Colloque "Vivre avec l'islam" au Collège des Bernardins. Intervention de Rémi Brague, Annie Laurent et Monseigneur Sleiman archevêque de Bagdad. Table ronde avec Rémi Brague, Annie Laurent et le Père Samir.
Synthèse à partir de notes manuscrites. Notes avec possibilités d'erreurs d'interprétation.
Introduction avec Marc Fromager, directeur de l'AED :
L'AED, (L'Aide à l'Église en Détresse) a pour finalité comme son nom l'indique d'aider l'Église partout dans le monde en proposant des moyens matériels et en luttant contre les persécutions contre les chrétiens. Aujourd'hui, un des problèmes majeurs rencontré par l'AED concerne les discriminations des chrétiens dans les pays à majorité musulmane. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons voulu nous réunir pour réfléchir sur cette question qui concerne non seulement les pays d'Orient mais de plus en plus les pays d'Occident : Vivre avec l'Islam? Comment?
Une première réaction est d'éviter de parler de ces sujets qui fâchent pour protéger les chrétiens d'Orient persécutés.
Une deuxième réaction est de penser que l'Islam évolue et que ce passage critique (retour du fondamentalisme partout) va disparaître.
Une troisième réaction est de se durcir face à un Islam par nature conquérant.
Deux attitudes aujourd'hui, en gros :
-penser que la 4ème Guerre Mondiale est déjà engagée.
-penser comme Xavier Raufer (criminologue) que le terrorisme islamique s'essouffle déjà mais que la démographie sera le nouvel enjeu (danger).
Nous devons réfléchir à toutes les nouvelles donnes que l'Islam apporte et au rôle de l'Eglise face à cet Islam. Un réveil missionnaire semble plus que jamais nécessaire.
I/ Rémi Brague : Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans
Rémi Brague a commencé en expliquant que le mode opératoire qui consiste à définir ce qui est commun et ce qui distingue les deux religions chrétienne et musulmane, ce mode opératoire est envisageable et souvent employé mais fondamentalement il ne convient pas car il ne va pas au fond du "problème".
A la base, il y a une erreur d'aiguillage qui se situe en amont des deux religions. Il faut remonter à l'étude du Dieu biblique et du Dieu coranique pour poser des "credos planchés", l'essence même de ces religions, et ensuite, en décortiquant la logique interne de chacune d'entre elle il faut aboutir aux conséquences qui en résultent, conséquences que chaque croyant se doit de reconnaître et d'admettre.
Trois notions fondamentales permettent de mieux éclairer la nature des deux religions et surtout permettent de comprendre l'idée de Dieu pour chacune d'entre elle.
La création : le récit de la création diffère dans la Bible et dans le Coran. Chez les chrétiens le récit biblique permet d'introduire la notion de liberté humaine, ce qui n'est pas le cas dans le récit coranique. En effet, dans la Bible il est question du repos de Dieu le 7ème jour de la création. Ceci pour signifier que Dieu se retire pour laisser sa créature en paix, gérer toute seule en quelque sorte cette création. Dans le récit coranique Dieu ne lâche pas les baskets, si l'on peut dire, de sa créature. L'espace dans le temps qui est donné par Dieu dans le récit biblique ouvre à la créature un espace de liberté qui n'existe pas dans le récit et l'interprétation coranique.
L'alliance : chez les musulmans il y a une distance infranchissable entre la créature et son Dieu, alors que pour le chrétien, la liberté humaine permet de baser une alliance entre la créature et son Dieu, une alliance librement consentie (ou pas) entre un Dieu qui la propose et une créature qui l'accepte (ou pas).
La nature de cette alliance : chez les musulmans l'alliance, si l'on doit employer ce terme pour eux, n'est que contractuelle : si l'homme obéit aux lois coraniques, il pourra prétendre au Paradis. Mais Dieu demeure étranger à sa créature, quoi qu'il fasse, le bien ou le mal. Pour le chrétien, l'alliance entre Dieu et l'homme est celle d'un Père avec son fils. Le fils est adopté par le Père. Le Père s'abaisse vers créature pour que celle-ci puisse s'élever" jusqu'à être fils de Dieu. Le but pour Dieu n'est pas de récompenser les bons et punir les méchants mais d'établir un plan pour que les "méchants" puissent devenir librement des justes.Pour un musulman un Dieu père est un blasphème.
Conclusion : il faut aujourd'hui avoir le courage de saisir la cohérence interne de chaque religion et leurs conséquences.
II/ Annie Laurent : L'Islam et la personne humaine
Annie Laurent reprend les termes de Rémi Brague en insistant sur la non-familiarité entre la créature et et son Dieu chez les musulmans. Le Dieu des musulmans est un Dieu transcendant et non immanent. Aimer Dieu ne signifie rien pour ces derniers, ils ne peuvent que l'adorer.
Conséquences : la récompense dans l'éternité est de facture matérielle pour l'islam alors qu'il s'agit d'offrir une vision béatifique pour le chrétien. La distance entre l'homme et Dieu subsiste au paradis pour les musulmans : chacun demeure dans sa sphère. 2ème conséquence : la notion de péché. Pour l'islam, le péché ne blesse pas directement Dieu. La notion de péché n'est pas essentielle, ce qui prime c'est ce qui est licite ou illicite, la concordance à la loi coranique. Enfin, troisième conséquence importante : la notion de personne n'existe pas pour les musulmans : l'individu ne se réalise qu'au travers du Coran. Il n'y a pas de responsabilité individuelle, l'homme se doit simplement d'observer des règles jusque dans les moindres détails de la vie quotidienne, même si certaines d'entre elles contredisent parfois un élémentaire bon sens.
Ainsi, au niveau des Droits de l'homme. Les pays musulmans reconnaissent (sauf deux : l'Arabie Saoudite et le Yémen) les Droits de l'homme de 1948. Mais ils ont développé au fil du temps des droits de l'homme adaptés à la Charia et qui contredisent dans les faits les Droits de l'homme de 1948. Exemples : le statut inégalitaire des musulmans par rapport aux non musulmans (inférieurs), des hommes et des femmes (inférieures), le problème des châtiments corporels et de la peine de mort.
Les musulmans avec ces droits islamiques créent en Europe des poches d'Oumma, souvent avec l'appui des pouvoirs publics européens! Mais il faut cependant constater que la création de ces poches est accélérée par l'image déplorable (relativiste, athée, immorale) du modèle civilisationnel européen.
Conclusion : la notion de personne n'a pas été inculquée par l'Occident chrétien au monde musulman et cet Occident chrétien a raté ainsi un coche essentiel.
III/ Monseigneur Sleiman : la dhimmitude ou l'altérité amputée
A/ La dhimmitude a été d'abord une donnée intellectuelle pour moi-même avant d'être pleinement vécue en Irak et de plus en plus vécue par bon nombre d'occidentaux, il faut en avoir conscience.
Au départ, la dhimmitude est la conséquence de la conquête des territoires par les tribus bédouines. Le prix pour garder la vie sauve, chez les vaincus, est un impôt. Cet impôt humilie totalement le vaincu qui n'a pas su protéger les siens et doit se placer sous la protection d'un autre plus puissant que lui. A la base de la dhimmitude et quelque soient ses variations dans l'histoire on trouve toujours deux notions essentielles : la soumission et la discrimination.
Dans la nature même de la mentalité arabe on trouve l'idée de la guerre, de la razzia, de la conquête : l'Autre n'est jamais vu comme un égal ou un partenaire mais comme un objet de conquête ou un ennemi potentiel dont il faut se protéger. Protéger ses femmes est honorable, conquérir les femmes de l'Autre l'est également. Il n'y aucune culpabilité à avoir dans l'idée de pillage, par conséquent. La survie de la tribu dépend de ses conquêtes. La religion islamique n'a fait que sacraliser en quelque sorte cette mentalité bédouine, avec le notion de guerre sainte, le djiad. La notion de conquête économique est donc à prendre très au sérieux évidemment.
Les deux positions extrêmes qui consistent à soit positiver, exalter la dhimmitude ou à la rendre négative complètement, ces deux attitudes entières sont nocives. Il faut trouver un entre-deux.
B/ Des dhimmis à la dhimmitude.
L'histoire des dhimmis est à placer dans un contexte d'humiliations, de dépossessions, d'amputations de terres, de droits non respectés ou plus ou moins appliqués par le chef de guerre. Ainsi il faut comprendre que la dimension psychologique de la dhimmitude est immense : la dhimmitude est faite d'un mélange de haine de soi et de syndrome de Stokholm. Cela est visible par les divisions entre les églises chrétiennes qui s'accusent mutuellement de faire peu ou prou le jeu de l'ennemi (ou de ne pas être assez proche ou amie avec cet "ennemi" "protecteur"). Les conséquences sur la vérité sont tragiques : des évêques ou prêtres pourront tenir deux discours complètement opposés selon le contexte dans lequel ils parleront. Il y a un manque de courage de dire à celui qui frappe : "tu me fais mal!"
Résoudre le problème de la dhimmitude, c'est résoudre le problème de la société musulmane, c'est assainir son rapport avec l'Autre.
C/ Pourquoi, malgré une évolution des droits, parle t-on encore de dhimmitude aujourd'hui et même de plus en plus?
En fait les populations musulmanes continuent d'être basées sur un modèle tribal (avec, donc, l'esprit de guerre entre tribus). Le fondamentalisme ethnico-religieux revient en force actuellement partout car la frustration de ces peuples est de plus en plus violente face aux pays occidentaux. L'Autre est à conquérir, plus que jamais.
D/ Que faire? Il faudrait une refonte complète des mentalités et désacraliser ces mentalités tribales. La survie qui a été possible par la dhimmitude s'est effectuée au prix d'une aliénation de plus en plus mortelle, au sens propre comme au sens figuré.
IV/ Table ronde : Islam et Modernité
Annie Laurent : certains s'imaginent que l'islam pourrait faire une sorte de Vatican II. C'est méconnaître la fonction d'un concile et c'est méconnaître l'islam. Il y a eu dans les années vingt, trente, quarante une intelligentsia chrétienne et musulmanne qui a opéré des vrais mouvements pour réduire ou supprimer la dhimmitude. Cette intelligentsia a fondé les grands partis nationalistes en Orient. Ces partis n'étaient pas laïcs mais laïcisants, la nuance est importante. Donc de vraies tentatives de modernisation de l'islam début XXè siècle. Avec par exemple une émancipation féministe au Caire dans les années trente soutenue par des hommes musulmans. Aujourd'hui on constate, comme le soulignait le Père Sleiman, un retour à une doctrine antérieure à ces mouvements d'émancipation.
C'est l'Islam qui islamise la Modernité et non plus l'inverse (la Modernité qui émancipait l'Islam) Ceci est un retour en arrière dû en partie au fait de la création de l'État d'Israël qui a durci toutes les positions musulmanes : une partie d'un territoire a été conquis par des non croyants! Ceci est in-envisageable dans l'esprit de conquête qui sous tend la culture musulmane.
Un problème de fond enfin se heurte à l'esprit de modernité occidental : le Coran est un livre qui provient de Dieu, à la virgule près : son interprétation n'est pas envisageable de ce simple fait. Il n'y a d'ailleurs pas d'exégètes chez les musulmans.
Rémi Brague : la question de la Modernité n'a pas été encore "résolue" en Occident, loin s'en faut, d'où notre difficulté à l'appliquer ou à la "proposer" à l'Islam. Ainsi la définition de l'homme, de son être et son devoir-être, la définition d'un projet Moderne en vue d'aider l'Islam à une émancipation cette définition rebondit par ricochet à notre propre réflexion occidentale : on ne peut imposer à l'Islam une modernité non critiquée.
Père Samir : la question de la Modernité est essentielle. Entre le 9ème et le 13ème siècle la civilisation orientale est à la pointe de la modernité dans le monde dans trois domaines : les sciences, la médecine, les mathématiques. La médecine et les sciences ont continué un certain essor jusqu'au 14ème siècle environ. La philosophie a été bloquée. Une réaction islamisante, dans le sens : retour aux fondements de l'Islam va s'opposer à la philosophie qui avait commencé un travail d'interprétation des textes sacrés, du Coran. L'interprétation littérale revient en force. La révélation l'emporte sur la raison. Ce mouvement, cette réaction va s'accentuer entre le 14ème siècle et le 18ème : c'est "l'âge de la décadence". Un renouveau de l'islam au 19ème siècle avec les conquêtes bonapartistes et les échanges qui en résultent. Une renaissance culturelle en Egypte (apportée par les chrétiens du Liban émigrés en Egypte), en Syrie : on "pense " le Coran de façon plus ouverte qu'aujourd'hui à cette époque.
Mais la Première Guerre Mondiale éclate et c'est ensuite la chute de l'Empire Ottoman, la chute des Califats, la fin du monde islamique en quelque sorte. Ce dernier s'est trouvé sans rien, sans chefs, sans leaders, sans penseurs. En 1928, naissance des Frères Musulmans qui ont pour but de ré-islamiser les musulmans. Le "boum" pétrolier en 1973-1974 va donner des fonds à cette confrérie. Cette dernière domine partout aujourd'hui, même en Indonésie modèle pourtant, naguère, de tolérance!
La bataille n'est pas d'ordre militaire, elle essentiellement idéologique : tous les systèmes occidentaux sont tombés : le libéralisme, le communisme, etc... Les occidentaux sont devenus païens. Pour les musulmans il n'y a donc logiquement qu'un réalité qui peut maintenant "sauver" le monde : c'est la réalité islamique. D'où la nécessité de ré-islamiser les musulmans d'abord, en retournant au texte, au Coran.
Pour un musulman, la Modernité s'inscrit simplement dans un rapport avec la Technologie (qu'il adopte volontiers!) mais pas avec l'idéologie ou la pensée occidentale qui lui fait horreur.
Il faut donc impérativement repenser (ou penser) la Modernité Occidentale et la proposer ensuite aux musulmans. Une Modernité Spirituelle qui manque cruellement.
V/ Débat :
L'émancipation islamique est-elle vraiment possible? Le père Samir a tenté de montrer qu'il y a eu des périodes de modernisation de l'Islam. Annie Laurent pense, avec Rémi Brague, que l'interprétation du Coran, texte intouchable à la virgule près, n'est pas possible.
Le père Samir explique que cette invasion européenne, il faut l'accepter puisqu'elle est DÉJÀ là dans les faits. Rien ne sert de s'y opposer. Il faut trouver les moyens de re-cultiver les sociétés musulmanes qui ont acquis d'énormes retards avec ces reculs observés. Mais pour cela il faut que l'Occident se ré- approprie des moyens intellectuels et spirituels. Le sort des chrétiens d'Orient (et des chrétiens tout court) est indéfectiblement lié à l'évolution positive ou négative des civilisations orientales.
Rémi Brague : l'Occident qui a été chrétien doit faire meilleure figure moralement vis à vis de l'Orient. Une fable zoologique éclaire ce constat :
Une méduse en avait assez de se faire manger par les poissons. Deux solutions pour survivre : soit elle se revet d'une carapace d'oursin mais alors elle perd de sa mobilité (c'est la burka). Soit elle se revet d'une carapace intérieure, d'une colonne vertébrale qui lui permet une plus grande agilité et adaptibilité pour se protéger des attaques des poissons. Il faut nous revêtir d'une burka intérieure, c'est à dire d'uns conscience, d'une loi morale, de vertus...
Je n'y étais pas et pour cause la MARE NOSTRUM qui nous sépare l'Atlantique. Mais ce compte rendu que dis-je cette synthèse nous renseigne et nous instruit sur les visions réalistes, qui se recoupent, des trois intevenants. Je me permets d'en tirer cette conclusion à savoir que le dialogue inter religieux avec l'Islam est un chemin de brousse qui ne conduit que vers une impasse, aussi pour l'Église le dialogue doit avant tout être inter culturel. Bravo pour ce travail titanesque et bien fait.
RépondreSupprimerCharles
Je vais dans les prochains jours retranscrire mes notes du deuxième jour de ce Colloque absolument passionnant et plein d'espérance.
RépondreSupprimerJe pense que je modifierai aussi quelques points de ce premier texte (mais pas sur le fond évidemment). Je dois ajouter deux trois choses oubliées. Je m'y colle dès demain. Merci Charles.
Je viens de lire tes trois billets... Travail titanesque en effet, merci!
RépondreSupprimerJe suis loin d'$etre d'accord avec tout ce que disent Annie Laurent et Rémi Braque, je cois d'énormes contradictions et d'impensés dans leurs discours... J'essayerais d'y revenir...Peut-être sur Ilys
XP
Mais sans doute, sans doute que les contradictions ou les impensés proviennent de ma prise de notes trop légère ou d'un manque de compréhension de ce qu'ils expliquaient, de ma part? J'ai essayé d'être fidèle mais c'était tout de même d'un niveau certain... C'est cela qui m'embête.
RépondreSupprimerAttends de lire mes notes sur Besançon et le Père Samir, pour avoir une idée peut-être plus complète.
Bon. Bref.
Tout ce qui s'est dit à ce colloque nous renvoie à nos propres responsabilités personnelles en matière de foi et de témoignage. ça, je l'ai bien compris.