mercredi 10 février 2010

Dérouler une chaîne, être un écrivain


Je voudrais raconter comment j'ai fait découvert ma dernière pépite.

J'ai oublié de me présenter, je manque à tous mes devoirs, je suis habituellement plus pointilleuse dans ce domaine. Je suis une petite personne extrêmement solennelle et sérieuse, au quotidien. Ne vous y trompez pas : j'aime rire, je ris beaucoup mais un peu à la façon des enfants : le rire et les larmes, pour eux sont quasiment interchangeables, ils procèdent des mêmes émotions, hé bien je suis ainsi faite, comme les petits enfants. Je pleure et je ris dans le même temps, pour des choses gaies et tristes parce que je pense que dans tout grand bonheur il y a de la douleur, et une douleur intense, et dans toute souffrance, un fond de bonheur , une ligne de crête de joie pure que rien ni personne ne peut nous ravir.

Je suis une chercheuse d'or.
Je lis pour trouver des pépites. Je trouve beaucoup des miettes, rarement de bons et vrais morceaux, du lourd.
Je lis tout et n'importe quoi c'est à dire que parfois, sans le faire exprès je m'enfonce dans le fleuve, la gadoue, la boue, de peur de manquer le filon. Passer à côté de la pépite, vous comprenez?
Lorsqu'on a goûté à la fascination de l'or, il est difficile d'y renoncer.
Aujourd'hui donc, je lisais paresseusement quelques conversations sur Ilys, je lisais aussi Philip Roth, et puis un livre sur Voltaire et puis aussi je gardais sous la main quelques textes sur Girard que l'on m'avait recommandé et puis j'avais envie d'ouvrir le dernier Dantec et enfin peut-être me serais-je laissée tenter par quelques lignes de McCarthy, enfin j'étais vraiment perdue dans un vaste océan et ma barque tanguait un peu trop à mon goût. Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir? Non je ne voyais rien et je m'apprêtais à tout fermer pour me plonger dans ce qui demeure une forme de philosophie ultime pour crevette abattue : un Achille Talon.

Et puis, à ce moment un peu vague, un peu incertain, je tombe là-dessus : c'est XP sur Ilys, qui écrit :

"Le fond n'a strictement aucune importance. Seule compte la forme. La forme ne détermine pas plus le fond qu'elle ne le soutient ou qu'elle le sert, elle EST le fond."
"Ce que Céline a voulu vous dire, c'est qu'il ne vous appartient ni de déterminer ni d'exprimer le fond, qu'il inutile de s'en soucier, et que la petite musique vous le livrera." 
 
Alors, voilà, j'ai trouvé ma pépite du jour, j'ai rempli ma besace, ce soir je suis riche.

Il faut maintenant que je vous explique cette histoire de fond et de forme. Il faut que je fasse briller ma trouvaille merveilleuse. XP dit textuellement  : "le fond , c'est la forme."
J'ai vu un très beau film récemment, de George Miller (il a réalisé Mad Max) intitulé "L'huile de Lorenzo"*. C'est une histoire pathétique et vraie d'un enfant appelé Lorenzo, atteint d'une maladie dégénérative et incurable. Les parents vont se battre pour trouver des remèdes  pour le petit garçon. Le père, qui n'est pas médecin, se fait rat de bibliothèque, chimiste pour découvrir les clés de cette maladie dont la source problématique se situe dans les enzymes. Il passe des semaines, des mois, des jours et des nuits dans la bibliothèque municipale.
C'est là que ça devient intéressant : il fabrique des chaînes de trombones pour concrétiser les chaînes d'enzymes. Une chaîne de trombones pour représenter les enzymes bons, sains, une chaîne de trombones différents, triangulaires, pour les enzymes malades. Il se triture le cerveau jour et nuit : quel est le lien entre les deux chaînes? Pourquoi des bons et des mauvais? Qu'est-ce qui fait foirer la mauvaise chaîne??
Il s'endort un soir, la tête sur son bureau, au milieu des trombones et des livres ouverts, écrasé de fatigue... Un rêve soudain : son fils malade tire sur les deux chaînes et dit doucement "Dad! Papa!" et les chaînes glissent par terre et s'entremêlent et... Il se réveille! Et il comprend! Il a trouvé la solution!!
Il en est tout illuminé!!Les deux chaînes ne formaient qu'une seule et même chaîne, les enzymes n'étaient pas d'un côté bons et de l'autre mauvais, ils formaient une unique entité!!!


Le fond et la forme, c'est un peu pareil : une seule et unique entité!! La spirale mêlée, l'entrecroisement indissociable de cet ADN particulier. Il faut le dérouler, ça c'est le job de l'écrivain, il ne fait que "dérouler". Et peut-être bien que l'écrivain découvrira aussi, avec le lecteur, à la fin, cette belle chaîne bien étalée. Il en ignorait tous les méandres, toute la beauté , la signification, le fond mais il a réussi à bien la dérouler. Il a tiré sur un bout et le reste est venu tout seul, ça a glissé tranquillement. Voilà. Il peut contempler maintenant, comme les lecteurs.

*http://www.youtube.com/watch?v=VLMmsIsxHXU&feature=related






4 commentaires:

  1. Très chère, la vidéo sur Youtube tu pourrais la mettre directement sur ton blog sans passer par youtube. Il faudra que je te montre ça à l'occasion !

    RépondreSupprimer
  2. Très cher, tu pourrais me donner ton avis sur le fond de ce texte plutôt que de me gonfler avec des détails techniques!! (bon enfin d'accord tu me montreras...)

    RépondreSupprimer
  3. Ce qui m'intéresse dans la lecture c'est une quête de vérité dès l’écriture du mot, avant même que la phrase fasse sens, conscient de la transcendance du média lui-même. Ou pour utiliser un mot cher à Dantec, où la poésie du texte, sa forme, sa musique, est une fractale du texte, finalement, un raccourci dans le labyrinthe.

    RépondreSupprimer
  4. Maximilien,
    très bonne synthèse!!
    Merci.

    RépondreSupprimer