lundi 30 juillet 2012

De la nature angélique des artistes et de quelques lectures et de l'intérêt des joies du jour








"Comme souvent dans les conversions, la grâce qui semble survenir comme une météorite a été préparée par Dieu depuis longtemps selon un processus obscur dont la personne n'a pas vraiment conscience."

Lu ces jours-ci, lors d'un voyage en Toscane, les mémoires de Jean-Miguel Garrigues, "Par des sentiers resserrés; itinéraire d'un religieux en des temps incertains". Il commence par expliquer qu'arrivé à 60 ans, il lui semble intéressant et important de transmettre ses réflexions, ses expériences parce qu'aujourd'hui la plupart des adultes n'ont pas le coeur à transmettre quoique ce soit à la jeunesse qui manque alors de repères pour avancer. ça n'est pas sot du tout, je me suis beaucoup "construite" à partir de lectures ou de témoignages de personnalités que j'ai pu côtoyer et qui ont pallié parfois -souvent- à la famille pas tout à fait "dans le coup"(comme toute famille normale ni plus ni moins).
Sa conversion est en apparence brutale mais comme il l'explique très bien, elle était depuis toujours fignolée par le Tout-Puissant, notre Chasseur de l'infini et qui lorsqu'Il commence une traque, ne s'arrête jamais et va jusqu'au bout de l'entreprise. La seule chose qui peut mettre en déroute Celui qui a créé le ciel et la terre et tout l'univers, c'est notre liberté. Mais auparavant, Il nous aura dévoilé, à sa façon, proportionnée à ce que nous sommes, lentement ou rapidement, tout ce qu'Il est."Je suis Celui qui Suis". Pour avoir suivi quelques conversions cette année (et puis celle de mon père il y a quelque temps), et pour avoir moi-même un moment donné retrouvé une forme de foi quelque peu attiédie ou évanescente, ce témoignage d'un homme devenu un religieux peut intéresser certains aussi je recommande la lecture de cet ouvrage.

"C'était comme si se refermait la parenthèse de mon adolescence, où je m'étais cherché tout seul. Mon enfance m'était redonnée comme une grâce qui engageait mon avenir d'adulte. Il n'y avait même pas à choisir, mais simplement à acquiescer librement à un mystère qui correspondait à mon identité la plus personnelle, celle qu'il dévoilait au plus intime de moi.(...) Je savais que ma vie lui appartenait désormais et que j'avais enfin trouvé le lieu de mon âme."
Conclusion magnifique, expression d'une grande intensité "le lieu de mon âme". J'avais écrit ce "poème" il y a longtemps, "la maison, mon âme"(1) qui reprend assez bien ce sentiment d'une réunification intérieure après l'explosion, la dispersion psychique et spirituelle de l'adolescence ou d'une jeunesse qui se prolonge...

Cette autobiographie est passionnante à divers degrés : un degré personnel donc -parce qu'au travers d'une vie d'homme on apprend pour soi-même-, intellectuel -parce que Garrigues possède les clés d'une vraie et profonde réflexion philosophique, politique et théologique-, spirituelle -ce qui est tout de même l'aboutissement de tout homme véritable. J'essaierai de citer ici et là quelques extraits marquants de cet excellent livre.
Lu aussi Jack Kerouac, "Les anges vagabonds" -prêté par le jeune Prolo et que j'avais perdu mais ça y est, Gabrielle, mon angelot à moi, en mettant obstinément le souk dans ma bibliothèque l'a retrouvé!- et là aussi de bons passages sur cette notion angélique qu'XP reprend pour évoquer la personnalité artistique de Dewaere et qui me paraissait quelque peu excessive puisqu'attribuée à quelqu'un qui a plutôt eu une vie déjantée et pas très "angélique". Bref, je ne comprenais pas trop XP sur ce coup-là -mais ça m'arrive souvent et je l'imagine alors en train de lever les yeux au ciel ou bien de tourner comme un fauve chez lui rugissant devant la bêtise humaine et la mienne en particulier. Mais tout ceci n'est pas très grave; XP a dû mal à comprendre que tout le monde n'a pas un cerveau configuré comme le sien, comme  le moteur d'une Ferrari, par exemple, alors que moi c'est une bétaillère que j'ai dans la tête : ça démarre lentement et il me faut du temps pour atteindre mon plein régime et une certaine puissance et vitesse. Lui, passe en quelques dixièmes de secondes de 0 à 100, les rapports de vitesse ne sont pas exactement les mêmes. Et en plus je dois consommer de l'essence comme une tarée, c'est à dire lire beaucoup avant de piger quelque chose d'à peu près cohérent. Là, c'est en lisant Garrigues d'abord sur les anges -mais les vrais, les anges et les démons de la Bible!- et Kerouac -d'autres anges, chez lui, non moins réels mais différents- que j'ai compris quelque chose. Les artistes sont angéliques dans le sens où ils vivent à l'écoute de réalités invisibles qu'eux seuls voient ou entendent et qu'eux seuls arrivent à nous transmettre -plus ou moins bien. Ils ne sont pas angéliques, ces artistes, au sens moral du terme, la morale ils ne connaissent pas, non pas qu'ils soient d'horribles pécheurs -la plupart du temps ils le sont moins que la plupart des individus- mais simplement ils possèdent une forme d'inconscience, d'innocence qui les exclus de tout forme de moralité -exclusion absolument vitale pour faire ce qu'ils ont à faire.Sinon ils ne pourraient jamais écrire ce qu'ils écrivent : "... la déchirante discipline du véritable supplice par le feu, on ne peut pas reculer, on a fait le voeu de "parler maintenant ou se taire à jamais", la confession innocente qui va de l'avant, la volonté de rendre l'esprit esclave de la langue en s'interdisant tout mensonge et tout enjolivement..."(Kerouac)

Un extrait de Kerouac qui vous fera peut-être sentir ce que j'essaie pesamment d'expliquer :

"Quant à Lazarus, quand vous lui demandez : "Alors Laz? En forme?" il se contente de lever sur vous ses yeux bleus au regard innocent en esquissant l'ombre d'un sourire triste, presque un sourire d'angelot, et il n'a pas besoin de répondre. Si quelqu'un me rappelait mon frère Gérard, c'était bien lui. Un grand adolescent voûté et boutonneux mais au gracieux profil, qui aurait été complètement perdu si Simon, son aîné, n'avait pas été là pour s'occuper de lui et le protéger.Il ne s'y entendait guère pour compter son argent, il ne pouvait demander son chemin sans s'attirer des ennuis et, surtout, il était totalement incapable de trouver un travail, voire de comprendre quelque chose aux documents officiels et mêmes aux journaux. Il était au bord de la catatonie comme un de ses frères (qui avait été son idole, soit dit en passant) actuellement dans une institution.
Faute de Simon et d'Irwin pour le remorquer, le défendre, le nourrir et lui trouver un toit, il se serait fait ramasser sur-le-champ. Non que ce fût un crétin ou qu'il manquât d'intelligence : c'était, en fait, un garçon extrêmement brillant. J'ai vu des lettres qu'il écrivait à quatorze ans avant sa récente période de silence : elles étaient tout à fait normales, supérieures à la moyenne, pleines de sensibilité et c'était bien meilleur que tout ce que j'ai pu écrire au même âge lorsque j'étais moi-même un monstre innocent [sans doute ici l'expression la plus parfaite de cet angélisme dont parle XP] et introverti. En ce qui concerne sa marotte, le dessin, il surclassait la plupart des artistes contemporains, et j'ai toujours su qu'il était en réalité un grand artiste feignant d'être ailleurs pour que les gens lui fichent la paix et n'exigent pas qu'il trouve du travail. Je le savais pour avoir souvent vu cet étrange regard en coin qu'il me décochait, regard d'un compagnon ou d'un frère de conspiration dans un monde d'espions, si l'on veut..."

Bon voilà, avec ceci vous devriez vous faire une idée un peu plus claire de ce qu'est l'angélisme artistique.

Vous allez trouver que lire la prose très avertie d'un dominicain de haut vol et les délires -pas si déjantés que cela en fait- d'un Kerouac, c'est un peu bizarre pour une mère de famille "bien-sous-tous-rapports". J'aime beaucoup observer. Je suis quelque'un d'assez actif de façon générale mais plus par obligation que par réel empathie. J'aime contempler pendant des heures des animaux ou des individus.Je passe beaucoup de temps à regarder mes enfants. Ce cinéma permanent, animalier ou humain me fascine. Voilà aussi une des raisons pour lesquelles j'aime lire, sans aucun doute. Je suis une femme c'est à dire une vraie concierge, voilà tout.
Dans le récit de ces vacances italiennes,il sera beaucoup question d'animaux et d'enfants, vous vous en doutez. Du bavardage de bonne femme en somme et aussi de ces lectures proposées ci-dessus avec un troisième livre que ma fille devait lire pour ses études, "La littérature sans estomac" de Pierre Jourde. Il y est question de Houellebecq à un moment donné avec cette belle analyse :

"On portera le jugement que l'on voudra sur les utopies et les obsessions de Houellebecq. Elles lui permettent de composer un tableau poignant et cruel de notre monde. En choisissant des positions radicales, il en exerce une critique radicale. Dans cet éclairage de désespoir, de vide, de mort de toutes valeurs, pas même noir, mais grisâtre, la réalité se découpe de manière saisissante.
(...)
On ne peut cependant pas se défendre d'un malaise à propos de Houellebecq, du sentiment qu'il y a là quelque chose de louche. On est en droit de refuser ce nihilisme et cette manière d'universaliser la bassesse.Faut-il penser que cette oeuvre par sa sincérité, son humour, transcende sa médiocrité, ses pulsions répugnantes? Doit-on au contraire considérer qu'elle tend au lecteur un piège gluant, qu'elle sert à justifier son auteur à ses propres yeux et aux nôtres, à nous faire partager médiocrité et frustrations, à nous y attirer? Dépassement ou simple entreprise de blanchiment? Je n'ai pas de réponse."

Moi non plus je n'avais pas de réponse lorsque je me suis mise à lire Houellebcq ou bien à observer le monde et ses turpitudes. Et cela m'a énormément déstabilisée, cette lecture de Houellebecq.Mais je crois avoir trouvé une façon de relever le défi, de répondre, de m'extirper de ce piège gluant : un jeune blogueur m'a envoyé récemment une citation sur la notion de foi. Je lui ai répondu que selon moi, la vraie foi consistait non pas à vouloir échapper par nos propres forces au piège de notre péché qui enténèbre jusqu'à l'intime de notre être, mais à croire que même du fin fond de l'enfer où nous sommes, le Bon Dieu vient nous sauver et faire miséricorde.
Alors, répondre à la médiocrité, ça n'est pas vouloir la nier mais grappiller, heure par heure, dans tout ce qui constitue notre quotidien, la lumière spirituelle, le feu de Dieu qui y est certainement présent puisqu'on y croit. Saint Josémaria Escriva de Balaguer explique :
"Soyez-en convaincus, vous n'aurez habituellement pas à réaliser de prouesses éblouissantes, notamment parce que d'ordinaire l'occasion ne s'en présente pas. En revanche, les occasions ne vous manqueront pas de prouver votre amour de Jésus Christ dans les petites choses, dans ce qui est normal..."
Nous pouvons aller plus loin encore : même dans notre péché, dans ce gris, dans ce noir, dans cette médiocrité qui nimbe nos vies, il faut croire à l'illumination divine, à sa réconfortante et chaleureuse présence à nos côtés.Cela ne signifie pas croire en la sainteté par le péché comme le souligne Garrigues avec finesse dans ses mémoires, mais ne jamais douter du plan du salut de Dieu sur nous, il est le Traqueur divin et jamais Il n'abandonne sa traque :  ce blog, par ces "joies du jour" veut témoigner de ces lumières quotidiennes de la présence divine dans nos vies, de ses demandes répétées, de son attente patiente à notre égard et près de nous, toujours.




(1) La maison, mon âme.

Je m’en viens te retrouver, Seigneur, dans ma demeure
Après une longue absence, tu m’attendais, debout
Dans ma maison abandonnée qui
Doucement
Se meurt.

Je suis entrée et me suis arrêtée sur le seuil
Sans rien dire. Nos regards se sont croisés
Dans ma maison abandonnée qui
Doucement
Pleure.

D’un geste las, j’ai posé mon sac, ma si lourde charge
Et tu t’es empressé auprès de moi, j’étais épuisée
Dans ma maison abandonnée qui
Doucement
Mon front effleure.

J’ai fermé les yeux, un vertige m’a emportée
Virevoltante vers une couche moelleuse préparée
Dans ma maison habitée qui
Doucement
Guérit mon cœur.

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