vendredi 30 décembre 2011

"Mon boulot dans l'existence, c'est de me sauver"




"Voilà un mois, mon agent Maxim Lieber m'a refusé une nouvelle sous prétexte qu'elle était ironiquement pro-catholique. Je n'ai vraiment pas eu conscience du moindre préjugé en écrivant cette histoire. Tout cela m'est venu aisément et naturellement. Le style en est bon. Lieber me l'a dit. Il a même ajouté que c'était une excellente nouvelle et qu'il réussirait sans aucun doute à la vendre. Je suis encore fou de rage à l'idée qu'un agent, un simple agent, un foutu marxiste, un putain de corniaud de marxiste, rejette une nouvelle parce qu'elle ne correspond pas à ses caprices du moment. C'est la troisième fois que cela m'arrive. Je suis sûr que vous ne m'auriez pas fait une chose pareille; je me rappelle beaucoup de textes que vous avez publiés qui n'étaient pas en harmonie avec vos principes. Une nouvelle est nouvelle; si elle est bonne, elle doit être imprimée. Mais sous prétexte qu'une nouvelle a un thème catholique, il n'y a pas de raison pour qu'un putain d'agent à la con-censé s'occuper de textes littéraires et non de propagande- la refuse. J'en ai ma claque de ce bonhomme; mieux, je vais lui faire la peau à la première occasion. Qu'est-ce que j'en ai à foutre du communisme? Ils peuvent bien me coller le dos au mur et me fusiller; ce n'est pas pour ça que j'adhérerai au marxisme de pacotille d'une coterie imbécile de diplômés d'Harvard qui -parce qu'ils n'ont rien dans les tripes- gobent et défendent des principes auxquels ils pigent que dalle. Aujourd'hui, n'importe quel marginal, pédé ou lesbienne est communiste. Ils me rendent malade! Et ils devront d'abord me passer sur le corps avant de m'empêcher de publier. Ils sont dix fois pires que Babbitt. Ils "sympathisent" avec les masses. C'est un mensonge. Ils utilisent les masses pour vendre leurs canards, mais leur sympathie relève de l'hypocrisie pure et simple. Regardez Dreiser et Anderson. Ces types ne sont pas sincèrement communistes. Ils sont communistes parce que le communisme paie dans ce pays. Personnellement, je n'ai aucune sympathie pour les masses. Les masses existeront toujours. Elles sont composées d'imbéciles. Elles sont indispensables à la société. Si vous voulez mon opinion, je hais les masses. J'ai vécu avec elles, j'ai respiré leur haleine fétide, côtoyé leur esprit abruti. La culture ne les concerne pas. En fait, rien ne les concerne. Elles sont condamnées. Qu'elles crèvent donc. Mon boulot dans l'existence, c'est de me sauver. C'est là une rude affaire. Je ne compte pas me salir les mains en essayant de sauver les masses."

(Fante/Mencken-Correspondance)

13 commentaires:

  1. Ce bouquin était introuvable ! Où l'avez vous eu, Crevette ?

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  2. J'ai un pourvoyeur perso en livres introuvables.

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  3. Pendant le maccarthysme, il a dû dénoncer à tour de bras, ce type, scénariste à Hollywood, détestant les gens de gauche, il a dû balancer quelque chose!

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  4. Oui, il a dû faire son devoir de citoyen et d'homme libre.

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  6. Luc,le trollage à deux balles, faites ailleurs.

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  7. Cela dit, je paye une saucisse d'Auvergne au traducteur qui trouvera le moyen de nous débarrasser de la tournure "un putain de..." pour transposer "a fucking..." (supposition de ma part évidemment, je n'ai pas lu le texte original -- mais je ne pense pas beaucoup m'avancer).

    Si "un putain de..." est parfaitement français, il dénote immanquablement le texte traduit de l'anglais. Ce qui veut bien dire qu'on n'écrirait pas spontanément "un putain de..." en français. Ou du moins pas aussi souvent.

    Et j'avoue ne pas avoir la solution.

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  8. Certes Robert, mais je trouve toutes ces tournures très drôles dans ce texte et surtout elles marquent bien la fureur -légitime- de l'écrivain.

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  9. Eh bien nom, justement, “un putain de…” n'est même pas français, dans la simple mesure où le pot est du genre féminin.

    Cela, pour appuyer l'exigence du sire de Marchenoir et autres lieux.

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  10. Et moi qui ai repris ce texte croyant le voler à XP, et le signalant comme tel sur mon Blog, il y a quelques jours, alors que la source... c'est vous !

    Je me trompe ?

    Ah la la !

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  11. Oui, la source c'est moi, mais c'est bien que plusieurs le reprennent...

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