dimanche 4 novembre 2012

Du conservatisme et du libertarianisme par Hans-Hermann Hoppe


Sur L'institut Coppet, le texte dans son entier : 






Le conservatisme moderne s'appuie sur l'Etat pour retrouver ses propres lois, règles ou normalité : 
Le conservatisme moderne, aux États-Unis et en Europe, est une notion de nos jours confuse et diversifiée. Cette confusion est en grande partie due à la démocratie. Sous l’influence de la démocratie représentative et avec la transformation des États-Unis et de l’Europe en démocraties de masse à partir de la première guerre mondiale, le conservatisme, force idéologique antiégalitariste, aristocratique et antiétatique, évolua en un mouvement d’étatistes culturellement conservateurs : l’aile droite des socialistes et socio-démocrates. La plupart des conservateurs contemporains autoproclamés s’inquiètent, à juste titre, du déclin des familles, du divorce, de la non-légitimité, de la perte d’autorité, du multiculturalisme, des styles de vie « alternatifs », de la désintégration sociale, du sexe et du crime. Tous ces phénomènes représentent des anomalies et des déviations scandaleuses de l’ordre naturel. Un conservateur doit en effet être opposé à tous ces développements et essayer de restaurer la normalité. Cependant, la plupart des conservateurs contemporains (du moins la plupart des porte-paroles de l’establishment conservateur) ne reconnaissent pas que leur objectif de retour à la normalité exige les changements sociaux antiétatiques les plus drastiques, voire révolutionnaires, sans quoi (lorsqu’ils en sont conscients) ils deviennent membres de cette « cinquième colonne » lancée vers la destruction du conservatisme de l’intérieur (et doivent dès lors être considérés comme « mauvais »).

(...)
Le conservatisme en politique (conservatisme étatique) n'est ni plus ni moins aujourd'hui qu'un "national-socialisme : 
En fait, les buchananiens admettent ouvertement qu’ils sont étatistes. Ils détestent et ridiculisent le capitalisme, le laissez-faire, les marchés libres et le libre-échange, la richesse, les élites et la noblesse ; et ils promeuvent un nouveau conservatisme populiste – prolétarien en fait – qui amalgame conservatisme social et culturel avec politique économique sociale ou socialiste. Ainsi, confirme Francis, « alors que la gauche pourrait gagner l’américain moyen par ses mesures économiques, elle le perd par son radicalisme social et culturel, et alors que la droite pourrait attirer l’américain moyen par la loi, l’ordre et la défense de la normalité sexuelle, la morale et la religion conventionnelles, les institutions sociales traditionnelles, l’invocation du nationalisme et patriotisme, elle le perd quand elle ressasse ses vieilles formules d’économie bourgeoise ».
Ainsi, il est nécessaire de combiner les politiques économiques de la gauche et le nationalisme et le conservatisme culturel de la droite pour créer « une nouvelle identité faisant la synthèse des intérêts économiques et des loyautés nationales-culturelles de la classe moyenne prolétarisée en un mouvement politique séparé et unifié ». Pour des raisons évidentes, cette doctrine n’est pas ainsi dénommée, car il y a un terme pour ce type de conservatisme : il s’appelle nationalisme social ou national-socialisme.
(...)


La négation ou le mépris des lois économiques aboutit à la perversion du système économique et à la misère : 
Mais le mépris historiciste et l’ignorance de l’économie n’altèrent en rien le fait que des lois économiques existent. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, par exemple. Ainsi ce qu’on consomme maintenant ne peut pas être à nouveau consommé dans le futur. Ou bien produire plus d’un produit exige de produire moins d’un autre. Aucun vœu pieu ne peut faire disparaître de telles lois. Croire qu’il en va autrement ne peut que conduire à l’échec en pratique. « En fait, » notait Mises, « l’histoire économique est une longue liste de politiques gouvernementales qui échouèrent parce qu’elles furent conçues avec un grossier dédain pour les lois économiques. » A la lumière des lois économiques élémentaires et immuables, le programme buchananien de nationalisme social n’est rien d’autre qu’un autre rêve utopique. Aucun vœu pieu ne peut changer le fait que conserver les institutions centrales de l’état-providence actuel et vouloir retourner aux familles, normes, conduites et culture traditionnelles sont des objectifs incompatibles. On peut avoir l’un – le socialisme (état-providence) – ou l’autre – morale traditionnelle – mais on ne peut pas avoir les deux, car l’économie nationaliste sociale, le pilier du système actuel d’état-providence que Buchanan veut laisser intact, est la cause même des anomalies culturelles et sociales.
Afin de clarifier cela, il suffit de se souvenir d’une des lois les plus fondamentales de l’économie selon laquelle tout enrichissement forcé ou redistribution de revenus, indépendamment des critères pris pour les concevoir, implique de prendre à certains – ceux qui ont quelque chose – et de le donner à d’autres – ceux qui n’ont pas ce quelque chose. En conséquence, l’incitation à posséder est réduite tandis que l’incitation à ne rien posséder est accrue.
(...)
A l’évidence, cette analyse basique s’applique à tout le système dit de « sécurité sociale » qui a été mis en œuvre en Europe occidentale (à partir des années 1880) et aux États-Unis (depuis les années 1930) : « l’assurance » gouvernementale obligatoire contre la vieillesse, la maladie, les blessures professionnelles, le chômage, l’indigence, etcEn conjonction avec le système encore plus ancien d’éducation obligatoire, ces institutions et pratiques aboutissent à une attaque massive des institutions de la famille et de la responsabilité personnelle. En dégageant les individus de l’obligation d’obtenir leur propres revenus, santé, sécurité, vieillesse, et l’éducation des enfants, le champ et l’horizon temporels de la responsabilité privée est réduit et la valeur du mariage, de la famille, des enfants et des relations entre pairs est amoindrie. Irresponsabilité, courte vue, négligence, maladie et même nihilisme sont promus, et responsabilité, anticipation, diligence, santé et conservatisme sont punis.
(...)
De plus, avec la socialisation du système de santé via des institutions comme Medicaid et Medicare (NdT : organismes publics d’assurance maladie et sociale) et la réglementation de l’industrie de l’assurance (en restreignant les droits de l’assureur à refuser tout risque individuel comme non-assurable, et discriminer librement, selon les méthodes actuaires, entre différents groupes à risque) une machinerie monstrueuse de redistribution de la richesse et des revenus, au dépens des individus responsables et groupes à bas risque, en faveur des acteurs irresponsables et des groupes à haut-risque, a été mise en marche. Les subventions pour la maladie et les affections favorisent les pathologies, les handicaps et affaiblissent le désir de travailler et d’avoir des vies saines. 
(...)
En tant qu’institution sociale, elle rend un peuple malade physiquement comme mentalement ou du moins aide à multiplier, allonger, et intensifier la maladie. […] L’assurance sociale a donc fait de la névrose de l’assuré une maladie publique dangereuse. Que ces institutions soient étendues et les maladies se multiplieront. Aucune réforme ne peut être d’aucune aide. On ne peut pas affaiblir ou détruire la volonté de santé sans produire des maladies. »

Absurdité du protectionnisme en matière économique : 
Je ne souhaite pas expliquer ici le non-sens économique de l’idée encore plus marquante de Buchanan et de ses théoriciens d’une politique protectionniste (protégeant les salaires américains). S’ils avaient raison, leur argument en faveur de la protection économique reviendrait à la mise en accusation de tout commerce et une défense de la thèse selon laquelle chacun (chaque famille) irait mieux si on ne commerçait avec personne. Certainement, dans ce cas personne ne pourrait perdre son emploi, et le chômage dû à une concurrence « injuste » serait réduit à zéro. Pourtant, une telle société du plein-emploi ne serait ni prospère ni forte ; elle serait composée de gens (familles) qui, bien que travaillant de l’aube au crépuscule, seraient condamnés à la pauvreté et à la famine. Le protectionnisme international de Buchanan, bien que moins destructeur qu’une politique protectionniste interpersonnelle ou interrégionale, aboutirait précisément au même effet. Cela n’est pas du conservatisme (les conservateurs veulent des familles prospères et fortes). C’est du nihilisme économique.
En tout cas, ce qui devrait être clair désormais c’est que tout ou presque de la dégénérescence morale et du pourrissement culturel – les signes de décivilisation – tout autour de nous sont les résultats inévitables et inéluctables de l’état-providence et de ses institutions centrales. Les conservateurs classiques, à l’ancienne mode, savaient cela et ils s’opposèrent vigoureusement à l’éducation publique et à la sécurité sociale. Ils savaient que les états, partout, étaient faits pour briser et in fine détruire la famille, les institutions et les couches de hiérarchie d’autorité qui sont le produit naturel des communautés familiales, afin d’accroître et de renforcer leur propre pouvoir.
(...)

Les conservateurs doivent être des libertariens (c'est à dire antiétatiques) et les libertariens doivent être des conservateurs : 
Les véritables conservateurs doivent être opposés à ces deux types. Afin de restaurer la normalité sociale et culturelle, les vrais conservateurs ne peuvent être que des libertariens radicaux, et ils doivent exiger la démolition – en tant que perversion morale et économique – de la structure entière de la sécurité sociale. Si les conservateurs doivent être des libertariens, pourquoi les libertariens doivent-ils être des conservateurs ? Si les conservateurs doivent apprendre des libertariens, les libertariens doivent-ils aussi apprendre des conservateurs ?
(...)
Les conservateurs sont convaincus que le « normal » et le « naturel » sont anciens et omniprésents (et peuvent donc être discernés toujours et partout). De façon similaire, les libertariens sont convaincus que les principes de justice sont éternels et universellement valides (et donc, doivent pour l’essentiel avoir été connus de l’humanité depuis ses tous débuts). Autrement dit, l’éthique libertarienne n’est pas nouvelle et révolutionnaire, mais en fait ancienne et conservatrice. Même les primitifs et les enfants sont capables de saisir la validité du principe d’appropriation originelle et la plupart des gens la reconnaissent comme un fait acquis indiscutable.
(...)
Alors que les créateurs intellectuels du libertarianisme moderne furent des conservateurs culturels, et alors que la doctrine libertarienne est totalement compatible et congruente avec la vision conservatrice du monde (et n’amène pas, comme le prétendent certains conservateurs critiques, à un « individualisme atomisé » ou à un « égoïsme possessif »), sous la corruption de l’état-providence moderne, le mouvement libertarien a connu une transformation significative. A bien des égards (et même dans son ensemble aux yeux des médias et du public), il est devenu un mouvement qui combine antiétatisme radical et économie de marché avec gauchisme culturel, contre-culture, multiculturalisme et hédonisme personnel ; c’est-à-dire l’exact opposé du programme buchananien de socialisme culturellement conservateur : le capitalisme contre-culturel.
(...)
L’opposition de principe des libertariens à la Guerre du Vietnam coïncida avec l’opposition quelque peu diffuse à la guerre de la part de la Nouvelle Gauche. En outre, l’aboutissement anarchique de la doctrine libertarienne séduisit la gauche contra-culturelle. Car la non légitimité de l’état et l’axiome de non-agression (voulant qu’on doit pas initier ou menacer d’initier la force physique contre autrui ou sa propriété) n’impliquaient-ils pas que tout le monde ait la liberté de choisir le style de vie – non-agressif – qui lui soit propre ? Cela n’impliquait-il pas que la vulgarité, l’obscénité, la profanation, l’usage de la drogue, la promiscuité, pornographie, prostitution, homosexualité, polygamie, pédophilie ou tout autre perversité concevable ou anormalité, en tant que crimes sans victime, ne soient aucunement des offenses mais des activités et styles de vie normaux et légitimes ? Sans surprise donc, dès le début le mouvement libertarien attira un nombre inhabituellement élevé d’adeptes anormaux et pervers. 
(...)
Cette combinaison intellectuelle ne pouvait finir bien. Le capitalisme de propriété privée et le multiculturalisme égalitaire font une combinaison aussi improbable que le socialisme et le conservatisme culturel. Et à essayer de combiner ce qui ne peut l’être, une grande partie du mouvement libertarien moderne contribua en fait à accroître l’érosion des droits de propriété (tout comme une grande partie du conservatisme contemporain contribua à l’érosion de la famille et des traditions morales). Ce que les libertariens contra-culturels n’arrivent pas à reconnaître et ce que les vrais libertariens ne sauraient assez mettre en avant, c’est que la restauration des droits de propriété privée et l’économie du laissez-faire impliquent une augmentation drastique et aiguë de la « discrimination » sociale et éliminera promptement la plupart sinon toutes les expériences de vie égalitaro-multiculturels si chères au cœur des libertariens de gauche. En d’autres termes, les libertariens doivent être des conservateurs radicaux et sans compromis.
(...)

Conséquences de ce libertarianisme de gauche : la désintégration du droit de propriété, l'intégration forcée et les maux divers qui s'ensuivent : 
L’état-providence moderne a grandement vidé les propriétaires privés du droit d’exclusion impliqué par le concept de propriété privée. La discrimination est rendue hors-la-loi. Les employeurs ne peuvent pas engager qui il veulent. Les propriétaires fonciers ne peuvent pas louer à qui ils veulent. Les vendeurs ne peuvent pas vendre à qui ils souhaitent ; les acheteurs ne peuvent pas acheter auprès de quiconque ils souhaitent acheter. Et les groupes de propriétaires privés ne sont pas autorisés à convenir d’accords de restriction quelconque qu’ils pensent leur être mutuellement bénéfiques. L’état a ainsi dérobé au peuple le plus clair de sa protection physique et personnelle. Le résultat de cette érosion des droits de propriété privée sous l’état-providence démocratique, c’est l’intégration forcée. L’intégration forcée est omniprésente. Les Américains doivent accepter des immigrants dont ils ne veulent pas. Les enseignants ne peuvent se débarrasser des écoliers / étudiants douteux ou se comportant mal, les employeurs sont coincés avec des salariés peu utiles ou incompétents, les propriétaires fonciers sont obligés de faire avec les mauvais locataires. Les banques et les assurances ne sont pas autorisées à éviter les « mauvais » risques, les restaurants et les bars doivent s’accommoder de client non-bienvenus tandis que les clubs privés et les associations sont conduits à accepter des membres en violation de leurs propres règles ou restrictions. De plus, s’agissant de propriété publique, c’est-à-dire du gouvernement, l’intégration forcée a pris une forme dangereuse : celle de la norme et de l’absence de loi.
(...)

Nouveau modèle de société fondé sur la discrimination, l'inégalité et le contrat : 
Selon un fort contraste, une société dans laquelle le droit d’exclusion est entièrement restitué aux propriétaires privés serait profondément inégalitaire, intolérante et discriminatoire. Il y aurait peu ou aucune « tolérance » ou « ouverture d’esprit » si chères aux libertariens de gauche. A l’inverse, on serait sur le bon chemin vers la restauration de la liberté d’association et d’exclusion impliquées par l’institution de la propriété privée si seulement les villes et villages pouvaient et voulaient faire comme ils firent en réalité jusqu’au XIXe siècle en Europe et aux États-Unis. 
(...)
En complément, les vrais libertariens conservateurs – par opposition aux libertariens de gauche – doivent non seulement reconnaître le fait qu’il y aura une brusque augmentation de la discrimination (exclusion, expulsion) dans une société libertarienne où les droits de propriété sont entièrement restitués aux propriétaires de maisons et de terrains privés. Mais plus important, il leur faudra reconnaître – et l’éclairage conservateur peut être utile pour y arriver – qu’il est bien qu’il en soit ainsi : 

(...)
Plutôt que d’être composées de terres adjacentes possédées par plusieurs, donc, les voisinages étaient typiquement des propriétés ou des communautés fondées sur une convention. Elles étaient fondées et possédées par un possesseur unique qui « louait » alors des parties séparées de la terre, selon des conditions spéciales, à des individus choisis. A l’origine, de telles conventions étaient basées sur des relations de pairs, le rôle du possesseur étant assuré par le chef de famille ou de clan. En d’autres termes, de même que les actions des membres de la famille immédiate sont coordonnées par le possesseur ou chef du ménage dans une famille à ménage unique, la fonction de direction et de coordination de l’usage de la terre par des groupes de ménages voisins était traditionnellement remplie par le chef d’un groupe étendu de pairs. Dans les temps modernes, caractérisés par une croissance massive de la population et une perte significative de l’importance des relations entre pairs, ce modèle libertarien original d’une communauté propriétaire a été remplacé par de nouvelles évolutions familières telles que les centres commerciaux et les « communautés grillagées ». Les centres commerciaux comme les communautés résidentielles grillagées sont possédés par une seule entité, soit un individu soit une entreprise privée, et la relation entre le possesseur de la communauté et ses habitants et résidents est purement contractuelle. Le possesseur est un entrepreneur recherchant le profit en développant et gérant des communautés résidentielles ou d’affaire qui attirent du monde en tant qu’endroits où ils souhaitent résider ou mener leurs affaires. 
(...)
C’est pourquoi il est évident que les libertariens doivent être des conservateurs moraux et culturels de l’espèce la moins prête au compromis. L’état actuel de dégénérescence morale, de désintégration sociale et de pourrissement culturel est précisément le résultat de trop de tolérance – et avant tout, une tolérance totalement erronée et faussement appréhendée. Au lieu de faire en sorte que tous les habituels démocrates, communistes et autres styles de vie alternatifs soient rapidement isolés, exclus et bannis de la civilisation en accord avec les principes de la convention, ils sont tolérés par la société. Pourtant cette tolérance ne fait qu’encourager et promouvoir encore plus de sentiments et d’attitudes égalitaires et relativistes, jusqu’à ce que soit atteint le point où l’autorité s’est effectivement évaporée (alors que le pouvoir de l’état, s’exprimant par les politiques d’intégration forcée qu’il sponsorise, se sera accru d’autant).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire