mercredi 9 mai 2012

Pèlerinage de dames






Hier, journée de pèlerinage de "dames", 30 km en Beauce vers la cathédrale de Chartres. Je suis partie tôt le matin, laissant ma voiture au lieu de rendez-vous. J'emporte dans mon coeur tous mes soucis, mes enfants, ma famille, mes amis. J'ai un coeur un peu lourdement chargé, ces temps-ci, à la différence de mon petit sac qui ne contient qu'un sandwich et un cube de jus de fruit préparés hâtivement.

Marcher a toujours été pour moi une façon idéale de réfléchir, de prier, d'avancer spirituellement et de me relever physiquement lorsque je suis à bout de nerfs, d'angoisses et de fatigue. Le coeur d'une maman est quelque chose d'assez particulier, quelque chose qui est broyé chaque jour que Dieu fait et qui ressuscite le jour suivant. C'est pas facile de mourir chaque jour et de renaître le lendemain... On n'apprend pas cela, à l'école, on ne l'apprend jamais si ce n'est au moment où l'on tient son fils ou sa fille dans ses bras pour la première fois... Et cette douleur immense et inconnue, il faut l'apprivoiser et vivre avec. Y arrive t-on vraiment?

Nous nous retrouvons donc entre dames, jeunes, vieilles, toutes bonnes marcheuses, à peu près. Notre curé nous accompagne. Nous partons en retard évidemment, nous sommes des femmes... Nous commençons le chapelet, j'aime animer les dizaines, je parle fort pour que la colonne entende bien, j'ai l'habitude, nous le récitons le matin en voiture et je m'écrie souvent auprès des enfants qui entament les "Je vous salue Marie" : "plus fort!!" tout en doublant avec énergie les tacots qui barrent ma route.

Premier arrêt à la sortie d'un village, notre prêtre commence un petit speech, je n'ai pas trop le coeur à l'écouter, je suis venue faire un peu le vide justement, je m'éloigne et sors mon appareil photo, mon fidèle compagnon, mon troisième oeil, celui qui me fait voir d'autres réalités que je ne contemple pas avec ma vue ordinaire... Mon curé a vu ma manœuvre et vient discuter en marchant avec moi. Je lui confie quelques soucis avec mes grands étudiants, la difficulté à les ancrer dans le monde réel.

Nous marchons d'un bon pas, la colonne s'étire maintenant , nous baguenaudons, prions et parlons au gré des mouvements et de celles qui passent à nos côtés. Je remonte et redescends la colonne plusieurs fois, confiante en mes gambettes pour prendre des photos.

En arrivant dans Chartres quasiment au pas de course, notre bon prêtre supplie le troupeau éparpillé : "pressez-vous mesdames, je dois assurer la messe". Et il soupire décontenancé :"les pélé de femmes c'est moins "mythique" que les pélé d'hommes; ces derniers sont toujours bien groupés, ils chantent bien comme il faut, pas de bavardages, ils veulent montrer où ils passent qu'ils sont là, que c'est eux quoi... Les femmes paraissent moins désireuses d'imposer leur présence, plus individualistes, en apparence plus légères et pas très solidaires d'un groupe..." 

Un pèlerinage de dames, c'est cela, entre deux "Je vous salue Marie", parfois même en plein milieu d'une prière, nous bavardons. Cette propension à la discussion, en apparence futile et légère peut surprendre, en effet. Mais les apparences sont trompeuses : entre deux remarques sur l'allaitement et les devoirs d'école, entre deux éclats de rire intempestifs, les femmes refont le monde, modèlent plus sûrement qu'une abeille en sa ruche les structures qui sont à la base de leur cercle, leur alvéole à elles, qui s'imbriquera dans un plan plus vaste, celui de la société dans laquelle elles souhaitent vivre et faire vivre leurs enfants... Tout est à l'édification de ce projet instinctif et puissamment raisonné jour et nuit dans leur tête et leur coeur. Pas d'idéalisation, que de la construction, brique après brique, minutieuse, patiente, inexorable, dans les détails les plus infimes. "-Mon fils n'a pas encore de petit boulot pour cet été. -Oh! Vraiment? je connais untel qui cherche dans son supermarché...-intéressant, il pourrait y aller à vélo..." "Les scouts, dans la ville de X, ça donne quoi? Les chefs et cheftaines sont-ils ok?-Oui, tu peux y aller en toute confiance, mais organise-toi pour les trajets, cela vaut mieux..." etc. Et ceci tout le long des champs de la Beauce, que l'on remarque à peine, parce qu'une mère n'a comme horizon que sa famille, son homme, ses enfants. "-Oh le magnifique champ de colza! Ces couleurs superbes! Mon chéri est très allergique d'ailleurs, au colza, c'est un souci pour lui le printemps..."  Finalement je pense qu'elles sont tellement ancrées dans ce monde qu'elles ne peuvent s'en dissocier réellement, prendre de la distance et c'est sans doute ce qui fait leur difficulté à être des artistes à part entière. (sauf exception bien évidemment).

Discussion intéressante avec une jeune femme qui vit en zup avec ses enfants et mari  : trois ans de pratique de self-défense, me dit-elle, elle m'encourage fortement à continuer mes cours. "L'inquiétant, me dit-elle, ça n'est pas que la délinquance augmente, elle a toujours augmenté, mais c'est que les délinquants -de plus en plus jeunes- sont aujourd'hui vraiment très très méchants et violents dans leurs actes. Sans aucune notion de bien ou de mal. Ils n'hésiteront pas, chez nous, à lâcher leur pitbull pour éventrer notre propre clebs ou bien à brûler notre voiture tout en nous souriant le lendemain comme si rien ne s'était passé... Je vis avec un stress que peu de personnes peuvent imaginer, ajoute t-elle résignée... Au quotidien, ce sont les couches-culottes sales des enfants balancées par les fenêtres, plutôt qu'entreposées dans une poubelle, quand ce n'est pas le fait-tout de couscous jeté en bas de l'immeuble. Et encore, ça ce n'est rien... Les vélos volés, qu'on récupère sois-même chez le voisin, sans que celui-ci d'ailleurs nie quoique ce soit. Et pas question de leur faire des remarques : on ne s'en tirerait pas vivants et de toutes les manières, ils ne parlent pas français..." Le constat lucide et implacable de français que personne n'a jamais vus ou entendus. Le soir même, à la télévision, gros plan sur les "banlieues" avec ce discours de membres issus de la diversité, eux sont minutieusement scrutés, interrogés, mis en avant :  "ils" (les mauvais français de souche bien sûr) ont une mauvaise image de nous, c'est vraiment injuste!!" J'éteins, fatiguée : il est où le monde réel?? Sur une gaufrette, offerte au déjeuner  à midi par une maman, j'ai lu ce mot : "J'hallucine". Huhu.

Arrivée à la Cathédrale, je boitille et la crypte humide n'arrange rien. En rentrant à la maison, je n'ai pas encore posé mon petit sac que je suis assaillie par mes amours abandonnés une journée entière! Seigneur! Comme j'étais heureuse de leur échapper!  Comme je suis heureuse de les retrouver!





7 commentaires:

  1. Un instant , je me suis surpris à imaginer ce que pouvait donner une Croisade de bonnes femmes ...

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  2. Ben justement, c'est ce que vous ne comprenez pas : les bonnes femmes, elles sont tout le temps en croisade... Alors évidemment, il n'y pas de bannières vraiment flambantes, les préoccupations sont très terre à terre, mais je vous assure que la croisade est permanente.

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  3. ... je me suis surpris à maginer ce que pouvait donner une Croisade de bonnes femmes , et j'ai vu des milliers de foyers où les couches-culottes et les devoirs trépassaient sous les coups de ces Chevalières au grand coeur , semant avec ferveur et humilité les graines de l'humanité à venir .

    Bon sang , mais laissez-moi finir mes phrases !

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  4. "avec ferveur et humilité", oui évidemment ce serait mieux mais chez moi c'est avec rage et rapidité. Bon, on est comme on est hein...

    En attendant, nous avons fait trente bornes très vite, nous avons traversé les champs comme des flèches pour la frime et là je claudique lamentablement encore ce soir.

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  5. Coïncidence...

    http://devine.over-blog.fr/article-horizontal-vertical-chartres-104833254.html

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  6. Une très bonne vidéo chez XYR : Nietzsche et le féminisme : http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=XMaJgwkqx4s#t=100s

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  7. Un article sur ces jeunes de plus en jeunes et de plus en plus violents : http://actu.orange.fr/france/sept-policiers-blesses-par-des-mineurs-l-un-d-eux-recherche-dans-la-loire-afp_600906.html

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