mercredi 26 janvier 2011

La question totalitaire

La question totalitaire avec Marcel Gauchet et Philippe de Lara, Répliques du 22 01 2011,  avec Alain Finkielkraut. 

Extraits retranscrits (non la totalité de l'émission)



Qu’est-ce que exactement un régime totalitaire ? Définition de Marcel Gauchet avec l’insistance sur la caractéristique idéologique appuyée par un Parti unique. Puis celle de Philippe de Lara avec comme caractéristique d’être, pour les totalitarismes, inédits avant le 20ème siècle et d’être ni de droite ni de gauche, une sorte d’ « organisation de l’enthousiasme » selon la formule d’Elie Halévy.

Marcel Gauchet : En première approximation, pour donner une définition aussi simple que possible mais saisissant l’essentiel, il me semble qu’on pourrait dire le totalitarisme, c’est un régime de monopole politique et idéologique dont la pièce centrale est un parti qui règne –qui règne seul ! Parti unique !- au nom d’une idéologie également unique qui se veut une science de l’achèvement de l’histoire ou sa vérité dernière et qui prétend unir la société qu’il encadre avec le pouvoir qu’il exerce au nom, donc, d’une fin de l’histoire –conçue d’une manière ou d’autre, qu’il se revendique. Au-delà il s’agit de porter la société à sa formule définitive.

Philippe de Lara : même réponse parce que plus on rajoute de critères dans la question du totalitarisme, plus les définitions ne finissent par converger sans que cela soit forcément pertinent. Je souscris donc tout à fait à ce que viens de dire Marcel Gauchet et j’ajouterai deux-trois points : le premier qui va de soi mais qu’il est bon de rappeler c’est que c’est un phénomène politique inédit : les totalitarismes du 20ème siècle n’ont pas de précédents dans l’histoire bien que des régimes sanguinaires, ultra autoritaires et très personnels il y en ait eu. La deuxième caractéristique sur laquelle je voudrais insister est que l’idéologie n’est pas simplement une pensée, un discours dans le cas des totalitarismes mais c’est un ensemble d’institutions, de pratiques et l’un des premiers auteurs à avoir parlé de ça je trouve a eu une formule immortelle à ce sujet, c’est Elie Halévy quand il parle de « l’organisation de l’enthousiasme » : l’idéologie dans le totalitarisme c’est son exacerbation, c’et plus que la propagande, c’est plus que le discours incessant, c’est « l’organisation de l’enthousiasme ». La troisième chose que je voulais dire c’est que il me semble qu’il est important de considérer que les totalitarismes sont une pathologie de la modernité démocratique et non pas des monstruosités locales. Louis Dumond disait : « Le totalitarisme est la Némésis de la démocratie abstraite. »… Et il en résulte une dernière chose que je voudrais dire où peut-être là vais-je affronter un tabou : c’est que stricto sensu les totalitarismes ne sont ni de droite ni de gauche. Bien sûr, certains sont plus réactionnaires, d’autres plus révolutionnaires mais la caractéristique des totalitarismes, semble t-il, c’est le mélange, l’ambivalence, la réversibilité entre révolution, réaction, futurisme et retour régressif à quelque chose du passé.
Entre le communisme et le nazisme : le terme de religion séculière rend compte de la similitude (entre les deux totalitarismes) dans leur antagonisme radical. Le bolchevisme est un futurisme qui, pour accomplir son projet d’avenir va chercher en fait une forme politique rétrograde. A l’inverse, le nazisme (pour prendre la forme extrême du totalitarisme partant du nationalisme) est une tentative de revenir au passé ; c’est un passéisme révolutionnaire mais qui pour arriver à ranimer ce passé des anciens systèmes de domination que lui inscrit à l’intérieur de l’idée d’un empire racial, va chercher et mobilise des moyens modernistes. C’est ce mystère qui a été bien identifié par des historiens du caractère totalement contradictoire du nazisme qui est un futurisme réactionnaire.

Philippe de Lara : Je voudrais remarquer deux choses. La première c’est que cette convergence en effet tout à fait énigmatique, déroutante, des contraires qui sont en plus l’un l’ennemi juré de l’autre, dont les seconds naissent comme les ennemis jurés du premier et qui se font la guerre à la fin, ont néanmoins une familiarité, le parti du Bien a une accointance avec le parti du Mal, c’est compliqué pour nous, c’était évident pour les contemporains. Du moins les plus clairvoyants d’entre eux c'est-à-dire ceux qui ont compris ce qu’était la révolution bolchevique, le fascisme italien et le nazisme, ont aussi compris la familiarité profonde entre ces…

Alain Finkielkraut : Vous pensez à qui ?

PdL : Je pense en Italie par exemple à Don Luigi Sturzo ou à M. qui sauf erreur est l’inventeur du mot totalitarisme et plus tard à Grossman qui est un écrivain et pas un académique mais qui à mon avis a plus que sa place dans la lignée des penseurs du totalitarisme et d’une façon générale, tout le débat sur… Il y a bien sûr Halévy avec son « Ère des tyrannies » qui est une conférence prononcée juste avant la guerre en France et dans un genre plus louche et carrément apologétique notre George Sorel avait lui aussi fort bien compris à sa façon paradoxale puisqu’il faisait l’éloge de l’un et de l’autre, la familiarité de Lénine et de Mussolini.

Les totalitarismes : des religions séculières anti religieuses. Elles s’opposent avec une ferveur toute religieuse aux « vraies » religions dans le sens où elles manifestent une volonté de fin de l’histoire, un accomplissement terrestre que récusent absolument les vraies religions basées sur la notion de finitude chez l’homme, son imperfection, son état de péché.

AF : Mais alors arrêtons nous donc à ce concept central dans votre analyse Marcel Gauchet de religion séculière. Vous dites, c’est l’idée de religion séculière qui permet sinon de résoudre l’énigme du moins de penser cette parenté improbable entre nazisme, fascisme et bolchevisme. Ce concept vous n’en n’êtes pas l’inventeur bien sûr, Eric Voegeline a parlé de « religion politique », Waldémar Gurian aussi, et J.M. lui, a parlé carrément de religion séculière.(…) Pourquoi parler de religion pour désigner des doctrines, des idéologies qui se sont voulues elles-mêmes, pensées elles-mêmes et qui ont été attirantes pour nombre de militants en tant précisément qu’elles affirmaient délivrer l’homme de l’emprise religieuse ?

MG : Je souscris aux critiques d’Hannah Arendt et cela ne m’empêche pas de parler de religion séculière parce que précisément cette discussion vous vous en doutez bien a été le point de départ de toute ma réflexion. Je n’ai pas ignoré la complexité de cette affaire et c’est la raison pour laquelle je définis même en référence à cette discussion la religion séculière comme anti religion religieuse (…) Je crois que dans cette affaire tout réside dans ce qu’on met sous le mot religion et je crois que le piège est de réduire la religion à une croyance sur le surnaturel. C’est une part essentielle mais historiquement les religions ça été tout autre chose, c’est une forme complète de société, une unification de la communauté humaine en fonction d’un certains nombres de rouages, de hiérarchies, de traditions, de dominations… une forme très bien définie d’organisation collective qui est supposée traduire justement l’union du ciel et de la terre qui est le but ultime dans une forme d’union des hommes qui répond à une organisation bien précise. Et bien les religions séculières c’est le projet, à la faveur d’une conjoncture historique qu’il s’agit évidemment d’éclaircir très particulière et qui n’existe qu’à partir du début du 20ème siècle, c’est la tentative de reconstruire cette forme religieuse ancienne par des moyens modernes, séculiers et le plus souvent en fonction d’une visée effectivement antireligieuse. C’est faire la forme religieuse de la société par des moyens hostiles à la religion, d’où l’ambiguïté, l’insaisissabilité à laquelle nous revenons de nouveau qui est la caractéristique de ces régimes.

PdL : …. Or il est bien connu que rien ne ressemble plus un torpilleur qu’un contre torpilleur et il me semble que cette hostilité encore une fois viscérale aux religions,  aux vraies religions si je puis dire, aux religions existantes dans les mouvements totalitaires signe d’une certaine façon quelque chose de religieux chez eux.

AF : Alors quand même : là j’insiste : que faites-vous l’un et l’autre de ces penseurs qui précisément ont redécouvert dans la religion, du fait de l’expérience totalitaire, une pensée de la finitude ? Voici ce qu’écrit Soljenitsyne dans « L’Archipel du Goulag » : « La ligne de partage entre le bien et le mal ne sépare ni les états, ni les classes ni les partis ; elle traverse le cœur de chaque homme qui irait déchirer un morceau de son propre cœur. » C’est une méditation sur le péché originel et je cite un autre témoin : Kolakowski : « Avec la disparition du sacré qui imposait des limites à la perfectibilité du profane, l’une des plus dangereuses illusions de notre civilisation ne tarde pas à se répandre, l’illusion que les transformations de la vie humaine ne connaissent pas de bornes, que la société est en principe parfaitement malléable et que nier cette malléabilité et cette perfectibilité, c’est nier l’autonomie totale donc nier l’homme même. » Et par opposition il définit dans le même article la religion comme la façon dont l’homme accepte sa vie comme défaite inévitable. Donc voilà, Marcel Gauchet…

Marcel Gauchet : Il y a une confusion qui ne faudrait surtout pas laisser s’établir : parler de religion séculière c'est-à-dire encore une fois dans la définition que j’en propose d’anti-religion religieuse malgré elle pourrait-on préciser, religieuse malgré elle, ne signifie pas inculper le moins du monde les religions établies de totalitarisme ! C’est même le contraire. Je dirai que tant que la religion règne quelque chose –là-dessus je rejoindrai évidemment Kolakowski-, tant que la religion règne quelque chose comme un totalitarisme est inimaginable parce que précisément ce projet d’un accomplissement terrestre radical ou absolu est inconcevable ! Effectivement les religions ont été, si je puis dire, des antidotes, par anticipation, au caractère totalitaire de la politique. Elles mettaient de diverses manières quelque chose à l’écart de l’emprise de la politique dans la vie humaine. Il y avait autre chose qui constituait une barrière infranchissable à toute tentative du pouvoir. C’est dans une certaine conjoncture qui me paraît la matrice historique des totalitarismes où à la fois précisément l’emprise des religions établies s’est effacée dans les sociétés et où en même temps l’esprit des religions est toujours vivant tellement que ceux qui croient en être ennemis en ramènent le modèle malgré eux, de manière inconsciente, c’est dans cette conjoncture bien précise qui a duré quelques décennies que les totalitarismes ont été possibles et il n’est pas douteux, au contraire, que les religions établies ont été des adversaires de première ligne des totalitarismes sur des modalités, avec des compromissions on le sait bien, les choses sont compliquées de nouveau, historiquement…. Mais bien entendu les religions séculières sont aux antipodes de l’esprit politique des religions quel qu’elles soient.

AF : Philippe de Lara vous êtes d’accord avec ça ?

PdL : Tout à fait oui. J’ajouterai peut-être un point à ce que vient de dire Marcel, c’est dans le cas allemand ; le phénomène quand même extrêmement troublant de ce qu’on appelle le christianisme allemand c'est-à-dire le fait qu’une fois de plus les nazis sont les meilleurs élèves de la classe totalitaire et d’une certaine manière il y a un effet d’apprentissage : on pourrait dire que le nazisme est le totalitarisme parfait que le communisme est un nazisme raté (….) La multiplicité des fronts et la subtilité de la politique chrétienne des nazis qui mélangent affrontement, combat frontal et subversion de l’intérieur. Avec notamment profiter si vous voulez de cette affinité entre la nation et le christianisme qui est propre au Luthéranisme pour fabriquer pas ex nihilo mais à partir de sources qui étaient déjà là un pseudo christianisme nazi et dans le même temps, Hitler qui était autrichien, il y a un très beau texte de Paul Thibaud dans le livre qui va apparaître à ce sujet sur l’habileté et la compétence avec laquelle Hitler subvertit de l’intérieur le langage catholique, s’attache à parler un langage que peuvent entendre, une musique catholique que peuvent entendre les fidèles de l’Église pour y introduire si je puis dire le message anti-chrétien qui est le sien.

[A propos de l’expression  de PdL : « Le communisme est un nazisme raté », justification attendue par Finkielkraut] :

PdL : Ce que je veux dire par là c’est que d’abord –ça pour le coup c’est une banalité de perfection dans le genre du nazisme qui rend du coup la comparaison très difficile pare qu’il n’y a pas beaucoup d’aspects tout à fait exorbitants, uniques en son genre, à commencer par la centralité de l’antisémitisme et son passage à l’acte de l’extermination qui est sans équivalent, donc le nazisme est à part et pourtant, d’une autre manière il est le modèle de la chose et quand je dis « nazisme raté » je pense en particulier au contraste entre la réussite de l’enrôlement d’une large partie de la population par le nazisme et l’échec du communisme en la matière qui a eu beaucoup plus de succès en la matière auprès des masses à l’Ouest que là où il sévissait ; il y a un paradoxe du règne de l’idéologie qui est bel et bien là ; au fond dans une société qui massivement n’y croit pas.

La notion d’ennemi est centrale dans les totalitarismes, quel qu’il soit. A la base de chaque totalitarisme il y a un contre homme à éliminer, la haine est donc le moteur de cette idéologie.

AF : Je n’irai pas jusqu’à souscrire à cette formule dans la mesure où nombre de militants communistes étaient des gens bien donc ça crée une difficulté mais tout de même, on ne peut s’empêcher de faire des rapprochements entre deux mentalités aussi opposées en apparence notamment quand on lit Aden Arabie de Paul Nizan reparu en 1960 avec la splendide préface de Sartre et cette première phrase si romantique : « J’avais vingt ans ; jamais je ne laisserai dire que c’est le plus âge de la vie. » Mais voilà : il n’existe plus que deux espèces humaines qui n’ont que la haine pour lien, celle qui écrase et celle qui ne consent pas à être écrasée. Il me semble que c’est ce qui rapproche ces deux phénomènes aussi lointains en apparence, c’est ça, c'est-à-dire la réduction du monde à l’affrontement inexpiable entre deux subjectivités. L’ennemi n’a pas le même statut dans un cas et dans l’autre, avez-vous dit Marcel Gaucher, et en même temps il y a quand même cette obsession de l’ennemi qui crée de la ferveur et ce remplissement de tout l’espace politique par la haine : l’homme peut tout et il arrivera à tout si précisément il met le contre homme hors d’état de nuire. La définition du contre homme n’est pas la même dans un cas et dans l’autre mais il ya dans un cas et dans l’autre –et c’est cela la force de l’idéologie- un contre homme qui explique tous les malheurs de l’histoire.

MG : Je crois qu’il faut faire très attention au contexte de ces propos pour bien en saisir la nature. Ce qui nous frappe, c’est cette mise en avant de la haine, c’est le caractère inexpiable. Mais je crois qu’il est subordonné à quelque chose qui est plus profond et ce quelque chose c’est le sentiment de vivre le moment de la révélation historique où la cause définitive arrive enfin à être jugée. La définition de l’ennemi est subordonnée à l’impératif du combat qui est la vérité de l’heure, la révélation de l’heure. Là je crois qu’on est vraiment dans une dimension religieuse, le sentiment de vivre un moment exceptionnel : l’apocalypse d’une certaine façon, premier sens du mot : la révélation, le dévoilement de l’enjeu dernier de ce qui se joue au travers du chaos de l’histoire depuis toujours. Et cela détermine une ferveur illimitée et une capacité de haine illimitée contre l’ennemi ultime que c’est le moment où ne jamais d’abattre. Je crois qu’il faut bien reconstituer la grammaire si je puis dire de ces propositions pour en entendre le vrai sens. 

AF :  Oui et en même temps division en deux du genre humain, c’est cela aussi, la guerre est inexpiable, il y a deux espèces humaines c’est cela qui est frappant : on veut réaliser l’unité de l’humanité mais il faut en passer par une guerre apocalyptique…
MG : … Par le combat extrême et ultime.

En avons-nous fini avec les totalitarismes ? L’islamisme apparaît comme une forme nouvelle de totalitarisme avec les caractéristiques suivantes : la ferveur religieuse, l’organisation de certains partis (Hezbollah par exemple) dans des pays fragiles, la volonté de domination universelle, le maintien dans la terreur des masses. Mais l'islamisme ne serait pas exactement un totalitarisme, selon Marcel Gauchet car il manquerait de carburant idéologique.

AF : PdL puisque vous êtes entièrement d’accord sur ce point avec MG, je vais ouvrir une autre question : en avons-nous fini avec le totalitarisme ? Et peut-être une question subsidiaire MG : vous vous intéressez dans votre livre au fascisme, au nazisme, au bolchevisme mais au fond vous ne traitez pas du totalitarisme asiatique, de l’expérience chinoise, de la terrifiante expérience cambodgienne, vous devez avoir vos raisons mais en tous cas ça veut dire que le totalitarisme s’est perpétué au-delà de sa mort en Europe, il s’est exporté et est-il définitivement, y a-t-il des raisons de croire que c’est une expérience historique close MG ?

MG : Je le crois avec la prudence qu’appelle une proposition de ce genre mais je peux au moins expliquer mes motifs.(…) En quoi pouvons-nous dire que nous sommes sortis de l’époque des religions séculières par ce que je crois qu’il faut en revenir à ce carburant premier pour avoir une réponse à la question. Le carburant idéologique est ce qui fait défaut aujourd’hui à un projet totalitaire. La ferveur des masses, l’entreprise mobilisatrice que suppose le totalitarisme est inimaginable faute de propositions idéologiques capables de le mobiliser et cela me semble s’expliquer par les transformations très profondes que le monde a connues depuis 50 ou 60 ans à l’intérieur desquelles quelque chose comme un projet totalitaire dans la plénitude du terme ne peut pas trouver sa place. Mais j’ajoute un dernier mot : être délivré du totalitarisme ne signifie pas être délivré de la barbarie politique, n’ayons pas cette naïveté : la barbarie politique reste une potentialité inscrite malheureusement dans l’histoire et dans l’humanité ; simplement elle n’aura pas nécessairement la forme des totalitarismes, ce n’est pas le dernier mot de la barbarie politique ; ça a été jusqu’à ce jour la forme suprême mais ça n’est pas la forme dernière hélas.

PdL : Je serai plus nuancé ou plus prudent que Marcel tout en reconnaissant en effet l’idée que il y a un basculement autour de 1974 qui est la date ronde que vous par symétrie avec 1914. Il y a un avant et un après de la crédibilité des révolutions totalitaires, néanmoins il me semble qu’il y a une actualité du totalitarisme pour deux raisons : d’abord, s’il y a un mystère totalitaire, il y a un mystère dans le mystère qui est la routinisation communiste du phénomène. Or le communiste existe toujours et n’en finit pas de finir, même en Chine, il me semble qu’il y a une continuité entre la dictature nationaliste et la dictature communiste. Deuxièmement le totalitarisme n’est pas seulement des régimes, me semble t-il, on ne peut pas éviter d’appliquer ce concept également à des mouvements qui ont des caractéristiques totalitaires et il me semble que la caractéristique centrale des mouvements totalitaires c'est-à-dire des totalitarismes qui n’ont pas encore gagné, c’est la conjonction du terrorisme, de la violence conspirationiste de petits groupes et la mobilisation des masses. Et de ce point de vue là des phénomènes comme ETA et plus encore l’islamisme me semble être de bons candidats à l’appartenance à la famille totalitaire.

AF : Alors justement, MG, là je vous interpelle parce que vous parlez de religion séculière, de religion politique : on a une religion politique aujourd’hui à l’œuvre : le Hezbollah. Je donne cet exemple : il vient de quitter le gouvernement pour les raisons qu’on sait mais c’est très exactement l’organisation de l’enthousiasme, des enfants qui défilent en uniforme noir (on aurait pu consacrer un chapitre de notre discussion à la mobilisation de la jeunesse et des enfants par le totalitarisme) mais là on le voit à l’œuvre ! Mais comment se fait-il que vous, qui êtes justement si attaché au thème de la religion séculière et de la religion politique vous refusiez le terme de totalitarisme pour un mouvement tout à la fois politique et religieux comme l’islamisme ?

MG : Ah mais il y a eu des mouvements politiques et religieux bien avant les mouvements totalitaires ! Cette alliance a des racines anciennes. Je crois précisément que là on est devant une catégorie nouvelle de phénomènes dont la caractéristique est non pas l’enthousiasme politique mais la ferveur religieuse et c’est complètement différent. Je pense précisément que ce qui arrête –mais c’est un immense débat qui exigerait… On peut le reprendre pour lui-même. L’élément religieux explicite celui-là l’Islam autour duquel s’organise le fondamentalisme qui, à certains égards, peut présenter des analogies avec un totalitarisme, l’empêche de devenir absolument un totalitarisme parce que jamais une religion ne pourra développer en son sein l’équivalent du projet d’organisation idéologique d’une société qui a été la marque distinctive des phénomènes totalitaires. Mais encore une fois, ça c’est une grande discussion et nous affaire avec l’islamisme radical à une nouvelle famille de phénomènes qu’ont n’avait pas non plus vus, qui sont inédits profondément ; une alliance qui rappelle le plus les totalitarismes, l’alliance entre le passéisme et le modernisme qui est ce qui les apparentent le plus à mon sens…. Il me semble relever d’une inspiration distincte et ne pas trouver en eux la possibilité d’une stabilisation minimale, d’une prise de pouvoir et d’une emprise sur la société avec un parti du même type que celle qu’ont réussi à opérer les régimes totalitaires.

AF : N’y a-t-il pas un autre élément qui accentue la parenté avec les régimes totalitaires, à savoir la réduction de la pluralité humaine, du monde à l’affrontement de deux forces…

MG : … Des fidèles et des infidèles…Celle-là est vieille !

AF : … Des fidèles et des infidèles ; elle est vieille mais elle a pris peut-être aujourd’hui une forme extrême donc éventuellement totalitaire.

PdL : Dans le cas de l’islamisme il y a un dernier trait qui rappelle le totalitarisme, c’est la conjonction entre un mouvement local et pour ainsi dire périphérique dans des pays particuliers qui se caractérisent toujours par une situation difficile, arriérée par rapport au reste du monde et un projet d’expansion mondial ce qui est la caractéristique des trois grands totalitarismes : des nations fragiles, des nations malades mais qui veulent rattraper la modernité en se projetant d’emblée dans un projet universel car même le nazisme, à sa manière, était un universalisme ainsi que le communisme ou la reconstitution de l’empire romain dans le fascisme on a la même chose… Alors je ne voudrais pas pas faire une conclusion œcuménique mais je ne suis pas sûr moi-même dans le débat qui nous sépare sur ce point précis avec Marcel où est la vérité et peut-être que la difficulté de cette question tient au fait qu’on n’est toujours pas sortis de ce brouillard de la signification de la Seconde Guerre Mondiale, que au fond la légende anti fasciste continue de…

AF : Pourquoi. Parce que en même la Seconde Guerre Mondiale ça a été aussi la victoire de Stalingrad. Donc la légende antifasciste ne peut pas remettre en cause la participation de l’Union Soviétique à la victoire sur le nazisme.

PdL : Non mais il y a deux choses : un il est très compliqué de penser que la victoire du Bien sur le Mal s’est fait avec l’alliance et le soutien décisif d’un autre mal et l’autre point de la légende antifasciste c’est l’illusion de la disparition sans reste, « fondant comme neige au soleil » pour reprendre une expression d’Emilio Gentile, du fascisme et du nazisme à la seconde où ils ont été battus comme si tout ce qu’ils représentait avait cessé d’exister instantanément ce qui malheureusement je crois n’est pas le cas.

 Lectures utiles :
CF les notes sur George Steiner, "Nostalgie de l'Absolu" qui parle de "Théologie de substitution" à propos du marxisme. 
CF le compte rendu de "La Guerre civile européenne" d'Ernst Nolte" par Jean-François Revel 
CF une intervention sur l'Islam en tant que "religion" par Alain Besançon.
CF ce texte d'XP sur les caractéristiques de "l'homme de gauche"

2 commentaires:

  1. Prolo De La Lite
    Merci . Finky est plus facile à lire qu'a écouter , je trouve sa voie soporifique .
    Conçernant la fin du paradis célèste , l'arrêt de la marche du temps , l'établissement du paradis sur terre , la fin de l'histoire , XP avait écrit un exellent article , mais en partant du métissage . Article qu'il a supprimé , je tarde de le revoir ...

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  2. Oui Prolo, XP va certainement le remettre bientôt ce texte.

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