vendredi 13 avril 2012

Etatisme, chez Nicomaque

En préalable, pour une réflexion plus complète,  ce commentaire de Nicolas sur Ilys  :
« L’abstention est un choix électoral à considérer au même titre que le vote pour n’importe quel candidat. »

Ben non. Imaginer que l’abstention embête tant soit peu les hommes de l’État est un raisonnement d’une naïveté consternante. Parce que les partis politiques adorent l’abstention. Une abstention c’est une demi-voix de gagnée, c’est quelqu’un qui ne votera pas pour un concurrent. Au delà des rituelles mains tordues sur l’abstention le soir de l’élection devant Claire Chazal, piteux théâtre qu’on peut oublier, l’abstention, c’est ce qui dégonfle la réserve d’électeurs contestataires ou d’électeurs médians, bref de ceux qui font dans une certaines mesure l’élection hors de la cuisine des partis politiques. L’abstention, c’est le meilleur ami du politicien clientéliste, puisque chaque voix d’un de ses clients pèse plus, et qu’à la limite il n’y a plus que des clients qui votent.
Et in vivo, n’en déplaise aux éloquentes démonstrations, la démocratie américaine a depuis longtemps fait la preuve qu’une démocratie d’opinion s’accommode parfaitement d’une participation au vote durablement faible.
On peut s’abstenir en sachant tout cela, sans doute, et même pour d’excellentes raisons. Mais non, l’abstention n’est pas « un choix électoral à considérer au même titre que le vote ». C’est même tout le contraire.



Article de Nicomaque :  
Rousseau vs Hobbes : le faux duel de la présidentielle
En ce mois d’avril, Philosophie magazine consacre un dossier à l’élection présidentielle. L’idée centrale de ce dossier ne manque pas d’intérêt : « Rousseau contre Hobbes, le vrai duel de la présidentielle ». 
L’image de couverture est bien trouvée. Et surtout, à la lecture du contenu du dossier, on est frappé par la justesse des analyses. Hobbes était convaincu que « l'homme est un loup pour l'homme » et a donc imaginé un État-Léviathan, qui fasse peur aux hommes, pour éviter le retour à « la guerre de tous contre tous », qui caractérise l’état de nature. Rousseau, de son côté, défendait au contraire une bonté naturelle originelle, corrompue par la société et appelée à être réactivée par un « contrat social ». Or, il est bien vrai que Nicolas Sarkozy est proche de la philosophie autoritaire de Hobbes, là où François Hollande rejoint l'aspiration égalitariste de Rousseau. Vu sous cet angle, le débat, en apparence atone, de la présidentielle prend un relief tout à fait inattendu. On peut même aller plus loin, c’est toute la droite française qui est hobbesienne, tandis que la gauche est rousseauiste.   Pourtant il y a quelque chose qui cloche dans tout cela. Un fait qui échappe complètement à l’analyse de Philosophie Magazine et qui mérite une attention toute particulière. Loin d’être l’affrontement de deux visions opposées de la politique, l’opposition entre Hobbes et Rousseau propose en fait  deux versions peu différentes d’un même dogme : celui de l’étatisme ou de l’État comme fin et non comme moyen. L’un défend la souveraineté absolue du Prince, l’autre la souveraineté absolue de la volonté générale, c’est-à-dire du législateur. On ne trouvera ni chez Hobbes, ni chez Rousseau, une philosophie du gouvernement limité, ni même une philosophie de la protection des droits individuels, en particulier du droit de propriété. La vision de Hegel au XIXe siècle, s’inscrira d’ailleurs dans l’héritage classique de Hobbes et de Rousseau en ce sens qu’il maintiendra la suprématie quasi divine de l’État et du politique sur la sphère « inférieure » de la vie économique et sociale.
Le philosophe J.F. Kervégan (professeur à Paris I), spécialiste des penseurs du contrat social, écrit justement : « Comme Hobbes, Rousseau pense que l’unité d’une société ne peut être que politique, et cette conviction se traduit par la position éminente du « souverain » ; simplement, chez lui, le souverain est et ne peut être que la « volonté générale », et non plus celle d’un homme ou d’une assemblée ; la structure de la théorie hobbesienne de la souveraineté est maintenue, seul change l’identité du sujet auquel celle-ci est attribuée. » (Ce qui fait société : le politique, l'économie, le droit ? Conférence à l'AJEF, le 14 octobre 2009)
Le fait que la souveraineté réside dans une volonté ou bien qu’elle réside dans le peuple ne fait pas une grande différence si cette souveraineté n’est pas d’abord limitée, faisait déjà remarquer Benjamin Constant après la Révolution française. « Prions l’autorité de rester dans ses limites, nous nous chargeons de notre bonheur », écrivait-il. Et il ajoutait : « la souveraineté n’existe que de manière limitée et relative ». 
La philosophie politique de Constant se fonde sur une conviction fondamentale : « il y a une partie de l’existence humaine qui est de droit hors de toute compétence sociale » (entendre ici : compétence politique). Constant rejoint ainsi Smith, Locke et les physiocrates français, pour qui la société peut s’auto-organiser et s’autoréguler, dans le cadre de la concurrence et du droit naturel de propriété. Les penseurs du libre marché au XXe siècle, comme Mises et Hayek notamment, contesteront à leur tour le modèle constructiviste et artificialiste de Hobbes et de Rousseau. 
On le voit donc, l’opposition entre Hobbes et Rousseau, entre Sarkozy et Hollande, est une fausse opposition idéologique qui trompe les électeurs. L’analyse de la vie politique française depuis plus de quarante ans nous le confirme : la droite et la gauche convergent de plus en plus vers un centre mou, à la fois étatiste et corporatiste, conservateur et progressiste, renonçant de plus en plus à tout ce qui pouvait encore les distinguer. La droite a renoncé au libre marché au profit d’un interventionnisme moralisateur (« moraliser le capitalisme » comme on dit) et d’une politique fiscale collectiviste. De son côté, la gauche a renoncé aux dogmes de la planification collectiviste et de la lutte des classes et se veut pragmatique. Bref, à droite comme à gauche, on rejette les doctrines, qualifiées d’ « idéologies » et on accepte tous les compromis. 
Résultat : la « droiche » ! Ce mouvement historique correspond en fait à l’avènement de ce qu’on appelle la social-démocratie : État-providence, justice sociale, prélèvements obligatoires, assistanat, multiculturalisme… c’est le prix de la paix sociale. Au programme donc : immobilisme et statu quo. Surtout ne changeons rien au système. Et la différence entre droite et gauche n’est en fait qu’une affaire de dosage, de nuances, car les deux principaux partis sont des clones (voir mon article : Peut-on sortir du statu quo des grands partis politiques ?).
La ligne de clivage qui séparait jadis la droite et la gauche s’est donc déplacée. Ou passe-t-elle désormais ? Le véritable duel, le seul qui soit digne de ce nom, est celui qui oppose les défenseurs de l’individu et de la société aux défenseurs de l’État, ceux qui font confiance dans la capacité des individus à s’organiser librement par eux-mêmes et ceux qui pensent que l’État est la fin de l’Histoire. C’est l’individualisme responsable et la philosophie du libre marché contre le collectivisme social-démocrate. 
Malheureusement, ce libéralisme-là n’existe plus dans le paysage politique français, comme il existe encore aux États-Unis avec Ron Paul. Au XIXe siècle, il était porté en France dans le débat intellectuel et politique par Say, Constant et Bastiat, notamment. Mais les Français ont la mémoire courte et il faut leur rappeler que le libéralisme n’est pas une spécificité anglo-saxonne et qu’il existe bien en France une tradition libérale qui remonte à Turgot et à Quesnay (Voir le travail de l’Institut Coppet pour promouvoir l’école libérale française). 
Un François Bayrou peut-il aujourd’hui incarner ce courant, comme l’affirme Philosophie Magazine qui le classe comme un digne représentant de la philosophie de Locke ? Il est permis d’en douter, vu son approbation à toutes les mesures collectivistes votées depuis vingt ans. On est bien loin d’un Ron Paul. Alternative libérale avait su incarner cet espoir en 2006-2008, comme Alain Madelin à son époque. Aujourd’hui, l’espoir renaît avec la vraie-fausse candidature de Frédéric Bastiat (bastiat2012.fr), portée par une génération d’étudiants qui a découvert Ron Paul et a compris où se trouvait la véritable alternative. Soutenons cette initiative, même modeste, qui mérite en France un bel avenir.Publié sur 24HGold
En annexe :
En 1848, l'économiste Frédéric Bastiat comparait la Constitution des Etats-Unis à celle de la France :
Ce qui suit est le début du préambule de la Constitution [française] : "La France s'est constituée en République [dans le] but (…) de faire parvenir tous les citoyens (…) à un degré toujours plus élevé de moralité, de lumières et de bien-être." (…) N'est-ce pas en cédant à cette étrange illusion que nous sommes conduits à tout attendre d'une énergie qui n'est pas la nôtre ?... Les Américains ont conçu une autre idée des relations des citoyens et du gouvernement. (…) Il n'y a pas ici [dans le préambule de leur Constitution] de création chimérique, pas d'abstraction desquelles les citoyens puissent tout exiger. Ils n'attendent rien sauf d'eux-mêmes et de leur propre énergie.
A lire aussi : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/04/12/l-antiliberalisme-le-seul-point-d-accord-entre-les-dix-candidats_1684574_3232.html

9 commentaires:

  1. Moi, je ne vote jamais parce que ça fait peuple.

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  2. Je crois qu'il ne fait pas confondre débat philosophique de fond et stratégie politique à adopter (dans le cas d'une élection). Les gens de gauche ont toujours mis les mains dans le cambouis sans trop de complexe,et ça a été payant, les gens de droite, au nom d'idéaux, n'ont jamais rien foutu et surtout jamais rien obtenu.Ils confondent les batailles et la Guerre.

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  3. C'est ridicule d'aller voter pour des raisons strategiques, pour une raison simple: ça ne marche jamais, ni à gauche ne à droite. Ceux qui pourraient voter sans croire au suffrage universel mais par stratégie sont une poignée, et on ne fait pas bouger un vote si on est une poignée.

    La gauche n'obtient rien "parce qu'elle met les mains dans le camboui" en allant voter, c'est à dire en allant exprimer je ne sais quelle vote "stratégique".

    Les seuls qui font ça sont les militants du du NPA ou de LO, des fonctionnaires qui ont en effet "obtenus beaucoup", mais certainement pas parce que leurs groupuscules a fait des bons scores oux élections.

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  4. "Et in vivo, n’en déplaise aux éloquentes démonstrations, la démocratie américaine a depuis longtemps fait la preuve qu’une démocratie d’opinion s’accommode parfaitement d’une participation au vote durablement faible."

    C'est justement parce que le vote y est durablement faible qu'ils ont encore le premier amendemnt, et que comme le dit Dantec dans sa merveilleuse formule "les Etats-Unis sont une monarchie dont le monarque est la constitution".

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  5. "Parce que les partis politiques adorent l’abstention. Une abstention c’est une demi-voix de gagnée,"

    La simple observation des faits nous démontrent l'inverse. Ils font tout pour vavoriser l'abstention. Parce que seule une participation massive 'quelque soit le parti) justifie la primauté de l'Etat sur l'individu et de la politique sur le Droit.
    Aux USA, la primauté de la constitution sur le suffrage universel et donc de l'individu sur la "volonté générale" n'est possible que parce que la participation est faible. Ou plus exactement, la faible participation est la conséquence logique de la primauté de la constitution sur la volonté politique.

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  6. D'ailleurs, l'article de Nicomaque confirme ce que je dis sur le non-sens du vote, quel qu'il soit. Quand on vote massivement, on n'a plus le choix qu'entre Hobbes et Rousseau, pour une raison simple: comment peut-on espèrer recul de l'Etat d'une participation massive aux élections des gens de l'Etat, comment peut-on croire qu'un recul de "la volonté générale" pourrait le fruit d'une volonté générale?

    Quand on vote, on participe à l'expression de la volonté générale, et on plébicite donc par ce choix le principe de volonté générale.

    Un libéral qui vote est donc une sorte de libéral "non pratiquant"^^

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    1. Oui Nicomaque te suit à 100% dans tes analyses.Mais je suis une femme lente à la comprenette...

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    2. Hashtable est encore plus clair : "vous voulez sauver ça ? Et avec encore plus de collectivisme ? Plus de socialisme ? Plus de gentille redistribution des richesses qu’on ne crée plus ? Mais, vous voulez sauver quoi, au fait ? Vous voulez sauver un tel merdier ?"
      Et finalement Ayn Rand dans la grève dit pareil : ceux qui s'obstinent comme Hank Rearden sont les premiers coupables car ils font le jeu des pillards, ils participent à ce sauvetage... des pillards.
      En fait participer au vote c'est non seulement contre-nature pour un libéral mais moralement condamnable puisque c'est faire le jeu d'un système étatique complètement vicié et vicieux.

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  7. Pourquoi est-ce que la gauche, c'est le mal ? Une réponse intéressante :

    http://charltonteaching.blogspot.fr/2012/04/clever-sillies-and-transcendental.html

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