samedi 28 novembre 2009

"Répliques" avec Alain Finkielkraut, Marcel Cohen, Renaud Camus.

Paysage écossais

L'INFINI

Toujours elle me fut chère cette colline solitaire
et cette haie qui dérobe au regard
tant de pans de l'extrême horizon.
Mais demeurant assis et contemplant,
au-delà d'elle, dans ma pensée j'invente
des espaces illimités, des silences surhumains
et une quiétude profonde ; où peu s'en faut
que le cœur ne s'épouvante.
Et comme j'entends
le vent
bruire dans ces feuillages, je vais comparant
ce silence infini à cette voix :
en moi reviennent l'éternel,
et les saisons mortes et la présente
qui vit, et sa sonorité. Ainsi,
dans cette immensité, se noie ma pensée :
et le naufrage m'est doux dans cette mer.
(Léopardi)




Quelques notes de l'émission d'Alain Finkielkraut de ce matin, Répliques, avec Renaud Camus et Marcel Cohen. Je précise que je n'ai pas lu les ouvrages de ces deux écrivains, je ne les connais pas.
Néanmoins, l'intérêt de cette émission est justement de nous présenter les ouvrages, les cheminements, les thèmes chers à ces deux écrivains et de nous donner l'envie de les lire et de les dévorer.
Ces notes sont de mon fait, il y a beaucoup d'inexactitudes mais peut-être certains d'entre vous seront ils heureux de les lire. Et puis, il faut aller écouter l'émission, avec tous les extraits cités par Alain Finkielkraut.

MC : un angle du regard

AF commence par citer un passage de Faits de Marcel Cohen relatant la rencontre du personnage ("un homme") avec un chien et cette conclusion : "Nous avons peur l'un et l'autre".[remarque personnelle : il faudra que je retrouve ce passage d'une apparente banalité, la rencontre avec un chien, dans laquelle je m'identifie totalement].
AF conclut : nous avons besoin des yeux de la littérature pour voir ce qui se passe autour de nous, pour voir le monde.
MC renchérit en citant Sartre : la littérature ne peut ignorer le monde et avec elle nul ne peut s'en tenir ignorant.
RC qui commente MC : j'adore ces débuts : "un homme";
c'est l'invention d'une forme littéraire, c'est un angle de regard. Comme un photographe qui possède plusieurs angles de regard, 4-5 formules, angles qui sont celles de MC.
MC raconte ensuite l'histoire du pilote d'avion et du grand chêne, ce qui permet à AF d'interroger nsuite RC sur l'un de ses thèmes majeurs dans son Journal : le maillage du territoire . RC à ce sujet explique qu'effectivement, l'éloignement devient de plus en plus difficile car s'éloigner signifie d'une part quitter un lieu, une civilisation etc... mais aussi se rapprocher de quelque chose. Cet éloignement : une isolation vis à vis de la société, comme un poisson hors de l'eau.
Mais là, c'est le territoire qui se vide, qui change de peuple, de civilisation, de langue. Ce n'est pas moi, nous qui décidons de ne plus lui appartenir... C'est le territoire qui s'éloigne de l'homme.
RC continue : pour faire un roman on utilise des virtualités de soi-même. Les raisons que l'on a de s'éloigner sont diverses mais cet homme (de son livre) a le sentiment que la langue qu'il parle n'a plus cours, n'est plus la même, n'existe plus. Elles insulte ses valeurs.

De l'éloignement : forme optimiste (MC) et forme pessimiste (RC)

[AF relit à ce moment de l'émission quelques dialogues marquants du livre de RC qui témoignent de cette langue insensée (sans sens)]
AF : le héros se sent en exil, anormal, comme un zombi car il ne parle plus la langue de son pays, cette dernière n'a plus de sens. Le roman décrit cette dramatique situation avec un ton assez doux qui traduit en quelque sorte l'inéluctable, l'impossibilité de la lutte contre cet état de fait.
RC rebondit : effectivement, il n'y a pas lieu de lutter, que peut-on faire si ce n'est s'éloigner? (éloignement qui peut prendre différentes formes : rester sur place, là où on est peut être une forme d'éloignement. [Je me permet de renvoyer ceux qui lisent ces notes personnelles au très beau texte de Kundera ici : http://oralaboraetlege.blogspot.com/2009/11/ma-vraie-place-etait-ici.html ] )
MC reprend la conversation : le héros de RC ambitionne non seulement de "partir" mais aussi de se retrouver quelque part. Un peintre [je n'ai pas retenu les noms des peintres cités] : "le sentiment d'être là", voilà ce qu'on éprouve en contemplant mes toiles. Or le sentiment de départ vient avec le sentiment de départ; Dans l'Odyssée, on l'oublie souvent, à la fin, Ulysse qui est dans les bras de Pénélope doit repartir... Cela est paradoxal. Il est arrivé, il est là où il doit être (dans les bras de Pénélope) et pourtant il re part!
Sans doute que pour avoir à raconter quelque chose, il faut être sur le départ.
AF le héros de Camus quitte la France et va, semble t-il, en Écosse. La "Scottomanie", plus que l'"Anglomanie" : l'amour, la fascination, la drogue de l'Écosse. Les paysages de brumes qui font disparaître le héros. Le sentiment, l'impression profonde de l'être ravagé de finitude qu'est l'homme face à l'infini. Ce héros, se perd, par l'Écosse, dans cet infini, c'est quelque part une forme de suicide.
RC : oui, la référence à Ulysse de MC est très plaisante et elle propose une finalité à l'éloignement (le désir de raconter) très optimiste, en effet, en opposition avec mon héros qui lui n'a pas ce désir de raconter, il va vers les terres de brumes où il peut "disparaître" : c'est moins optimiste que le dessein d'Ulysse. Aller plus loin pour se perdre dans l'infini.
AF : il y a des références (que le héros transmet en abandonnant des livres dans les hôtels) à Léopardi (son poème "L'infini").

A quoi bon? L'humanité se dépouille d'elle-même

AF se tourne de nouveau vers MC : dans Faits et Faits 2, MC vous faites référence à votre désir d'éloignement, à votre amour des voyages, en particulier le voyage sur des cargos. Pourquoi cette passion pour ces immenses porte-containers?
MC : ces derniers sont une forme de "luxe", ils représentent ces porte-containers de 240m de long et de 140m de large, non pas une forme d'éloignement mais une forme d'arrivée. C'est une vision extrêmement réelle, réaliste de la société que ces porte-containers qui contiennent en leur sein tout ce qui est nécessaire à la consommation. Il n'y a pas d'hommes sur ces porte-containers, peu d'hommes et encore moins dans les ports qui les accueillent. Référence à Rotterdam, l'un des plus gros ports à accueillir ces cargos et leurs marchandises : sur le port, tout se fait avec des machines téléguidées. Enfin, sur un porte-container, on ne voit pas la mer.
AF : la notion d'humanité est donc perdue : la morale de la mer est abandonnée : un porte-container qui éperonne un chalutier ne s'arrêtera pas forcément : les consignes sont strictes pour ne pas prendre du retard... Au bout du compte, ces voyages en porte-containers sont un miroir de ce que le monde fait de pire :
le voyage n'est plus un éloignement, il renvoie au monde, à lui-même, à ce que nous sommes.
Par ailleurs, le thème de l'horreur est très présent chez vous, par le biais de la Schoa.
Faire sentir l'horreur par le détail : une forme de littérature. [extraits de MC cités par AF pour illustrer ce thème]
MC : oui, j'essaie de ne pas tomber dans ce type de littérature [qui se complet dans l'horreur] mais j'ai été caché, enfant, durant la guerre et je ne peux oublier cet enfant.
RC : c'est grâce à la forme, à l'absence de lyrisme, du pathos que l'on convoque le lecteur à l'horreur.
AF : ce souci d'éviter le pathos : "
désassembler les mots vains", ce qui est une définition de la littérature, à partir de la lecture de MC.
MC : en effet, nous oublions que ce siècle commence en 1914 et montre très vite son vrai visage. Un peintre célèbre [impossibilité de savoir le nom du peintre, écouter l'émission] disait en 1911 : "nous sommes à l'orée d'une des plus grandes époques de spiritualité" et ce peintre sera tué en 1914...voilà comment se termine ce siècle de "grande spiritualité"!
AF : qu'est ce que cette humanité qui se dépouille d'elle-même?
RC : l'âme a besoin d'Absence mais l'Absence nous est refusée, nous ne manquons pas de solitude mais d'Absence, oui, certes. Absence d'Absence...
AF : on pense à Turner en vous lisant.(...) Il me fait faut citer un fait récent, significatif de cette humanité qui se dépouille d'elle-même et je fais dans le même temps à la fin du roman de Philip Roth, Exit le fantôme. Dans le 13 ème arrondissement parisien, des élèves d'une classe ont voulu virer leur professeur qui leur demandait de ne pas utiliser leur portable en cours. Comment se battre contre ce monde, contre cette humanité là?! Ce fait pourrait-il rentrer dans l'un de vos ouvrages, MC?
MC : tous les événements, tout doit pouvoir rentrer dans mes livres! Il y a pire encore que le portable, il y a les écouteurs : être absent au milieu des autres...
RC on peut bien sûr préciser les raisons politiques qui nous poussent à nous éloigner, à ne pas nous battre, raisons qui ne sont pas développées dans mon roman mais on peut y venir.
AF : mais vous ne vous dites pas, RC : à quoi bon?
RC : non.
Il est vrai que nous sommes sur la frontière entre la fiction et la non-fiction. [personnellement j'avais noté quelque part chez Xyr un jour que la fiction avait rejoint la réalité]
Mais selon moi, nous n'en sommes pas encore à l'Absence et la Renonciation : j'ai, comme vous le savez un petit parti politique, le parti de l'In-nocence...

10 commentaires:

  1. http://www.soseducation.com/p/les-profs-ont-ils-des-droits-au-pays-des-droits-de-l-homme

    RépondreSupprimer
  2. Je ne vois pas pourquoi les gens du Parti de l'In-Nocence font semblant de se préoccuper d'éducation : beaucoup croient absolument au caractère inné des différences de QI et font la promotion des thèses innéistes.

    RépondreSupprimer
  3. Aucune idée, anonyme : je n'ai pas lu Renaud Camus et ne connais pas son Parti et ses membres.

    Par ailleurs, je me méfie des rumeurs : "beaucoup croient" et : "font semblant". Je suppose que dans un groupement ou un parti, chacun possède ses propres croyances, convictions et idées. Ce qui importe, ce sont les finalités exposées du parti en question. Si elles ne plaisent pas, vous demeurez toujours libre d'y adhérer ou pas, je suppose.

    Enfin, je ne connais pas ces "thèses innéistes" mais il ne me semble pas stupide qu'il y ait des différences "innées" entre les QI, entre les intelligences etc... Que, par l'éducation, on développe certaines capacités, ensuite, est évident mais on part bien d'un matériaux de base singulier et différent pour chacun.Peut-être pourriez-vous développer la nocivité des thèses innéistes?

    RépondreSupprimer
  4. Ah mais ma petite dame, si vous ne voyez aucun problème à ce que le site de R. Camus renvoie, en forme de référence scientifique, à un autre site de classement des QI des différentes races ... ... assumez.

    RépondreSupprimer
  5. Le gauchisme et ses amalgames : le Parti de l'In-nocence renvoie vers un site, donc le Parti de l'In-nocence épouse les thèses dudit site...

    Ça n'a aucun sens : à l'époque où j'avais une blogroll, j'avais à la fois le trotskyste CSP dans mes liens et Fdesouche, ne me sentant proche ni de l'un, ni de l'autre (mais voyant bien la similitude profonde entre ces deux sites...).

    Il va vraiment falloir arrêter la pensée par amalgame, à gauche. On peut signaler les écrits d'un auteur sans pour autant donner un complet blanc-seing aux thèses de celui-ci. Il n'y a donc rien à assumer d'autre que ce que l'on a écrit.

    À moins de penser sur un mode unanimiste, mais ce n'est guère mieux que classer des QI par race...

    RépondreSupprimer
  6. Effectivement mon bon monsieur je ne vois aucun problème pour les renvois du site de R. Camus comme je ne vois aucun problème à ce que la terre tourne autour du soleil!

    Qu'est-ce que vous voulez que je vous réponde?! Nous n'avons pas à assumer ce que les gens disent ou pensent mais nous sommes libres d'y adhérer ou pas.

    Si les thèses innéistes vous turlupinent tant, pourquoi ne pas questionner à ce propos directement l'intéressé sur son site?

    RépondreSupprimer
  7. Vous savez fort bien, cher Miss Crevette, que les blogueurs et intervenants de blogues politiques font des renvois vers des documents qu'ils approuvent ou au contraire, désapprouvent, et que leurs points de vue et leurs intentions sont parfaitement clairs à ce sujet; ils y tiennent et de plus, ils y ont intérêt.


    Pourquoi les écoles n'imposeraient-elles pas des tests de QI à tous les futurs élèves dès la fin de la maternelle? Cela éviterait à l'Éduc. Nat de perdre de l'argent avec les intellectuellement faibles. On pourrait créer deux structures : une série d'écoles pour les enfants au QI supérieur à 130 et une autre série pour les enfants au QI inférieur.

    Et bien sûr, on financerait davantage celles qui reçoivent les enfants au QI supérieur à 130 car ceux-là méritent les meilleurs enseignants.

    Ce serait plus simple, plus économique, plus efficace et plus rationnel et vous n'auriez plus besoin de vous inquiéter au sujet de l'éducation.

    Le problème serait réglé de manière scientifique, donc définitive.

    RépondreSupprimer
  8. C'est une très bonne idée que vous proposez là mais il faut savoir que dans toute école qui se respecte (très rare) il existe des classes de niveau c'est à dire que l'on met les bons élèves entre eux et les élèves plus faibles dans d'autres classes.

    Simplement, je ne suis pas d'accord sur "les meilleurs enseignants aux bons élèves et donc sur votre répartition financière, c'est stupide. Plutôt : enseignants pédagogues (et motivés) aux élèves en difficulté ou plus faibles.Le terme de "meilleur" est flou.

    RépondreSupprimer
  9. Miss Crevette : vous me décevez ! Vous ne comprenez pas que cela ne vaut pas le coup de dépenser tant de fric pour un si grand nombre d'enfants intellectuellement faibles, voire déficients.

    Examinez donc la courbe de Gauss ! Il faut investir dans ceux qui sont en haut. Ce sont les futurs chefs et cadres de la Nation.

    Les autres ne font que gaspiller le fric de l'État qui nous pompe et ils feraient mieux d'aller travailler.

    Demandez à votre ami Criticus.

    RépondreSupprimer
  10. Anonyme : moi, vous ne me décevez pas, vous m'accablez.
    Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise? Des évidences? Bon, alors tenez :

    J'ai huit enfants, sur ces huit j'en ai des brillants intellectuellement et j'ai des brêles intégrales scolairement.J'ai un mari brillant et je suis, j'ai été une élève médiocre durant toute ma jeunesse avec d'immenses difficultés.J'ai fait tellement de blocages face à ce système scolaire trop homogène que je sais aujourd'hui à peine compter!J'ai passé un bac général qui ne m'a servi à rien pour la suite.

    J'orienterai et j'oriente déjà de mon mieux chacun de mes enfants.

    Toute structure susceptible d'épanouir les très différentes sortes d'intelligences auxquelles nous sommes confrontés nécessite d'être soutenue financièrement.Enfin soutenue : pas par l'État, moins l'État fourre son nez là-dedans mieux ça vaut.La demande est aujourd'hui très diverse et l'offre nulle puisqu'absorbée par un État qui nous impose un modèle unique en matière d'éducation et de formation.Le monopole étatique en matière de système scolaire est évidemment la plus grande tragédie imposée à nos enfants.

    Il faut des cadres de la Nation et des femmes de ménage. Je ne vois là aucune contradiction et surtout aucune opposition réelle ou idéologique.

    RépondreSupprimer