jeudi 4 juin 2009

Cool



"Qu'est-ce que c'est que t'as jamais fait de plus courageux ? Il envoya sur la route un crachat sanglant. Me lever ce matin, dit-il."
(La Route, Cormac McCarthy)


Levée péniblement à 7h, je prépare le petit déjeuner de mes petits que je réveille dans la foulée... Oh, s'enfouir dans le cou d'un enfant qui dort encore... J'embrasse, je réveille doucement, je glisse une main tendre sur une petite joue toute chaude de sommeil, j'observe les petits sourires qui naissent alors que les yeux sont encore fermés, parfois les moues boudeuses des plus grands qui pensent déjà à l'interro de maths qui va poser problème...
Tout ce petit monde bruyant descend plus ou moins vite à la cuisine, se dispute le pot de beurre, le pot de confiture, la dernière tartine grillée... Je lis rapidement quelques messages envoyés dans la nuit, je me prépare pour le travail, je range le petit-déjeuner, prépare un sac de sport, signe des papiers, cours derrière celui qui n'a pas fait son lit, rappelle un autre qui ne s'est pas lavé les dents, nettoie une salle de bain, aère quelques pièces, bref la mécanique est bien huilée.

Dans la voiture, lecture des évangiles du jour : en ce moment, l'histoire de Tobie et de Sarah; cette dernière, après sept mariages qui ont provoqué la mort mystérieuse de ses sept maris se trouve bien maudite.Elle rencontre Tobie lors d'un repas et c'est le coup de foudre :
Tobie dit au père de la jeune femme à peine entre-aperçue : « Je ne mangerai pas ici aujourd'hui, et je ne boirai pas, si tu n'accueilles pas ma demande, et si tu ne me promets pas de m'accorder ta fille Sarah !" Le père et la fille sont épouvantés! Tobie va "finir" comme les sept autres maris! Morts avant même d'avoir pu consommer leur union! Mais Tobie connaît la parade, le secret de son salut : "Quand ils furent dans leur chambre, Tobie adressa à la jeune femme cette exhortation : « Sarah, lève-toi. Nous allons prier Dieu aujourd'hui, demain et après-demain. Pendant ces trois nuits, c'est à Dieu que nous sommes unis, et quand la troisième nuit sera passée, nous consommerons notre union."Nous sommes les descendants d'un peuple de saints, et nous ne pouvons pas nous unir comme des païens qui ne connaissent pas Dieu."

C'est donc là le secret de la réussite ? Le secret de l'Occident chrétien ? Pour qu'il survive, il ne doit pas oublier qu'il est issu d'un peuple de saints, suis-je en train de songer en doublant quelques tacots en perte de vitesse.
Je largue 6, 7 enfants et prends le chemin du travail : je réponds au courrier d'une petite association qui traite de dysfonctionnements judiciaires graves.La partie courrier se situe chez ma présidente et bonne amie, elle-même mère de 5 enfants. En arrivant chez elle, je tombe sur son mari paniqué, un bébé dans les bras, une petite à la main; les autres moufflets suivent, cartable sur le dos. C'est la déroute : la maman est coincée dans le dos, dans l'incapacité absolue de bouger : je prends tout le monde dans la bétaillère dépose qui à la gare, qui à l'école; j'embrasse et encourage quelques petits déboussolés par ce matin sans maman et reviens faire un marché pour la famille en détresse : le courrier attendra...
Un de nos "grands témoins" arrive, café, courrier à gérer avec lui, la présidente à requinquer et à nourrir dans son lit.

Les courriers justement : " Je ne crois plus en la justice de mon pays, c'est trop tard". Trouver les mots de l'espérance et du combat, trouver les mots d'encouragement, de regret de ne pouvoir faire plus, de remerciement pour un don généreux.
Et les mots, en lettres de feu dans mon esprit et mon cœur : "trop tard, trop tard, trop tard!!!"
Je repars en fin de matinée, mon ado. à retrouver et à nourrir avant qu'il ne ravage la cuisine à la recherche d'une bonne bouffe, comme font tous les jeunes... J'arrive, récupère mon ainé sur le toit de la maison (?! ?!) : "ben, tu comprends maman, le toit, c'est le seul endroit où mon portable capte...
Cool m'man t'inquiète pas m'enfin!"
Cool donc. Cool...

Je nourris le fauve et prends le temps d'ouvrir mon ordinateur : quelques textes chez ILYS ou Xyr pour se détendre, réfléchir un peu. Chez ILYS, la tronche écrasée de Pasolini mort, chez Xyr une bonne scène de viol et torture tirée d'Orange mécanique!
Cool donc... Cool!
J'ai envie tout à coup de balancer mon ordinateur par la fenêtre, de me dévisser le cerveau qui me chante : "trop tard, trop tard", je ferme les yeux un instant.
Chez Vertumne, quelques messages pour expliquer que le catholicisme c'est de la daube, chez YLIS, certains expliquent que les juifs, c'est quand même la cause de tout ce mal dans le monde. On est content là, tout à coup, on se sent très con et très seul avec ses certitudes et sa foi que l'on porte à bout de bras certains jours. Elle pèse étrangement, cette foi, on ne sait pas quoi en faire et curieusement :

c'est nous, cette Foi, notre corps, notre cœur, notre âme.
"Je veux être avec toi.
Tu ne peux pas.
S'il te plaît.
Tu ne peux pas. Il faut que tu portes le feu.
Je ne sais pas comment faire.
Si tu sais.Il existe pour de vrai ? Le feu ?
Oui, pour de vrai.

Où est-il ? Je ne sais pas où il est.
Si, tu le sais. Il est au fond de toi. Il y a toujours été. Je le vois."
(La Route, Cormac McCarthy)
Cool donc.. Cool.

Dans l'après-midi, cinq gâteaux et une ribambelle de petits fours à préparer pour une fiesta ce week-end, préparer quelques conduites pour soulager la copine coincée, organiser la récupération de son bébé pour la semaine, ça ne fera que neuf enfants à gérer après tout, qu'est-ce cela peut faire, un de plus ?
Le soir arrive, les enfants ont fait leurs devoirs peu ou prou, il fait trop beau dehors pour apprendre sa poésie, ils ont pris une douche ou fait semblant comme d'habitude, ils ont dîné. Je range du linge, prépare la énième machine de la journée.
Cool donc...Cool.
Tenir sa maison, c'est tenir le monde.
D. rentre enfin, j'entends sa voiture qui s'engouffre dans le garage. Je le retrouve sur le seuil :
Son visage justement,un regard, un unique regard d'amour, son regard d'attentive bonté, son sourire tranquille.

"Mettre un visage là où il n'y en a plus" m'explique XP à propos de Pasolini sans visage sur ILYS.


Cool.

3 commentaires:

  1. J'en suis sidéré. Cool donc... Cool
    «Ma petite est comme l'eau elle coule comme l'eau vive.» Quelle énergie! Le courant qui ne se voit pas mais qui tel un dynamo éblouie toute la maisonnée, mère qui nourrit les huit; en elle brûle toujours une flamme d'amour et vite vroum vroum dans la bétaillère, en prière la marmaille. Midi elle va se déployer jusque sur la couverture, Cool donc... Cool M'man.
    «Tenir sa maison c'est tenir le Monde.»
    Elle peine à la tâche mais elle n'est pas vaine sa corvée. Elle aime sa cordée qui soudé apprend qu'il faut avancer et vivre en ce foyer où la foi vivante est à l'image de l'amour un don continue et gratuit. Deux D alimentent les coeurs et chacun est amour paternel. L'un arrive et en elle refluent les vagues un murmure un regard, que tendresse et bientôt la maisonnée dormira.Elle ouvrira l'ordi et jetera un coup d'oeuil sur le monde. Parfois elle prend le temps du sommeil pour raconter sa journée mais surtout communiquer le courage, la persévérance et partager la sérénité, la confiance et l'amour qui l'habitent. Elle est une mère, une femme et une épouse mais aussi une amie. C'est si rare de nos jours.
    D'outre Atlantique,
    Charles

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  2. XP : c'est moi qui te remercie.Je regrette que cette belle réflexion "mettre un visage là où il n'y en a plus" ne soit pas lue par plus de monde. Il faudra que tu fasses un texte.

    Charles : vous dites : "communiquer le courage, la persévérance et partager la sérénité, la confiance et l'amour qui l'habitent".
    Je ne sais pas si toutes ces choses m'habitent (souvent, elles me viennent d'outre Atlantique en fait!) mais je veux, oui, les communiquer.
    Merci, Charles.

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