vendredi 27 novembre 2009

Au seuil d'une ère nouvelle (chapitre III)


"C’est la fin. Et soudain Dieu se penche en pleurant
Il me prend dans sa Main, me lève loin de l’enfer
Réfugiée, je ferme les yeux et meurs dans les airs
Dans ses Bras je suis depuis l’aube des temps
Et je ne le savais pas."
Extraits du livre : Le sel de la terre, par le Cardinal Ratzinger, éditions Flammarion/Cerf, 1997 Deux mille ans d'histoire du salut - et pas de rédemption? Depuis deux mille ans, on proclame la doctrine du salut, et depuis deux mille ans il y a une Eglise qui à la suite de Jésus nous promet un homme nouveau, la paix, la justice et l'amour du prochain. Toutefois, à la fin du IIe millénaire après Jésus-Christ, le bilan semble maigre comme il l'a rarement été auparavant. L'écrivain américain Louis Begley appelle même déjà le XXe siècle "un Requiem satanique". C'est, dit-il, un enfer de meurtres et de tueries, de massacres et de violences, une somme de toutes les terreurs. On a assassiné plus d'hommes au XXe siècle que jamais auparavant. C'est en ce siècle qu'ont eu lieu l'Holocauste et le développement de la bombe atomique. On a cru qu'après la Seconde Guerre mondiale s'ouvrirait une époque de paix. Mais après 1945 est venue une période déchirée par plus de guerres qu'aucune époque précédente. Et dans les années quatre-vingt-dix il se livre en Europe des guerres et des guerres de religion, dans le monde entier croissent la faim, l'exclusion, le racisme, la criminalité, la supprématie du mal. Certes, à l'issue du millénaire on peut enregistrer aussi de grands changements positifs, la fin du totalitarisme officiel dans les anciens Etats communistes et le chute du rideau de fer en Europe centrale, des dispositions au dialogue dans les régions en crise, une conciliation dans le Proche-Orient. Bien des gens, en songeant à l'action de Dieu et à l'action de l'homme sur cette terre, sont pris de doutes considérables : le monde a t-il vraiment été sauvé? Peut-on vraiment appeler les années qui ont suivi l'avènement du Christ des années de salut? Voilà bien des observations et des questions. La question fondamentale est effectivement celle-ci : le christianisme a t-il vraiment apporté le salut, a t-il apporté la rédemption, ou est-il en fait demeuré stérile? Le christianisme n'a t-il pas entre-temps perdu ses forces? Il faut d'abord répondre, je crois, que le salut, le salut qui vient de Dieu, n'est pas une grandeur quantitative ni que l'on peut additionner. Dans les connaissances techniques, le progrès de l'humanité peut s'arrêter à l'occasion, mais il continue d'une manière ou d'une autre. Ce qui est purement quantitatif est mesurable, on peut constater si tout a augmenté ou diminué. En revanche, il ne peut y avoir de progrès quantifiable dans l'amélioration de l'être humain, parce que chaque homme est un être nouveau et que l'Histoire recommence avec chacun de nous. Il est très important d'apprendre à faire cette distinction. La bonté de l'homme, pour l'exprimer ainsi, n'est pas quantifiable. On ne peut donc pas évaluer de combien s'est amélioré, de siècle en siècle, un christianisme qui l'année zéro a commencé comme un grain de sénevé, et qui devrait à la fin se dresser comme un arbre énorme, visible de tout le monde. Il peut toujours s'écouler et se briser, parce que le salut est toujours confié à la liberté de l'homme et que Dieu ne veut jamais lui ôter cette liberté. Le siècle des Lumières avait développé l'idée que le processus de la civilisation devait presque obligatoirement mener l'humanité au vrai, au beau et au bien. En conséquence, les actes barbares ne seraient plus concevables à l'avenir. La rédemption est toujours liée à la liberté, c'est ce qui fait d'elle aussi une aventure. Elle n'est donc jamais décrétée de l'extérieur ou cimentée par des structures inébranlables, mais elle est contenue dans le fragile vaisseau de la liberté humaine. Quand on croit que l'être humain est parvenu à un degré supérieur, alors on doit compter que tout cela peut de nouveau s'effondrer et se briser. Cela, dirais-je, est exactement la controverse que l'on retrouve dans les tentations auxquelles est exposé Jésus : la rédemption doit-elle être une structure cimentée dans le monde, chargée d'assurer du pain à tous pour que désormais il n'y ait plus faim nulle part? Ou est-elle quelque chose de tout différent? Parce qu'elle est liée à la liberté, parce qu'elle n'est pas imposée à l'homme, mais qu'elle marche vers sa liberté et qu'à cause de cette liberté elle est toujours jusqu'à un certain point destructible. Nous devons reconnaître aussi que le christianisme a toujours libéré les grandes forces de l'amour. Si l'on regarde ce qui est effectivement entré dans l'Histoire grâce au Christ, on voit que c'est déjà considérable. Goethe a dit : Vint alors le respect envers ce qui est au-dessous de nous. De fait, c'est seulement grâce au christianisme que s'est développé un respect envers tous les hommes dans toutes les situations. Il est déjà intéressant de noter que l'empereur Constantin, après avoir reconnu le christianisme, s'est senti en premier lieu obligé de modifier les lois afin que le dimanche soit férié pour tous, et a veillé à accorder certains droits aux esclaves. Ou je pense, par exemple, à Athanase, le grand évêque alexandrin du IVe siècle, qui évoque, de par sa propre expérience, comment les tribus s'affrontaient pour ainsi dire le couteau à la main, jusqu'à ce que les chrétiens introduisent une certaine disposition à la paix. Mais ce sont des choses qui ne sont pas données d'elles-mêmes par la structure d'un empire politique. Elles peuvent aussi, comme nous le voyons aujourd'hui, s'écrouler de nouveau. Là où l'homme abandonne la foi, les horreurs du paganisme reviennent en force. Je crois, nous avons réellement pu le voir, que Dieu s'est engagé dans l'Histoire avec une fragilité bien plus grande que nous l'aurions voulu. Mais c'est là sa réponse à la liberté. Et si nous voulons et affirmons que Dieu respecte notre liberté, alors nous devons aussi apprendre à respecter et aimer la fragilité de son action.

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