dimanche 11 septembre 2011

.....à partir des extraits du roman de McCarthy Le grand passage.

                   Petite croix réalisée sur le modèle de deux poutres du World Trade Center


Dans une église en ruine, qui menace à tout moment de s'effondrer, un vieillard vitupère contre son Dieu, n'acceptant pas les épreuves dont ce Dernier l'a gratifié (mort de sa femme et de son enfant).
Il finit par admettre que la seule chose qui lui est demandée (si tant est que Dieu demande quelque chose) c'est de rester debout dans l'épreuve, dans son combat contre Dieu. C'est tout. Pas de réponses, pas d'apaisements, pas de joies, pas d'espérance, il reste là, debout, et sa seule présence dans cette église qui menace à tout moment de s'effondrer suffit à faire de lui un témoin de la Présence Divine, un homme véritable.
C'est pas grand-chose et dans le même temps, c'est Tout.

Il y a un prêtre, lui aussi considéré comme un "hérétique" malgré sa fonction éminente. "Tous deux hérétiques jusqu'à la moelle."Ce vieillard et ce prêtre partent du même point de départ, mais le vieil homme s'avance dans les ruines de l'église, le prêtre ne s'engage pas : "Le prêtre n'avait rien engagé. Il ne prenait aucun risque. Il n'était pas sur le même terrain que le vieillard à demi fou. Pas sous la même ombre. Il avait au contraire choisi de rester en dehors du fragile édifice de sa propre église et par ce choix il enlevait à ses propres paroles tout pouvoir de témoigner."
Le vieux passe ses journées dans l'église, terrain à la fois "miné et sacré" à défier son Seigneur et son Dieu. Il sait que : " Que ce que nous recherchons c'est l'adversaire digne d'être affronté. "

De façon inattendue, dit le narrateur, ce prêtre finit par être touché, par le vieillard, comme chacun d'entre nous serons touchés, à un moment donné, par quelque chose ou quelqu'un qui sera "porteur à son insu" d'une vérité nous concernant " Puis un jour, d'un geste machinal, d'un subtil mouvement d'abandon, ils déchaînent sans le savoir un tel tumulte sur un cœur soumis que ce cœur en est à jamais changé, à jamais arraché à la route qu'il comptait suivre, pour être au contraire jeté sur une voie qui lui était jusqu'alors inconnue."
C'est un instant fatidique, absolu, et il est donné à chacun d'entre nous, il faut s'y attendre même si l'on ne peut rien contre ce mouvement qui nous arrache le cœur, qui nous jette sur une route inconnue. On peut, bien entendu, rester les bras ballants, sur ce nouveau chemin, ou bien tenter d'avancer de quelques pas, comme ce prêtre qui a peur de marcher et ce vieux qui vit sous la voûte fragile.
 Le vieil homme vitupère contre son Dieu, il dresse un catalogue précis de tout ce qui foire dans sa vie, dans la vie, etc... Et les choses qui foirent, autour de nous, les raisons de douter d'un Dieu (je ne parle même pas d'un Dieu d'amour!) sont si nombreuses qu'une vie ne suffit pas à tenir ce registre...
Peu importe tout cela, pourvu qu'il soit, ce vieil homme, là, dans cette église menaçante, minable, à moitié détruite. Car sa simple présence, vengeresse, blasphématoire ou plaintive, même si c'est pour "déposer contre Lui" suffit à rendre hommage , à rendre lumineuse la Présence Divine dans le monde : car s'il n'est pas là, voici ce qui risque d'arriver : "Et il commençait à voir en Dieu une terrible tragédie. A penser que l'existence de l'être divin était compromise par l'absence même de cette chose simple. A penser qu'il ne pouvait y avoir de témoin de Dieu." S'il n'y a pas de témoin, il n'y a plus de Dieu.
Le prêtre tente d'échapper à son combat, sa crainte est grande, il ne veut pas avancer sur ce chemin miné mais : "On ne pouvait Lui échapper ni même L'ignorer ou Le contourner et il était bien vrai que toute chose jusqu'au raisonnement de l'hérétique était en Lui contenue sinon Dieu ne serait pas Dieu du tout." et le vieillard, au moment de mourir, l'interpelle de façon foudroyante et poignante! : " C'est toi qu'il faut sauver, dit-il dans un souffle. C'est toi."
Ce qui est important de retenir c'est que, quoi qu'il arrive, quoi que l'on fasse, quoi que l'on aura fait ou fera, tous nous aurons notre Instant. Il nous sera donné, gratuitement, pour rien, simplement parce que Dieu est et que nous sommes. Simplement parce que "rien n'est réel que Sa Grâce."

Cette église en ruine peut être une préfiguration de notre Eglise en ruine. On peut vitupérer contre Elle. On peut dresser le catalogue précis de tout ce qui fait qu'elle est lamentable et digne d'être quittée avec pertes et fracas. Ce qui importe, c'est de rester debout au milieux des ruines, simplement pour témoigner de la Présence Divine dans le monde. Pourquoi? Parce que, nous savons, je sais, les hommes " savent dès le premier instant que si les hommes sans Dieu peuvent vivre assez heureux dans leur exil ceux à qui Il a parlé ne peuvent envisager la vie sans Lui mais seulement les ténèbres et le désespoir. "



"Je voudrais donc qu'en tout lieu les hommes prient en levant les mains vers le ciel, saintement, sans colère ni mauvaises intentions. "





Textes de McCarthy, sur ce blog, d'où sont tirées les citations en gras :
http://oralaboraetlege.blogspot.com/2009/12/le-grand-passage-cormac-mccarthy-pas.html
http://oralaboraetlege.blogspot.com/2009/12/le-grand-passage-suite.html
http://oralaboraetlege.blogspot.com/2009/12/le-grand-passage-de-cormac-mccarthy.html
http://oralaboraetlege.blogspot.com/2010/01/le-grand-passage-cormac-mccarthy-lacte.html
http://oralaboraetlege.blogspot.com/2010/01/le-grand-passage-cormac-mccarthy-e.html
http://oralaboraetlege.blogspot.com/2010/01/le-grand-passage-de-mccarthy-f-cest-toi.html
http://oralaboraetlege.blogspot.com/2010/01/le-grand-passage-de-mccarthy-g-un-seul.html







3 commentaires:

  1. Oui, ben pas trop longtemps les bras en l'air, ça me provoque des chutes de tension…

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  2. Cet épisode de la Bible me fascine Catherine :
    "Moïse, Aaron et Hur étaient montés sur le sommet de la colline. Or, tant que Moïse tenait ses bras levés, Israël était le plus fort. Quand il les laissait retomber, Amalek avait l'avantage. Comme les bras de Moïse étaient engourdis, ils prirent une pierre et la déposèrent sous lui. Il s'assit dessus tandis qu'Aaron et Hur lui soutenaient les bras, l'un d'un côté, l'autre de l'autre. Ainsi les bras de Moïse ne fléchirent plus juqu'au coucher du soleil. Josué décima Amalek et ses gens par le fil de l'épée (Exode XVII 10-13)."

    Saint Benoît est mort aussi les bras levé, soutenu par deux de ses disciples:

    "Six jours avant son trépas, il ordonna d'ouvrir sa tombe, et bientôt il fut pris d'une fièvre qui l'épuisa. Le mal s'aggravant de jour en jour, le sixième il se fit porter à l'oratoire par ses disciples, et là il reçut le corps et le sang du Seigneur pour en munir son départ. Puis, appuyant ses membres affaiblis sur les bras de ses disciples, il se mit debout, les mains levées au ciel, et dans son dernier souffle murmurait des prières. Ce jour-là, deux frères, l'un en cellule, l'autre plus loin, eurent la même apparition d'une vision identique. ils virent une voie jonchée de tapis et brillant d'innombrables feux, qui, droit vers l'Orient, allait de la cellule de Benoît jusqu'au ciel. Un homme d'aspect surnaturel s'y tenait, étincelant, et leur demanda quel était ce chemin. Les disciples avouèrent ne pas le savoir ; alors il leur dit : « C'est la voie par laquelle Benoît, précieux au Seigneur, est monté au ciel. » (Dialogue, XXXVII.)

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  3. Merci, chère Crevette pour ces lectures.

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