mercredi 3 juin 2009

"La liberté pour quoi faire ?" (Bernanos)

"Nous trouvons même pénible d'être des hommes -des hommes, des vrais, avec leur propre corps, leur propre sang, bien à eux; nous aspirons à être des espèces d'hommes universels imaginaires. Nous sommes mort-nés et il y a d'ailleurs longtemps que nous ne naissons plus de pères vivants, et ça nous plait de plus en plus. Nous y prenons goût. Bientôt, nous inventerons un moyen de naître d'une idée." (Dostoïevski, Les carnets du sous-sol)


Écrit l'année dernière et 2 ème rediffusion de cette réflexion :


Comment retrouver les valeurs de l'Occident, nos valeurs.
A la source de la liberté.

"Quelles solutions pour accomplir ce revirement *maintenant* ?".

En effet, nous pouvons avoir une prise de conscience actuelle, et dans le meilleur des cas diffuser cette prise de conscience, et faire en sorte que les prochaines générations ne reproduisent pas les mêmes erreurs. Mais pour celles d'aujourd'hui, sont-elles à tout jamais perdus ? Le risque, à mon sens, est que tout effort fourni afin de construire un meilleur futur soit laminé par les dégâts du présent.

Bon : quelles solutions pour accomplir ce revirement maintenant ? HIC ET NUNC , ici et maintenant. Pas dans 10 ans, pas demain, mais maintenant, ici et maintenant.

Je reprends avec délices Chantal Delsol : "comment tirer leçon des expériences tant que la conscience occidentale demeure habitée par la nostalgie de l'utopie ?"
Delsol part du constat que l'homme moderne n'a pas commencé sa critique des utopies nazi et communiste qui ont pourtant ravagé le XXème siècle.
"A ce jour, les victimes innombrables de l'utopie communiste ne laissent qu'une mémoire gênante, gênante pour convaincre de mettre en oeuvre les utopies à venir. Les complices des crimes n'ont pas réussi à les cacher, mais ils les ont dénués de signification, ils en ont fait des évènements de hasard, rattachés à rien."
Pourquoi ce manque de volonté à se remettre en question ? pire qu'un manque de volonté, il subsiste une nostalgie de toutes ces utopies c'est à dire l'envie d'y croire à nouveau, l'envie d'y revenir.
La modernité tardive croit encore que nous pouvons faire n'importe quoi de l'homme, mais à condition que cela se réalise dans la liberté : le travail idéologique est toujours à l'œuvre...Naturellement le totalitarisme est monstrueux par la terreur qu'il exerce, mais la racine de son erreur est tout aussi effrayante : la certitude qu'en ce qui concerne l'homme, "tout est possible".
Alors ce revirement ? pas possible tant que nous aurons au plus profond de nous la nostalgie utopique de constituer une forme d'humanité parfaite sur terre, grâce à tel ou tel système idéologique dit "infaillible".
Deuxième écueil qui nous empêche de trouver des solutions pour un revirement :
"Aujourd'hui, la débâcle des utopies a laissé intacte cette détestation du monde présent. "

En fait, on oscille entre deux attitudes : la nostalgie des utopies nazi et communistes car, pense t-on , on peut encore créer un monde parfait, une civilisation parfaite ("les idéologies vénéraient un homme abstrait") et la haine de ce monde qui a tout foiré :
"Parce que ni les utopies ni le progrès sacralisé n'ont tenu leurs promesses, parce qu'ils ont offert, au lieu du paradis promis, tantôt des serpents et tantôt de nouvelles médiocrités, se manifeste une sorte de fuite au néant, une volonté dépitée de suicide. Plutôt rien que cette imperfection promise désormais pour toujours." on va non seulement avoir une envie de perfection utopique et illusoire mais dénigrer ( non plus par la terreur comme au temps des cocos. ou des nazis, mais plus par le mépris ou la moquerie ) ce monde qui est le nôtre et tout ce qui le constitue : les religions, par exemple, les institutions, les projets politiques. " Nous n'aimons pas la vie. Nous n'aimons que notre révolte."

Et c'est là que ça devient carrément intéressant :
lisez cette phrase, c'est la bombe du bouquin, c'est la mèche qui s'enflamme, c'est l'explosion assurée, c'est la clé de l'ouvrage, c'est la solution pour un revirement, ici et maintenant.

"UN HUMANISME VERITABLE SERA CELUI QUI AIME CET ÊTRE INACHEVE, HABITANT DEFINITIF DE L'HISTOIRE"

Bon reprenons : solution pour un revirement : je ne sais plus qui a parlé de "culture", en terme de solution. C'est le terme repris par Delsol qu'elle explicite ainsi :
" il lui faut ( à l'homme ) produire un monde culturel, ou devenir un barbare. Ainsi, le plus grand danger pour lui est désormais de nier sa propre finitude."et : " l'homme qui est dans l'incapacité d'être membre d'une communauté, ou qui n'en éprouve nullement le besoin parce qu'il se suffit à lui-même, ne fait en rien partie d'une cité, et par conséquent est une brute ou un dieu." ( Aristote)

Donc, solutions pour un revirement maintenant : éviter de détruire toute anthropologie culturelle ( ce qui dans les totalitarismes en vient à éliminer l'homme tout court ) et ne pas créer du vide en matière de monde culturel. Or, il nous faut accepter, en matière de monde culturel que
"si chaque monde répond à l'insuffisance de l'homme en lui proposant des réponses aux questions de l'existence, en donnant sens à son inquiétude, les réponses données par chacun des mondes culturels demeurent fragmentaires et, d'une certaine façon, relatives. Aucune culture ne peut prétendre atteindre l'universel, ni découvrir la pure vérité capable de résoudre les problèmes humains."

Est-ce à dire qu'il faille nier l'importance vitale de la création de ces mondes culturels qui façonnent l'identité humaine, ( rien que ça ! ) sous prétexte qu'ils sont imparfaits ?? Non, 10 fois non, car la finitude, l'imperfection humaine, sa forme inachevée fonde cette identité, son essence, son être même. La nier, c'est tomber dans l'utopie de la perfection et c'est détruire l'homme.
"Le monde commun contemporain se voit brisé non par la violence de luttes entre des réponses divergentes, comme il arrivait autrefois avec les guerres de religion, mais par le retrait de chaque individu hors des réponses culturelles à l'interrogation qui révèle l'humanité, et plus profondément, par le retrait hors de cette interrogation elle-même."
Autrement dit, continuer à s'interroger, c'est créer ces mondes culturels imparfaits qui permettent de répondre non pas à toute inquiétude métaphysique ( sens de notre existence, "qu'est ce que je fous sur terre, par exemple " ) mais à accepter cette inquiétude métaphysique comme faisant partie de notre être même. " Je ne puis défendre les postulats de la culture commune que si j'accepte le caractère toujours incertain des vérités humaines. Ces postulats ne visent pas à m'éviter l'inquiétude mais à la rendre signifiante. Je ne puis donner ou recevoir que si je connais mes carences."

"La blessure de la finitude est cela même qui fonde la personne dans sa dignité. l'homme est grand non pas quand il a résolu ses questions, mais parce qu'il doit les assumer."

Solution pour un revirement : ne pas rejeter l'interrogation - c'est être alors un barbare - ne pas s'imaginer avoir trouver La solution par un système parfait et utopique - c'est se considérer comme un dieu - continuer à s'interroger, demeurer dans cette création de mondes culturels, c'est à dire dans cette finitude qui est notre faiblesse, notre grandeur, notre être.


Liberté, autonomie, Delsol, Dantec, suite et fin
Dernière intervention à propos de Delsol et de la liberté, source d'autonomie et d'identité singulière, promis, juré, je vous gonfle plus avec :
Question de X
" Ha si quelque chose me vient : cette description de solution n'est-elle pas une utopie en elle-même ? Car pour que cela fonctionne, ce raisonnement d'acceptation des limites et d'intégration du questionnement métaphysique, qui selon moi engendre et la capacité d'évoluer en tant qu'individu, et la capacité à ce que chacun puisse vivre en communauté, il faudrait que *tous* en soit capable... Or, excuse mon cynisme, mais je ne crois pas que cela soit possible (d'où UTOPIE)."

X,
bien évidemment, tu as mis le doigt sur le détail qui tue : la capacité d'évoluer de chacun, la capacité à accepter cette "finitude"pour avancer entre deux abimes, sur un chemin de crête plutôt étroit.
Ce chemin possède une direction, je veux revenir là-dessus, tout d'abord, car ce n'est pas assez clair dans la fin de mon message où j'évoque plus une ATTITUDE à avoir pour rester libre qu'une direction pour avancer dans cette liberté.
Delsol explique :
"Nous ne pouvons ni connaître entièrement le Bien ni le réaliser pleinement ". Est-ce à dire que ce Bien, cette Vérité, n'existe pas ? Bien sûr que non ! "la vérité ne se trouve pas, elle se cherche, toujours, et c'est cette recherche même qui crée la vérité, qui en fait une physique expérimentée dans le monde, par le monde, et contre lui." ( Dantec, Artefact, p 292 )

"Nous ne pouvons que saisir des lueurs, des échos, des bribes d'un Bien total qui reste objet de promesse et de foi. Notre certitude, même si NOUS EN PERCEVONS CLAIREMENT LA VOIE, demeure incomplète, mêlée au fini que nous sommes. C'est nous qui en déterminons les contours, avec notre histoire, nos mœurs, nos désirs trempés dans la singularité d'un temps et d'un lieu."
Du moment que nous continuons à vouloir déterminer ces contours, à avancer, à poser ainsi des actes libres ( et imparfaits et bourrés d'erreurs nécessairement ), cette capacité à avancer est notre salut si je puis dire, pour le moins, elle fonde notre autonomie et donc notre identité humaine au cœur d'une civilisation.
"Ce qui est connu, ce qui est véritablement connaissable est caché.
C'est un secret.
Il est là-bas, au fond de ce puits de mine creusé dans le carbone de la nuit.
Il est au coeur même de l'abîme que je porte en moi" ( Artefact, p 298)
J'ajoute : il est moi.

"la place de l'absolu est imprenable".
Cet absolu, cette Vérité est imprenable, sauf par une singularité.
"Je suis l'expérience" (Artefact, p 300).

( Je reviendrai à la fin sur ce Bien imprenable, de façon plus personnelle, et vous ne m'en voudrez pas, chers tous, car vous me connaissez, vous connaissez mes convictions, certains d'entre vous les partagent, et les autres en êtes si PROCHES que je souris à chaque fois que je vous vois chercher la Lumière alors que vous êtes DANS la Lumière...)

Certes, tout le monde n'est plus capable, ne veut pas évoluer dans cette attitude pleine d'humilité, dans ce questionnement métaphysique, tout le monde ne veut pas, ne veut plus se situer dans la vérité c'est à dire être le lieu de l'expérience avec le réel, être le réel, être le monde, créer, construire ce monde. Delsol :
"l'humanisme qui a fait face aux totalitarismes du siècle s'est occupé exclusivement de désinstituer et, renversant les références pour renverser en amont les éventuels fanatismes, il a produit un individu qui se fuit lui-même."
Ainsi, nos ennemis ne sont pas forcément des monstres à d'horribles têtes ( le gaucho marxisant de base ) mais de bons gars comme nous. Rappelez-vous, dans Artefact, cette phrase qui donne le vertige : le Diable est
"un touriste comme les autres. C'est un terroriste comme les autres." Nous sommes tous des touristes donc des terroristes si nous observons ce monde sans prendre notre part.

Dans Grande Jonction, l'Antéchrist qui débarque à la fin :
"Et il y a cet homme qui se tient au premier plan. Vêtu très simplement, d'un costume de couleur grise et d'une chemise de bronze. Il est en train de parler à la foule. Il paraît tellement humain.
C'est lui, comprend Youri à l'instant même."
( P 802, G.J., éd.poche ).

Mais, X, ton cynisme n'a pas lieu d'être, n'a plus lieu d'être ! : observe un peu cette communauté que nous formons, si hétérogène dans ces membres, observe toi et moi, si différents et si proches dans le même temps, dans ce questionnement métaphysique, dans cette lutte contre tous ces nihilismes qui détruisent au sens propre l'identité de l'homme, son être même et au sens propre aussi détruisent l'homme : guerres, génocides etc, etc....
"défendre mon travail contre les marées noires du nihilisme" dit Dantec .
"Serons-nous capables d'aimer l'humanité dans sa misère réelle et non dans sa perfection rêvée ? C'est peut-être la question essentielle, à côté de laquelle le reste n'est que cabotinage de salon."
Dans Grande Jonction, il ne reste à la fin qu'un homme dans le Territoire et ceux qui ont pris le Vaisseau, excusez-moi, mais ils ne sont pas très nombreux..."Y a pas foule" comme on dit . La foule, elle est plutôt dans l'autre camp ! Alors, le cynisme....Va falloir faire avec ce qu'on est et ce qu'on a, c'est à dire pas grand-chose et TOUT à la fois puisque l'on connait "la direction" et que l'on a la bonne "technique." Et j'ajouterai, il vaut mieux agir, être de ceux qui souhaitent "évoluer",
"le pire des choix vaut mieux que pas de choix du tout." ( Artefact ).

"POUR VIVRE EN PAIX, IL FAUT MENER CONTRE SOI-MÊME LA PLUS IMPLACABLE DES GUERRES" (Td1) et c'est tout.

"Nier la faiblesse de l'homme, c'est engendrer l'utopie. Nier la promesse, c'est transformer la certitude de la faiblesse en cynisme ou en immobilisme."


Je reviens un instant, sur ce Bien imprenable : ce Bien, je suis tombée dans ses Mains quand j'étais petite, pour moi il s'agit bien sûr de Dieu et de sa Grâce qui m 'habite.( pas de "ent" : Dieu et Grâce, c'est kif-kif ). J' écrivais à X récemment cette naïve et bien réductrice interprétation de la "tour-monde " qui s'écroule dans Artefact :
"Je repense depuis plusieurs jours à Artefact ( au spectacle) et à cette "tour monde" qui s'écroule : je pense que la petite fille sauvée, c'est nous tous. Je pense que cet homme étrange qui la sauve, c'est Dieu qui prend sur ses épaules cette humanité qui se perd.Je pense que dans la Chute, il y a le Sauvetage de l'homme. Je pense que cette vision mystique n'est pas incompatible avec ma foi. Je pense que nous sommes dans les escaliers de cette tour en flammes et que l'instant n'est pas agréable mais qu'ultimement, nous comprendrons que Dieu était présent."
Comme vous le constatez, ce Bien est peut-être imprenable pour l'homme mais en fait, Il nous a PRIS, depuis l'aube des temps, chacun d'entre nous, sur ses Epaules.

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