre faiblesse vient de ce sentiment de notre sottise, comme je l'ai moi-même éprouvé. Tout cela, notre Seigneur me l'a présenté soudain à l'esprit et m'a dit : « Je suis l'origine de ta supplication. D'abord, c'est moi qui veux te faire ce don, puis je fais en sorte que toi tu le veuilles aussi. Je t'incite à implorer, et tu implores : comment alors serait-il possible que tu n'obtiennes pas ce que tu demandes ? » Notre bon Seigneur m'a donné ainsi un grand réconfort... Lorsqu'il a dit : « Et tu implores », il m'a montré le grand plaisir que lui cause notre supplication et la récompense infinie qu'il nous accordera en réponse à notre prière. Quand il a déclaré : « Comment serait-il possible que tu n'obtiennes pas ? », il en parle comme d'une impossibilité, car il est complètement impossible que nous ne recevions pas la grâce et la miséricorde lorsque nous les demandons. En effet, tout ce que notre Seigneur nous fait implorer, il l'a ordonné pour nous de toute éternité. Par là, nous pouvons voir que ce n'est pas notre supplication qui est la cause de la bonté qu'il nous témoigne... : « J'en suis l'origine »... La prière est un acte délibéré, vrai et persévérant de notre âme, qui s'unit et s'attache à la volonté de notre Seigneur, par l'opération douce et secrète du Saint Esprit. Notre Seigneur lui-même reçoit d'abord notre prière, me semble-t-il ; il la prend avec une grande reconnaissance et une grande joie, et il l'emporte en plein ciel et la dépose dans un trésor où elle ne périra jamais. Elle est là devant Dieu et tous ses saints, continuellement reçue, continuellement nous aidant dans nos besoins. Et quand nous entrerons dans la béatitude, elle nous sera rendue, contribuant à notre joie, avec des remerciements infinis et glorieux de la part de Dieu.
Comment être confiants dans nos prières et supplications alors même que je vois que pour une simple foulure je doute de la puissance divine? Le Bon Dieu veut que je l'implore avec confiance et rectitude dans les petites et grandes demandes. Et même si demain je devais arrêter de marcher, je sais que ma supplication est dans les mains du Seigneur et qu'elle me sera rendue au centuple et qu'elle servira à ceux pour qui j'ai entrepris cette marche.

Réflexion personnelle : je marche pour différentes raisons mais en particulier pour deux grands filleuls baptisés récemment : l'un d'eux se prépare à rentrer au séminaire.Ce goum est une façon de l'aider à se préparer à sa vocation de prêtre. Pour l'autre filleul, je voudrais qu'il comprenne que ses demandes et supplications qui tardent à être exaucées, ces prières sont celles de Dieu et qu'il faut donc y croire avec confiance et rectitude sans perdre la foi.

Il pleut à verses ce matin, la marche va être pénible : Seigneur, tu déverses les pleurs de ton imploration. Tu nous supplies de te supplier, mon Dieu. Tu attends que nous te priions sans cesse afin de nous exaucer.
Marche avec une petite jeune fille. J'insiste sur le fait d'être toujours encourageante envers les hommes. Avec de l'admiration, un homme peut tout. Nous apercevons dans un dénivelé énorme une fouine sur un muret.Nous parvenons épuisées  et trempées après de multiples pauses à un joli village, avec 3 maisons peut-être habitées. Nous nous abritons sous l'auvent d'un vieux lavoir. Arrivées bonnes dernières ensuite sur le lieu du campement qui comprend une grange car le temps est vraiment maussade et humide. C'est une très bonne grange, avec de la paille propre et sèche. Je passe une bonne nuit, la première (et l'unique).

Rituels du soir et repas : remplir son bidon d'eau à la source prévue près du campement, faire des corvées de bois, préparer le feu de cuisine et le feu de veillée : pour le repas : deux grosses casseroles sur le feu : une pour la soupe et un bouillon, l'autre pour du riz. dans un couvercle, faire revenir une boite de corned beef et quelques oignons pour mélanger avec le riz. De quoi remplir un bonne tasse (ou "quart"). Le matin, café ou thé avec sucre et lait en poudre, plus un quart de riz nature ou sucré ou bien avec du lait en poudre. A midi, pas de repas. Vaisselles des gamelles, quarts et grosses casseroles matin et soir. Chacun a transporté un sac de riz et divers ingrédients pour que nous puissions tenir toute la semaine.
Le manque de nourriture ne me pèsera pas, si ce n'est le dernier jour de marche. Ce qui a été le plus dur à gérer : la crasse.





























Vendredi 9 août.


Méditation par V.
"Celui qui veut me suivre, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive".
Il nous faut faire librement confiance au Christ, la décision de le suivre en portant notre croix vient de nous au départ. Le Seigneur ne nous cache rien, il nous prend pas en traître. Il dit bien qu'on va en baver mais qu'Il sera là. Dans les épreuves il peut arriver que nous ne voyions plus le Seigneur mais Il demeure toujours là, à nos côtés.Ce qui compte, c'est de toujours suivre le Christ, prendre conscience du prix de son âme. c'est notre âme que nous présenterons à notre mort; notre vie prend son sens par rapport à notre âme, à notre vie spirituelle.

La nuit a été bonne. Il fait froid le matin et je n'arrive pas à terminer mon riz mais je me force pour pouvoir tenir le coup dans la journée de marche. Je me sens bien. Le moral est bon même si je compte les heures pour rejoindre les miens. Ma petite Gabrielle en particulier me manque. Mon petit soleil, ma beauté, ma petite chérie. En écrivant ces mots les larmes me montent aux yeux. Le soleil se lève sur le plateau, nous avons grimpé en hauteur afin de célébrer la messe. Il ne pleut plus! La brume se lève. C'est magnifique. je deviens "pro" en grattage de grosses gamelles. Cela va devenir ma tâche bi-quotidienne. La vaisselle, c'est mon truc. On a les talents qu'on a.
Bonne marche mais avec un rythme soutenu qui ne me convient pas et je m'arrête enfin pour une halte prolongée en pleine nature avec V. qui a mal au genou. C'est une fille douce et réfléchie. Nous nous endormons un moment et nous réveillons au milieu d'un troupeau de brebis approchées sans bruit. Moins de vaches par ici, plus de moutons, nous sommes dans les Causses.
Le lieu de bivouac atteint en fin d'après midi est superbe. On est passé auparavant dans le village chez un vieux berger à la retraite pour remplir nos bidons d'eau. Il discute avec nous. Grande solitude de l'homme égayée par notre arrivée et notre tenue de goumier.
Veillée très gaie, O. raconte son après midi où elle s'est perdue avec d'autres filles et où elle a rencontré un paysan sur son tracteur. Elle met toute sa verve de comédienne à raconter la rencontre. "Vous êtes nombreuses?" demande le vieux encore vert. -"Oui, 22", répond O. sans réfléchir. Ouch! 22 donzelles lâchées en pleine nature! Le vieux en fait deux fois le tour de son champ en tracteur et raconte, lyrique, quelques exploits de jeunesse à O. qui ne songe qu'à son chemin.Nous rions beaucoup. Les deux cousines ont elles aussi rencontré un paysan mais beaucoup plus désagréable. A peine ont-elles fini de parler que l'homme en question débarque. Silence gêné de notre part. J. doit se lever, s'expliquer sur notre présence, l'homme est propriétaire des lieux. Après un moment de tension, tout s'arrange, l'homme siffle son chien et repart; les cousines soupirent soulagées. Nous rions de l'incident pendant la vaisselle.
Nuit très mauvaise à cause de froid et de l'humidité, une rosée incroyable recouvre le sol dès le début de la soirée.


















Samedi 10 août


Jean 12, 24-26 "Là où je suis, là aussi sont mes serviteurs".
Méditation de M. : Jésus est partout et nous sommes partout avec Lui. on ne se suffit pas à nous-mêmes, et en s'ouvrant aux autres nous découvrons Dieu. Isaïe : "Je te conduis par le chemin où tu marches".
Psaume 78 :
"J'entends des mots qui m'étaient inconnus
J'ai ôté le poids qui chargeait ses épaules
ses mains ont déposé le fardeau

Quand tu criais sous l'oppression je t'ai sauvé
je répondais, caché dans l'orage,
je t'éprouvais près des eaux de Mériba."

Le matin se passe bien, j'aide à la cuisine, je fais la vaisselle, je raconte au petit déjeuner mes aventures de camping sauvage lors de mon voyage de noces. Journée de marche excessivement agréable. Je suis à l'écoute de certains qui portent quelques lourdes épreuves. Nous nous arrêtons dans un petit bourg et sous un pont, baignade en maillot de bain et lessive! Le paradis. Oh joie de se sentir propre, je crois vraiment que la saleté du corps est ce qui me coûte le plus dans cette aventure. Plus que la marche ou la fatigue. Le soir, repas délicieux habituel, je termine maintenant avec facilité mon riz alors que ça n'était pas le cas au début de la semaine. Nous discutons gaiement. Une petite jeune fille sportive et volontaire a quitté le groupe, moral cassé et pieds en compote d'après ce que j'ai compris. Elle me faisait penser à moi plus jeune. Ce goum est une bonne chose pour moi : je fais des choses que je n'ai pu faire à vingt ans, étant déjà mariée. Merci Seigneur pour ces moments de grâce, de joie et d'amitié. mon mari et mes enfants me manquent, je les sens proches de moi. Ma vie, mes chéris.
Nuit difficile à cause du froid. J'ai vu le soir  des étoiles filantes, une en particulier. J'étais à ce moment-là merveilleusement bien. Au sec, au chaud et sur un sol relativement moelleux. Un peu à l'écart du groupe ce qui ne me déplaît pas et entourée d'un côté par mon sac à dos et au-dessus de ma tête par ma cuvette en plastique souple remplie de mon barda.Bref, une petite chambrette. Les choses se sont gâtées au cours de la nuit où j'ai commencé à avoir froid, la température a baissé brutalement. mais bon, ciel superbe même si je n'ai pas vu ma "casserole", la grande Ourse, mon symbole personnel .
















Dimanche 11 août.


Ev. selon st Luc, parabole du Bon Samaritain
"Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle".
Que choisir pour être des saints, pour vivre sa vie avec Dieu? Ces questions mettent du temps à trouver des réponses. Isaïe : "Je te conduis par le chemin où tu marches". Le Seigneur est là quels que soient les chemins empruntés.
"Aimez son prochain comme soi-même". Il est important de se rappeler le regard de Dieu sur nous, qui sommes créés à son Image. Nous sommes ses merveilles et nous devons mettre les yeux du Christ dans notre regard. Voir notre beauté pour pouvoir s'émerveiller des autres.
La parabole du bon samaritain. Quel personnage aurais-je été dans cette histoire? Serions-nous vraiment le bon Samaritain? Il nous faut d'abord apercevoir ce prochain étendu sur la route, puis être touché au fond du coeur par sa détresse puis enfin on pourra agir et se rendre disponible. Nous pouvons être aussi cet homme blessé et mourant même si nous avons du mal à la reconnaître; Il est important de savoir se faire aider, de permettre aux autres d'aider, cela les fait grandir.

A cette heure, devant les contreforts des Causses je contemple le petit autel préparé pour la messe de toute à l'heure. Une sauterelle se ballade sur mon pantalon de randonnée d'une saleté repoussante mais que j'apprécie par dessus tout, tissu ultra léger qui sèche vite, poches partout pour mon souk à portée de main. La rosée sèche enfin, tout est calme et beau; des mouches m'agacent. Plus tard, dans la vallée où les brumes se dissipent enfin, les cloches du dimanche sonnent dans l'air pur. Au même instant, un oiseau lance un son musical. Quelle beauté nous environne, quelle simplicité, quelle évidence que Dieu est là. Tout est à sa place, tout est bien.

Bon anniversaire mon amour.

Journée de marche pénible, pour la première fois depuis le début de ce raid je ressens la faim et j'imagine quelques recettes de cuisine. La marche me paraît monotone et nous ne nous arrêtons même pas à une jolie cascade qui nous tend les bras, j'en pleurerais presque. Je me traîne littéralement sur les derniers kilomètres, incapable de bavarder. Nous retrouvons les plateaux plus sauvages et désertiques de l'Aubrac du début du goum. Le lieu de bivouac offre encore un magnifique point de vue avec les Cévennes dans le fond. Mais le pré où nous voulons nous installer est envahi par les vaches et... leurs bouses. Nous passerons la nuit dans un champ labouré, à côté.
Veillée avec les témoignages des deux lanceurs et de moi-même sur le mariage. J'insiste sur le fait que le mariage pour moi était avant tout un chemin de sanctification, que c'était pour moi là l'essentiel. Si j'ai eu peur jusqu'à la dernière minute avant d'entrer dans l'église, de m'engager, ça n'était pas pour d'imbéciles raisons du style "passer sa vie avec la même personne" mais parce que je mesurais la responsabilité écrasante que j'avais sur  l'âme de mon mari et de mes futurs enfants. Je m'engageais, en me mariant, à assurer, par ma propre sainteté, l'éternité des miens. Autre réflexion : le mariage, loin d'avoir été pour moi une prison est ce qui m'a rendue véritablement libre car en m'engageant j'ouvrais grandes les portes de ma liberté, de mon agir personnel. Enfin, troisième idée, celle de l'épanouissement personnel  : j'ai insisté pour montrer que cet épanouissement passe nécessairement, dans le mariage, par le bonheur de l'autre. C'est en assurant le bonheur de son conjoint qu'on s'épanouit soi-même. Il y a un leurre aujourd'hui, même dans les milieux catholiques, en faisant croire qu'assurer son propre épanouissement (carrière ou autre) permettra de se marier bien.  
Nuit horrible dans la rosée et le froid. Je compte les heures et les gouttes d'eau qui bordent mon sur-sac et me tombent sur le visage...






















Lundi 12 août.


Ev. selon st Math. Ch. 25, parabole des vierges folles et des vierges sages. M-T fait une méditation en forme de prière mais je ne retranscris qu'à moitié et mal : "C'est un péché contre l'Esprit que de croire qu'on peut profiter maintenant et qu'on aura ta miséricorde Seigneur. Car Tu nous prends quand Tu veux et pas forcément au meilleur moment du Jugement. Il me faut de l'huile comme les vierges sages et je n'en ai pas. Et je sais que Tu arrives. Je pourrais pomper l'huile de la Communion des Saints, mais, quel ennui! Alors, je vais prendre chaque goutte d'huile qui vient au jour le jour, Seigneur. Je vais tricher. Je ne vais pas prendre la porte officielle mais le chemin détourné. "Seigneur, Tu sais tout, Tu sais bien que je t'aime".

Je me repose pendant ma méditation, à moitié allongée dans l'herbe rase et au soleil, je suis une vierge folle et j'assume. Foin d'histoires d'huile, de prières, de jugement et de sanctification : je roupille et je veux en finir avec ce raid.
La marche est longue et pénible. Je suis à un moment donné l'abbé qui marche dans les prairies à un train d'enfer et je me tords les cheville en sautillant maladroitement derrière lui; Nous arrivons à un petit ruisseau et je décide d'attendre le groupe suivant en me trempant les pieds dans l'eau. Je revis en barbotant. J'enlève mes pansements d'ampoules et ma bande. Tout se réveille d'un coup! Les plaies piquent et la cheville enfle. Zut. Je remets une compresse sur les ampoules et une paire de chaussettes plus costaude sur la cheville. On verra bien.
Lieu de bivouac enfin atteint après une marche interminable où j'avance comme une brute sans dire un mot et nous nous faisons des ventrées de framboises délicieuses. Le coucher de soleil est superbe, je prends quelques clichés. Je m'endors bien au chaud pour être réveillée aussitôt pour une heure de veille et de prière autour du feu. Je somnole et m'occupe du feu. J'écris : "Merci Seigneur de m'avoir permis de faire ce goum. Tu sais Toi plus que moi pour qui et pour quoi j'ai fait cela, il reste maintenant ta partie à jouer, Seigneur. Car mes demandes sont tes demandes. Amen."









Mardi 13 Août.



Réveillés plus tôt que d'habitude, nous avalons un café vite fait et marchons avec le lever du soleil, en grand silence, méditant le texte des Béatitudes lu par M. Je prends quelques photos. Tout à coup, je pense à Manou, la grand mère de mon mari. Je sens, je sais qu'elle est décédée. La certitude s'inscrit en lettres de feu dans mon esprit. Conviction paisible.
Nous arrivons à une petite chapelle avec une belle statue de ND de la Salette à l'intérieur. Nous entendrons notre dernière messe ensemble ici. Sur les côtés, St Joachim et st Joseph.
Nous sortons, le soleil est radieux, nous repartons. Douches chaudes au camping local, la sensation de propreté sur mes cheveux et ma peau est absolument divine. J'appelle mon mari, il me confirme la mort de Manou. Elle est partie le 11 août, le jour de la sainte Claire (sa fille unique s'appelle Claire) et le jour d'anniversaire de mon mari, son premier petit fils... Je pleure. Mon mari pourra se rendre  à l'enterrement dans l'après midi, le temps que je revienne. J'en suis heureuse. Les grands parents de mon mari ont beaucoup compté pour notre couple, à ses débuts. Ils nous ont aidé matériellement et moralement, je leur dois beaucoup dans mon bonheur conjugal.
Petit déjeuner conséquent dans une auberge : après ces huit jours de jeûne, tout paraît extraordinaire! Et les produits locaux délicieux. J'achète un saucisson pour mon mari.
Dans le train, un jeune goumier me dit qu'il a été très touché de voir des "vieux" et une mère de famille marcher avec des plus jeunes. Je m'en réjouis. La prochaine fois, je sais que d'autres marcheront pour moi comme moi j'ai marché pour eux.




4 commentaires:

  1. Je t'ai toujours beaucoup aimé, mais je t'aime encore plus fort, mon amie, désormais.

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    1. Merci XP, tu m'as bien accompagné sur ce chemin, avec ta grande amitié. Elle m'a été très précieuse.

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  2. C'est bien gentil tout ça, mais vous avez pris leurs numéros à ces jeunes filles?

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    1. j'ai tout of course! mais faites donc un goum l'année prochaine!

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