Il reste en fait fort peu d'authentiques racistes. La croisade anti-raciste s'est donc ouverte, élargie au "choc des cultures", au "racisme culturel".
Selon Alain Laurent, « est visée par là une intolérance alléguée aux autres cultures que celles de la société d'accueil. » Ces autres cultures tendront à garder leur identité culturelle propre et surtout à l'imposer institutionnellement. Le multiculturalisme apparait donc comme le complément idéologique de l'antiracisme où tout se focalise autour de l'affirmation identitaire ethno-religieuse, valorisée et célébrée. Cette affirmation identitaire devient essentielle là où dans une société ouverte elle ne devrait être en fait que secondaire.
Là où coexistaient originellement des groupes ethniques très différenciés, le multiculturel va faire valider des revendications "alterculturelles" c'est à dire la culture de l'autre. Certaines de ces revendications, en outre, ne s'accordent pas avec les valeurs d'une société ouverte.
D’où l’avertissement d’Alain Laurent : « Il est essentiel de bien comprendre que tout gravite autour du multiculturalisme dans son acception idéologique. »
Ce courant de pensée a ses théoriciens, tous occidentaux : après les pères fondateurs nord-américains (Charles Taylor, Will Kymlicka, Michael Walzer...) sont venus les précoces épigones européens, d'Alain Touraine ("Pour une société multiculturelle", Le Monde, 8 Octobre 1990) à Thimoty Ash, Habermas ou Michel Wiervorka.
Dans leur optique, la pleine ouverture institutionnelle aux identités culturelles collectives et différenciées représente l'accomplissement de la logique pluraliste des sociétés ouvertes; de la première étape de la reconnaissance du fameux "droit à la différence", il est moralement et politiquement nécessaire de passer à celle d'une différence (au moins partielle) des droits à attribuer à des communautés à ancrage ethnique en vue de parvenir à une situation de coexistence pacifique entre cultures et particularismes.
"Minorités", "identité", "communautés", "diversité", "ethnicité" et "reconnaissance", "tolérance", "appartenances" - sans oublier le "respect" - composent l'idiome basique de ce qui constitue tout simplement une révolution culturelle d'extrême ampleur dans la conception commune du Droit propre aux sociétés fondées sur les valeurs égalitaires, individualistes et universalistes (Etats-Unis et Europe continentale hors Pays-Bas). Les instances supranationales européennes (Conseil de l'Europe, Cour des droits de l'homme, Commission de Bruxelle) sont les fers de lance de cette idéologie multiculturaliste.
On ne comprend pas pourquoi il faudrait bouleverser l'ordre institutionnel en attribuant de nouveaux droits collectifs ou statuts dérogatoires aux cultures qui s'intègrent dans une société ouverte. Le régime de droits et libertés individuels constitutionnellement garanti rend déjà possible de vivre ce pluralisme culturel limité à titre personnel ou en s'associant volontairement, dans la sphère privée ou civile. Lorsqu'il y a eu une tolérance, une ouverture à ce schème du pluralisme culturel (cf. le modèle anglo-canadien), l'expérience a démontré que le respect de l'état de Droit était continuellement exposé à des tentatives de transgression et de grignotage tendant à faire réviser les règles de juste conduite des sociétés ouvertes.
« A chacun sa culture et ce qu'elle prescrit : telle est la devise de la nouvelle société ouverte pluriculturelle. » (Alain Laurent)
Critiques du multiculturalisme
- en Amérique du Nord, tout d'abord, où il a été précocement pratiqué. Samuel Huntington dans The Clash of Civilisations and Remaking of the World Order (1996) amorce une critique du multiculturalisme face à l'identité occidentale des Etats-Unis et dit qu'il faut "faire taire les appels au multiculturalisme à l'intérieur de leurs frontières". Dans Who are we ? (2004), il écrit : "Ils ont encouragé les immigrants à préserver leur culture d'origine, leur ont octroyé des privilèges juridiques que l'on refuse aux natifs américains... Ils ont justifié leur démarche par des théories "multiculturalistes" alors que le multiculturalisme est fondamentalement contre la civilisation européenne; il s'agit d'une idéologie foncièrement anti-occidentale."
- chez les musulmanes libres, même constat : Ayaan Hirsi Ali : "En relativisant la morale et en affirmant l'équivalence des cultures, nombre [des intellectuels occidentaux] empruntent, sans même s'en apercevoir, les chemins de l'autodestruction." (Figaro Magazine, 18 novembre 2006). Ibn Warraq constate : « Le multiculturalisme, étant l'enfant du relativisme, est incapable de juger les cultures, d'établir une hiérarchie des valeurs culturelles. »
Si ces autres valeurs menacent nos propres valeurs, ne sommes-nous pas en droit de les combattre ? John Sentamu, archevêque d'York, originaire de l'Ouganda et numéro 2 de l'Eglise anglicane réprouve "une tolérance qui se tait devant les excisions et les mariages forcés" et se prononce pour "l'intégration des minorités ethniques" à la culture nationale." (anglaise en l'occurrence)
Ces critiques du multiculturalisme se fondent sur la défense de l'individu qui est éliminé par les valeurs multiculturelles
« Ce ne sont plus les individus qui, éventuellement, composent des communautés ou se constituent en communautés auxquelles ils adhèrent volontairement, mais des communautés ontologiquement premières qui, littéralement, "font" les individus en leur collant à la peau une identité collective, pas forcément choisie. » Cet individu perd complètement sa singularité, il est collectivisé par son identité culturelle et sa vraie liberté culturelle est réduite par son identité ethno-religieuse qui prime sur tout le reste.
Multiculturalisme et communautarisme s'impliquent mutuellement : Taguieff parle de "multicommunautarisme". En effet le multiculturalisme engendre des communautés, entités compactes, homogènes et conformistes du point de vue de la pensée. Ces communautés réagissent comme le ferait un seul individu. Elles deviennent sujets de droits comme des individus. Or la critique des américains est à ce propos très claire. Huntington : « Pour les Américains, le credo de la "religion civile" a longtemps signifié que les individus devaient être jugés en fonction de leurs qualités propres, indépendamment de leur appartenance religieuse ou de leur origine ethnique. »
Avec l'avènement du multiculturalisme, c'en est fini du primat des droits individuels. (Le Figaro, 19 janvier 2005) Le communautarisme apparait donc sous la forme d'une retribalisation sociologique spontanée qui se rigidifie grâce à l'apport d'une "personnalité" juridique qui permettra à la communauté d'observer un contrôle juridictionnel sur ses membres." Sa logique de retribalisation ethnique et religieuse rompt de manière frontale avec la primauté des droits de l'homme individuel qui irrigue et que garantit la société ouverte. Pour les communautaristes, tout individu né dans l'islam est forcément destiné à y demeurer et en épouser sans discernement tous les dogmes : c'est d'abord ou uniquement un "musulman". Dans son alvéole groupiste et monolithique, dans sa communauté, l'individu possède le tout de son existence, ce qui est le propre des régimes totalitaires.
Le relativisme culturel, cette "néoreligion de la diversité" (Taguieff)
Chaque système de valeurs de chacune des cultures ne peut prétendre à une supériorité quelconque par rapport à une autre culture. Il n'existe pas de principe normatif à l'aune duquel on peut prétendre évaluer nos valeurs culturelles occidentales. Ces dernières sont de simples préjugés, les croyances d'une tribu particulière qui s'appelle "l'Occident". Comme toutes les cultures s'équivalent; elles possèdent dès lors un droit égal à être respectées quoi qu'elles postulent comme valeurs. Ainsi, chaque culture migrante qui s'installe en occident veut et doit pouvoir conserver ses principes sous l'appellation de "droits culturels collectifs".
On oublie simplement qu'en Occident, c'est grâce à la référence constante à des principes universalistes fondateurs de la société ouverte qu'on a pu se dégager peu à peu de l'esclavage, du colonialisme, etc., etc. mais l'islam, lui, n'a jamais entrepris une démarche autocritique. Le relativisme culturel entraine des conséquences catastrophiques. Il ouvre grande la porte à un "Tout est alterculturellement permis" qui ne bronche guère devant de graves atteintes aux vrais droits de l'homme individuel ou les cautionne. Les comportements archaïques des musulmans sont ainsi acceptés en dépit du bon sens. Autre conséquence, l'impossibilité de l'intégration : plutôt l'intégrisme que l'intégration.
En fin de compte, ce qui résulte de ce relativisme culturel, se retourne contre l'essence même de la société ouverte : "le bon relativisme intellectuel : ne plus donner un caractère absolu et intolérant à nos conceptions philosophico-religieuses personnelles ou collectives, sans pour autant renoncer au socle normatif des sociétés ouverte qui y invite." La tolérance ne conduit en aucune manière à soutenir que toutes les institutions, coutumes et croyances soient dignes de respect. Cette manière de penser conduit à accepter l'intolérable. On ne peut jamais violer les vrais droits de l'homme c'est à dire la souveraineté individuelle.
Le pluralisme authentique intègre les choix individuels sur la base d'une matrice normative démocratique, ce genre de "pluralisme" se résume à l'addition de clivages qui désintègre ce qui subsiste de l'état de Droit commun.Il se résume donc à un déplacement de frontières et est donc véritablement dangereux et explosif. "Les potentialités les plus explosives du multiculturalisme allant jusqu'aubout de sa dynamique de fragmentation centrifuge s'actualisent dans un séparatisme territorial déjà existant dans les périphéries de nombreux grands centres urbains, livrés à un peuplement mono-ethnique replié sur lui-même.
Conclusion d'Alain Laurent
« Avec lui, l'infâme est de retour - sous le visage rénové d'une religion de "l' Autre" (le nouveau rédempteur qui déploie ses processions de pénitents-repentants, de bigots et dévots de la bien-pensance, ses prophètes de bonheur communautarisé, ses exorcistes, démonologues et inquisiteurs qui traquent les manifestations du Malin ("racisme", xénophobie, stigmatisation, discrimination, "intolérance"...), ses missionnaires qui psalmodient la bonne parole dans les médias et les écoles et annoncent la bonne nouvelle de l'entrée dans la "diversité", et ses dames patronesses en quête de sans-papiers ou victimes de la laïcité ("négative" ! ) à secourir. »
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