dimanche 7 juin 2009

Première lecture de Céline

1. Je ne saurais dire ce qui m'incite à porter en écrit ce que je pense.
2. A celui qui lira ces pages.
3. cette triste soirée de novembre me rapporte à treize mois plus tôt au temps de mon arrivée à Rambouillet, loin de me douter de ce qui m'attendait dans ce charmant séjour. Ai-je donc beaucoup changé depuis un an, je le crois....
5. car la vie de quartier au lieu de me plonger dans une rage... avec la tristesse avec état... à langueur [?] état d'où je ne sortais alors que l'esprit bourrés de résolutions, hélas, jamais réalisables, alors qu'aujourd'hui
7. complètement façonné à la triste vie que nous menons je suis empreint d'une mélancolie dans laquelle j'évolue comme l'oiseau dans l'air ou le poisson dans l'eau.
Je n'ai jamais fait preuve d'érudition en aucune manière aussi
9. ces notes qui sont comme on peut juger d'une pâleur diaphane ne sont que purement personnelles et c'est à seule fin de marquer dans ma vie une époque (peut-être remplie) la première vraiment pénible que j'ai traversée, mais peut-être pas la
11. dernière. C'est au hasard des jours que je remplis ces pages. Elles seront notées et empreintes d'un état d'esprit différent selon les jours ou les heures car depuis mon incorporation j'ai subi de brusques sautes physiques et morales.
13. 3 octobre - Arrivée - Corps de garde rempli de sous-offs aux allures écrasantes. Cabots esbroufeurs. Incorporation dans un peloton le 4e Lt Le Moyne bon garçon, Coujon [?] méchant faux comme un jeton-
15. le Baron de Lagrange [?] (officier sincère et bon mais légèrement atteint au moral par une nervosité et sujet à attaques dont il faudrait je crois rechercher les causes dans les libations excessives de la jeunesse).
17. C'est entouré de cet état-major bigarré que je fais mes premiers pas dans la vie militaire. Sans oublier Servat un ancien cabot cassé... faux et brute, mêlant à un bagout de méridional vantard
19. une roublardise et un égoïsme étrange. Aucune gentillesse ne lui sera trop et combien de fois j'ai mêlé à mes ennuis particuliers les siens ou ceux que je crée pour lui ou pour lui en éviter.
21. Depuis les dettes jusqu'aux vols dont je ne voulais pas m'apercevoir mêlé à tout cela une nostalgie profonde de la liberté, état peu préparatoire à vous faciliter une instruction militaire.
23. Que de réveils horribles [angois] [?] qui aux sons si faussement gais du trompette de garde vous présentent à l'esprit les rancœurs et les affres de la journée d'un bleu.
25. Ces descendes aux écuries dans la brume matinale. La course sarabande des galoches dans l'escalier la corvée d'écurie dans la pénombre. Quel noble métier que le métier des armes. Au fait les vrais sacrifices consistent
27. peut-être dans la manipulation du fumier à la lumière blafarde d'un falot crasseux ? ... Au cours des élèves brigadiers pris en grippe par
29. un jeune officier plein de sang en butte aux sarcasmes d'un sous-off' abruti ayant une peur innée du cheval je ne fis pas (longtemps) long feu et je commençais sérieusement à envisager la désertion qui devenait la seule échappatoire de ce calvaire.
31. que de fois je suis remonté du pansage et tout seul sur mon lit, pris d'un immense désespoir, j'ai malgré mes dix-sept ans pleuré comme un première communiante. Alors j'ai senti que j'étais
33. vide que mon énergie étais de la gueule et qu'au fond de moi-même il n'y avait rien que je n'étais pas un homme je m'étais trop longtemps cru tel peut-être beaucoup comme moi avant l'âge peut-être beaucoup
33. le croient encore quoique plus vieux et en les mêmes circonstances sentiraient aussi leurs coeurs partir à la dérive comme bouteille à la mer ballottée par la vague les injures
37. et le croyance que cela ne finira jamais alors là vraiment j'ai souffert aussi bien du mal présent que de mon infériorité virile et de la constater. J'ai senti que les grands discours que je tenais un mois
39. plus tôt sur l'énergie juvénile n'étaient que fanfaronnade et qu'au pied du mur je n'étais qu'un malheureux transplanté ayant perdu la moitié de ses facultés et ne servant de celles qui restent
41. que pour constater le néant de cette énergie. C'est alors dans le fond de mon abîme que j'ai pu me livrer aux quelques études sur moi-même et sur mon âme que l'on ne peut scruter je crois
43. à fond lorsqu'elle s'est livrée combat. De même dans les catastrophes on voit les hommes du meilleur monde piétiner les femmes et s'avilir
45. comme le dernier des vagabonds. De même j'ai vu mon âme se dévêtir soudain de l'[?] illusion de stoïcisme dont ma conviction l'avait recouverte pour ne plus que sa pauvre... en combat avec la triste réalité pour laquelle je... [?]
47. Qu'est-il au monde de plus triste qu'une après-midi de décembre un dimanche au quartier ?
Et pourtant cette tristesse qui me plonge dans une mélancolie profonde il me
49. coûte d'en sortir et il me semble que mon âme est amollie que je peux seulement en de telles circonstances me voir tel que je suis. Suis poétique non ! je ne le crois pas seul
51. un fond de tristesse est au fond de moi-même et si je n'ai pas le courage de le chasser par une occupation quelconque il prend bientôt des proportions énormes
53. au point que cette mélancolie profonde ne tarde pas à recouvrir tous mes ennuis et se fond avec eux pour me torturer en mon for intérieur.
55. Je suis de sentiments complexes et sensitif la moindre faute ou de délicatesse me choque et me fait souffrir car au fond de moi
57. même je cache un fond d'orgueil qui me fait peur à moi-même je veux dominer non par pouvoir factice comme l'ascendant militaire mais je veux que
59. plus tard ou le plus tôt possible être un homme complet, le serai-je jamais, aurai-je la fortune nécessaire pour avoir cette facilité d'agir qui vous permet de vous éduquer. Je veux obtenir par mes propres
61. moyens une situation de fortune qui me permette toutes mes fantaisies (Hélas) serai-je éternellement libre et seul ayant je crois le coeur trop
63. compliqué pour trouver une compagne que je puisse aimer longtemps. Je ne le sais pas. Mais ce que je veux avant tout c'est vivre
65. une vie remplies d'incidents que j'espère la providence voudra placer sur ma route et ne pas finir comme ayant placé un seul pôle de continuité
67. amorphe sur cette terre et dans une vie dont ils ne connaissent pas les détours qui vous permettent de se faire une éducation morale
69. si je traverse de grandes crises que la vie me réserve peut-être je serai moins malheureux qu'un autre car je veux connaître et savoir
70. en un mot je suis orgueilleux est-ce un défaut je ne le crois et il me créera des déboires ou peut-être la Réussite." (Les carnets du cuirassé Destouches, dans A l'agité du bocal)


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