"Dans une lettre très intime et très sincère, adressée à un de ses amis, il disait : "Les dernières années de ma vie ont été une lutte continuelle contre les sentiments qui en ont rendu la première partie si amère; bien que je me flatte de les avoir en partie vaincus, il y a encore des moments où je suis aussi naïf qu'auparavant; Je n'en ai jamais tant dit, et ne l'aurais même pas dit à vous, si je ne craignais d'avoir été un peu brutal et ne désirais vous en donner la cause. Mais vous savez que je ne suis pas un de vos gentlemen doloristes : donc, maintenant, rions." En effet, il n'en avait jamais tant dit, mais là était bien la clef de ses contradictions apparentes. Depuis plusieurs années il luttait pour tuer en lui un Sentimental qui l'avait fait cruellement souffrir. Trop brave pour se complaire dans le rôle de "gentleman doloriste", mais croyant avoir perdu toute confiance dans les femmes et dans les hommes, il essayait de vivre en Corsaire du plaisir, sans amour et sans amitié. Le malheur était que, dans le silence des passions, il s'ennuyait à crier.
Il y a, chez les êtres qui ont souffert et dont l'habitude ou l'oubli ont guéri la souffrance, une prodigieuse aptitude à l'ennui, parce que la douleur, tout en rendant notre vie insupportable, la remplit de sentiments si vifs qu'ils en masquent le néant. Byron avait commencé la vie par un grand amour. Cet amour avait été un échec, mais avait donné à cet enfant le besoin d'une agitation sentimentale qui lui était devenue nécessaire. Comme un voyageur au palais gâté par les épices trouve fade toute nourriture saine, Byron dans le calme du cœur ne percevait plus le goût de la vie. Il se croyait prêt à poursuivre toute passion violente, même criminelle, pourvu qu'elle lui rendît le sentiment toujours fuyant de sa propre existence."
Don Juan ou la vie de Byron, par André Maurois
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