samedi 2 janvier 2010

Le grand passage de McCarthy, F, "C'est toi qu'il faut sauver"

"Le prêtre était extrêmement ému de ce qu'il voyait et cela l'étonnait. Il a même fini par surmonter sa peur et il s'est risqué au chevet du vieillard sous la coupole de l'église en ruine. Cela a peut-être rendu courage au vieillard. Même à cette heure tardive sans doute pensait-il que le prêtre pourrait faire s'écrouler l'édifice alors qu'il avait lui-même échoué. Mais évidemment la coupole restait suspendue au-dessus de leurs têtes et au bout d'un moment le vieillard a commencé à parler. Il prend la main du prêtre comme si c'était la main d'un ami et il parle de sa vie et de ce qu'elle a été et de ce qu'elle est devenue; Il dit au prêtre ce qu'il a appris. A la fin il dit que nul ne peut voir sa vie tant que sa vie n'est pas achevée et à ce moment-là comment réparer? Seule la Grâce de Dieu fait que nous sommes liés par ce fil de vie. Il serre la main du prêtre dans les siennes et il demande au prêtre de regarder leurs mains jointes et il dit regardez comme elles se ressemblent. La chair n'est qu'un mémento, mais elle dit la vérité. La voie de chacun est en fin de compte celle de tous. Il n'y a pas différents voyages car il n'y a pas d'hommes différents pour les entreprendre.Tous les hommes ne sont qu'un et il n'y a pas d'autre histoire à raconter. Mais le prêtre a interprété ses paroles comme une confession et quand le vieillard s'est tu il a commencé à prononcer la formule de l'absolution. Alors le vieillard saisit à mi-course le bras levé pour tracer le signe de la croix dans l'air immobile au-dessus de son lit de mort et l'arrête du regard. Il lâche l'autre main du prêtre et lève la sienne. Comme un homme qui va partir en voyage. C'est toi qu'il faut sauver, dit-il dans un souffle. C'est toi. Puis il est mort."

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