"Parfois le destin ressemble à une tempête de sable qui se déplace sans cesse. Tu modifies ton allure pour lui échapper. Mais la tempête modifie aussi la sienne. Tu changes à nouveau le rythme de ta marche, et la tempête change de rythme elle aussi. C'est sans fin, cela se répète un nombre incaculable de fois, comme une danse macabre avec le dieu de la Mort, juste avant l'aube. Pourquoi? Parce que cette tempête n'est pas un phénomène venu d'ailleurs, sans aucun lien avec toi. Elle est toi-même et rien d'autre."
"-Il se passe beaucoup de choses autour de moi. Certaines que j'ai choisies, d'autres non. Mais je ne perçois plus très bien la différence entre les deux. C'est à dire, même ce que je crois choisir de ma propre volonté me semble avoir été déterminé d'avance. J'ai l'impression de suivre un chemin que quelqu'un d'autre a déjà tracé pour moi.
(...)
-Même si c'est vrai, même si tes choix et tes efforts doivent fatalement se révéler vains, tu seras toujours toi, et personne d'autre. C'est bien toi qui avances et pas un autre. Ne t'inquiète pas.
Je lève les yeux, le regarde. Il a un air étrangement convaincant.
-Pourquoi en êtes-vous si sûr?
- A cause de l'ironie.
-L'ironie?
Il me regarde dans les yeux.
-Ecoute-moi bien, Kafka Tamura, le sentiment que tu éprouves actuellement a fait l'objet de nombreuses tragédies grecques.Ce ne sont pas les humains qui choisissent leur destin mais le destin qui choisit les humains. Voilà la vision du monde essentielle de la tragédie grecque. Et la tragédie -d'après Aristote- prend sa source ironiquement, non pas dans les défauts mais dans les vertus des personnages. Tu comprends ce que je veux dire? Ce ne sont leurs défauts, mais leurs vertus qui entraînent les humains vers les plus grandes tragédies. Oedipe roi, de Sophocle, en est un remarquable exemple. Ce ne sont pas sa paresse ou sa stupidité qui le mène à la catastrophe mais son courage et son honnêteté. Il naît de ce genre de situation une ironie inévitable.
- Alors il n'y a aucun moyen d'y échapper.
- ça dépend des cas. Mais l'ironie donne de la profondeur aux humains, et de la grandeur. Elle offre le salut, un salut d'un niveau supérieur, et une sorte d'espérance universelle. C'est pour cela que tant de gens lisent les tragédies grecques aujourd'hui encore. Elles constituent une sorte d'archétype de l'art. Je me répète mais, dans la vie, tout est métaphorique. Personne ne tue réellement son père, personne ne couche réellement avec sa mère, n'est-ce pas? Nous intégrons l'ironie de la vie grâce à un instrument appelé métaphore. Et c'est comme cela que nous grandissons, que nous devenons plus profonds."
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