vendredi 1 janvier 2010

Le grand passage, de Cormac McCarthy,C L'instant.

"Voir Dieu partout c'est le voir nulle part. On vit au jour le jour, chaque jour à peu près semblable au suivant, et puis un jour arrive sans préavis où l'on rencontre un homme, ou bien où l'on voit un homme, qui nous est peut-être déjà connu et qui est un homme comme tous les autres mais qui a fait un geste, par exemple en empilant ses affaires sur l'autel d'une église, et dans ce geste nous reconnaissons ce qui est enfoui dans nos cœurs et n'est jamais perdu pour nous et ne peut jamais l'être et c'est cet instant, vois-tu. L'instant. C'est ce à quoi nous aspirons et que nous avons peur de chercher et qui seul peut nous sauver.
Voilà. Le prêtre est reparti. Il est retourné à la ville. Le vieil homme à son testament. A sa déambulation et à ses arguties. Il était devenu une sorte de légiste. Il scrutait le dossier, non pour y trouver des preuves à l'honneur et à la gloire de son Créateur mais plutôt pour instruire contre Lui.Pour déceler de minces subtilités d'une plus sombre nature. De fausses indulgences. De menues tromperies. Des manquements à des promesses ou une main trop promptement levée. Pour dresser un réquisitoire contre Lui, vois-tu. Il comprenait ce que le prêtre ne pouvait comprendre. Que ce que nous recherchons c'est l'adversaire digne d'être affronté. Car nous nous précipitons pour retomber en gesticulant parmi les diables de ficelle et de chiffon et nous voudrions avoir quelque chose de ferme en face de nous. Quelque chose qui résiste et arrête notre main. Sinon notre être même n'aurait plus de contours et nous devrions nous aussi étendre les limites de notre territoire au point de perdre toute définition. Pour être finalement engloutis par le vide que nous ne voulions pas affronter sans trouver de résistance.
L'église de Caborca restait debout comme avant. Même le prêtre pouvait constater que le misérable retraité qui bivouaquait dans les gravats serait sans doute le seul paroissien qu'elle aurait jamais. Il est parti. Il a abandonné le vieillard à sa concession sous l'ombre de cette coupole dont certains disaient qu'on la voyait gîter sous les rafales de vent. Il essayait de sourire de l'attitude du vieil homme. Que l'église reste debout ou s'écroule, quel message de Dieu cela pouvait-il apporter? Que la coupole bancale soit finalement le sanctuaire ou le sépulcre d'un vieil anachroète détraqué, que serait-ce de plus qu'un caprice du vent? Il n'y aurait rien de changé. Rien de plus de connu. A la fin tout serait comme avant."

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