"Prenez n'importe quel grand système d'éthique.Est-ce que tous ne recommandent pas de renoncer à toute joie personnelle? Sous des formes différentes, ne retrouvez-vous pas toujours le même leitmotiv : le sacrifice, le renoncement, l'oubli de soi? N'es-ce pas notre époque. Tout ce qui est agréable, de la cigarette aux plaisirs physiques, et à la recherche des joies de ce monde, est considéré comme répréhensible.Comme dangereuse. Voilà où nous en sommes arrivés, à considérer le bonheur comme péché. Nous avons pris l'humanité à la gorge.Offrez votre premier-né en sacrifice expiatoire; couchez-vous sur un lit de clous; allez dans le désert mortifier votre chair; ne dansez pas; n'allez pas au cinéma le dimanche; n'essayez pas de devenir riche; ne fumez pas; ne buvez pas. Et tout cela relève de la même idée. Une grande idée! Les imbéciles s'imaginent que ces tabous sont des non-sens, les reliquats d'une époque disparue. Mais il y a toujours un but à ces non-sens. Chacun de ces systèmes d'éthique qui prêchait le sacrifice de soi a régné sur des millions d'hommes.Bien entendu, il faut déguiser votre pensée. Dire aux gens par exemple qu'ils parviendront à une forme de bonheur plus haute s'ils renoncent à tout ce qui les rendrait heureux. Vous n'avez pas besoin de vous exprimer très clairement.Employez de grands mots vagues tels que "Harmonie universelle", "Esprit éternel", "But divin", "Nirvana", "Paradis", "Suprématie raciale", "Dictature du Prolétariat".La corruption intérieure, Peter, le moyen le plus ancien, la farce qui a réussi et qui réussira toujours. Et pourtant le piège serait si facile à éviter.Lorsque les hommes entendent un prophète leur parler de sacrifice, ils devraient s'enfuit comme devant la peste.Car là où il y a sacrifice, il y a quelqu'un à qui ce sacrifice profite.L'homme qui exalte le sacrifice parle en réalité de maîtres et esclaves avec l'intention, bien entendu, d'être le maître.Mais si vous entendez au contraire un homme vous dire que vous devez être heureux, que c'est votre droit naturel, votre premier devoir envers vous-même, alors vous pouvez être sûr que cet homme n'a aucune mauvaise intention et qu'il n'a rien à gagner de vous. Mais lorsqu'un homme parle ainsi on dit de lui qu'il est un monstre d'égoïsme."
(La Source vive d'Ayn Rand)
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