« La psychologie de Nietzsche ne vient pas de son intelligence dure et claire comme le diamant, elle est une partie immanente de cette hyper-sensibilité qui caractérise tout son corps pour la détermination des valeurs ; il sent, il flaire, il subodore (« Mon génie est dans mes narines »), absolument avec la spontanéité d’une fonction physique, tout ce qui n’est pas complètement sain dans les affaires humaines et intellectuelles. »Une extrême loyauté à l’égard de tous » est, pour lui, non pas dans un dogme moral, mais une condition tout à fait primaire et indispensable de l’existence : « Je péris quand je suis dans un milieu impur. » L’absence de clarté, la malpropreté morale le dépriment et l’irritent, tout comme des nuages lourds et bas le font pour son estomac : il réagit déjà par le corps, avant de le faire par l’esprit : « Je possède une irritabilité tout à fait désagréable de l’instinct de pureté, de sorte que je perçois physiologiquement et que je sens le voisinage ou le fond le plus intime, les entrailles de toute âme. » Il flaire avec une impeccable sûreté tout ce qui est adultéré par le moralisme, par l’encens des églises, le mensonge artificiel, la phrase patriotique ou n’importe quel narcotique de la conscience ; il a un odorat exacerbé pour tout ce qui pourri, corrompu et malsain, pour saisir ce relent de pauvreté intellectuelle qu’il y a dans l’esprit ; la clarté, la pureté, la propreté sont donc pour son intellect une condition d’existence aussi nécessaire que, pour son corps (je l’ai indiqué précédemment), un air pur avec des contours limpides : ici la psychologie est réellement, comme il le demande lui-même, l’ »interprétation du corps », le prolongement d’une disposition nerveuse dans le domaine cérébral. »
(…)
Mais il ne suffit pas à une psychologie parfaite de disposer du scalpel le plus fin et le plus tranchant, de l’instrument de l’esprit le mieux choisi ; la main du psychologue, elle aussi, doit être en acier, en un métal souple et dur ; elle ne doit pas trembler ni reculer au cours de ses opérations, car la psychologie n’est pas épuisée avec le talent ; elle est aussi, avant tout, une question de caractère, elle exige le courage de « penser tout ce que l’on sait » ; elle est, dans le cas idéal, comme chez Nietzsche, une faculté de connaître jointe à une force virile et primitive de la volonté de connaître. Le psychologue véritable doit vouloir là où il peut ; il ne doit pas regarder à côté, ou penser à côté, par suite d’une indulgence sentimentale, d’une timidité ou d’une peur personnelle ; il ne doit pas se laisser endormir par des scrupules ou des sentiments. Chez ces loyaux peseurs et gardien « dont le devoir est la vigilance », il ne doit pas y avoir d’esprit de conciliation, de débonnaireté, de timidité, de compassion, il ne doit y avoir aucune des faiblesses (ou des vertus) du bourgeois, de l’homme moyen. Il n’est pas permis à ces guerriers, à ces conquérants de l’esprit de laisser bénévolement échapper une vérité qu’ils saisissent au cours de leurs patrouilles hardies. Dans le domaine de la connaissance, « la cécité n’est pas une faute, mais une lâcheté », et la bienveillance est un crime, car celui qui a peur de la honte ou craint de faire du mal, celui qui redoute d’entendre crier ceux qu’il démasque et de voir la laideur de la nudité, celui-là ne découvrira jamais le suprême secret. »
Extrait tiré de « Le combat avec le démon » de Stefan Sweig, dans la partie consacrée à Nietzsche
"Le Corps, cette Raison supérieure" dit Nietzsche quelque part. Le Corps... et curieusement, pour les Chrétiens, le Verbe s'est Incarné...
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ce portrait-modèle du penseur.
RépondreSupprimerJe continue de lire cet excellent livre, Nébo.