Question : qu'est ce que vivre ?
Asensio : Sur les Carnets noirs de Gabriel Matzneff
«Puissance prédictive de l'écrivain en tant qu'artisan du prévisible ? Singulière lucidité que l'épilepsie devrait au «haut mal» au mal sacré dont il a donné l'une des plus saisissantes descriptions cliniques ? Intempestivité critique, plutôt, du philosophe (du seul vrai philosophe russe, selon Berdiaev) ? Ou simplement charisme du prophète ? Comment savoir ? Avec Dostoïevski, l'on hésite forcément, tant le roman s'impose, au-delà de la littérature, comme la continuation de l'Histoire sainte par d'autres moyens. Théologien, alors ? Oui et non. Oui, si l'on se souvient que la première théologie, biblique, est narrative. Non, si l'on admet que le romancier échappe à l'apologétique. Théologien politique, peut-être ? Non, sauf à considérer que l'exercice vaut par son inévitable faillite, que la meilleure réaction intellectuelle se retourne en avant-garde esthétique – comme le montreront à la suite Eliot, Pound, Céline, le Bernanos de Monsieur Ouine (4), et Mishima. Disons plutôt : porte-parole du Tiers-exclu, du Dieu assassiné, de l'encombrant cadavre paternel autour duquel se presse, convulsive, tourbillonnante, l'humanité rendue à elle-même et elle-même à l'agonie, dont il se fait en retour le greffier pour compiler, dans toute sa textualité, l'évangile nihiliste» (5).
Je lis depuis un moment très lentement le Qu'est ce que l'homme de Delsol et je suis au cœur du chapitre la relation et la distance .Delsol explique que l'homme sans l'autre ne peut pleinement s'actualiser, devenir humain. "La relation fait partie du monde humain, elle est anthropologique parce que aucun humain ne se suffit." D'où la nécessité d'échanges, donc de liens donc de relation. Mais "Le bien est donc échange et non fusion. L'être humain doit demeurer distinct et séparé pour vivre dans la relation : si tout est indivis et mêlé, aucune rencontre n'est possible."(...) Car chacun, dès lors qu'il est conscient de soi, c'est à dire humain, vit seul et, surtout, meurt seul.(...) Et quand il se sent mourir, l'abîme de sa solitude est tel qu'aucun lien ne saurait le combler."
JB, toujours foudroyant, écrit : "L'enfer est platonique"
"Le boulevard du crépuscule est une voie à sens unique : on le descend, mais on ne le remonte pas». Asensio va plus loin, il trouve une solution et elle ressemble beaucoup à ces arts martiaux qui utilisent la faiblesse de chacun et l'inversent en quelque sorte en force. Voilà, une fois au fond de ce gouffre où l'on se voit seul, seul à jamais, seul toujours, il écrit : on ne peut sortir de ce fait de la solitude; elle est. De même que l'homme est seul, il est seul avec son péché, sa pesanteur et la mort. Alors? Il continue citant Mazneff : "«On ne peut servir Dieu dans le péché et dans le vice. [...] C'est vrai concède l'écrivain, mais il est, simultanément, non moins vrai que l'Église est faite pour les pécheurs, non pour les saints» La solution est là, n'est ce pas? Xyr disait : je ne veux pas mourir. Oui mais comment ? Ici, Asensio donne quelques clé de ce combat de la vie :
"Gabriel Matzneff, vivez. Vous ne vivez pas. Ce que j'ai lu me fait croire que vous ne vivez pas. Pour vivre, vivre vraiment, il ne vous reste plus qu'à vous débarrasser de vos trop nombreuses attaches charnelles et, en les ayant rompues, en les revivant par la grâce d'un silence plénier, vous les captiverez de nouveau et, surtout, plus jamais ne les perdrez ! Ce sera cela, le palpable et le concret (cf. p. 372). N'avez-vous donc rien retiré de la lecture des mystiques ? N'avez-vous pas gardé en mémoire ces mots d'un gamin (à vos yeux et même aux miens désormais), Jean-René Huguenin qui écrivait dans son Journal ces phrases de feu : «Ce qui caractérise les faibles, c’est moins le goût de l’abdication, du laisser-aller, l’obéissance servile aux moindres désirs, qu’une espèce de penchant fataliste pour le recommencement, un désir d’éterniser, une tragique impuissance à rompre. Ils meurent de ne pas savoir tuer».
Cette histoire de servilité me fait songer immédiatement au chrétien médiocre de Bloy ou à l'attitude servile du dhimmi. Dhimmitude mentale dit Annie Laurent en parlant des occidentaux.
Il faut mourir à soi n'est ce pas, c'est cela la solution.
"Tuez le vieil homme, débarrassez-vous de cette vieille peau qui paraît plus fine que celle d'un nourrisson, de cette mémoire plus vieille et épaisse que si elle appartenait à un de ces hommes fabuleux hantant les débuts de l'histoire selon la Bible (et qui finissent piteusement, voyez les immortels de Borges), larguez les amarres (n'avez-vous pas répéter, à l'envi, Navigare necesse est, vivere non necesse) et surtout, surtout, ne vous retournez pas, celles et ceux qui se retournent sont maudits !"
Savez-vous ce qu'il arrive à ceux qui se retournent ? ils se changent en statue de sel, ils pétrifient à jamais leur pensée, ils matérialisent leur réflexion.Ils pétrifient leur âme; leur cœur et il n'y a plus d'échange possible avec un être pétrifié : il ne peut ouvrir son cœur devenu comme de la pierre et ne peut rien donner de lui-même sans s'effriter en morceaux!
Nougaro, l'Enfant-Phare :
"Où est-il ? l'Enfant qui chante les fameux lendemains
L'Enfant qui enfante un nouveau genre humain
Où est-il ? l'Enfant qui tue, l'Enfant qui tue le vieil homme
Et qui reconstitue le paradis de la pomme!"
Mais mourir à soi-même qu'est ce que cela signifie concrètement?
"Ne visitez pas, comme tel personnage du Soleil de Satan de Bernanos (Antoine Saint-Marin je crois), la cellule misérable du saint de Lumbres, en espérant y découvrir le choc vital qui lui fera de nouveau goûter l'écriture, devenez-le, ce saint !"
Ah! C'était donc cela la solution? La bête solution? Elle était là, devant moi et je ne la voyais pas? Oui bien sûr... "Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits." ( Matthieu, 11; v. 22) Devenir saint! Il est là le grand voyage du futur. Pas dans les étoiles, pas sur une planète lointaine, même pas en ce qui me concerne ailleurs que mon pays la France, non, il est ici le grand voyage : en nous.L'Ailleurs, c'est nous, c'est notre âme et notre corps.L'enfant qui est en nous, en chacun de nous que nous ayons 10, 20, 40 ans, c'est lui qu'il nous faut chercher et retrouver n'est ce pas ? Il faut se tuer, s'oublier soi-même pour vivre et remonter cette pente d'un gouffre qui est si profond que plus d'un a désespéré en distinguant la lumière du jour, au loin. Mais cette lumière, elle n'était pas que en haut, elle était là, en nous aussi, nous avions cette lanterne avec nous, nous avions les pics, les piolets, les cordes et ne les avons pas vu. Dans la Route de McCarthy, c'est l'enfant qui est porteur du feu.La remontée du gouffre n'est possible que si elle est intérieure à nous . Pas extérieure.Le chemin est en nous, pas la peine de chercher une porte de sortie ailleurs. J'écrivais ceci je ne sais plus quand : l'année dernière :
"La question revient : "qu'est ce qu'un homme véritable? pas seulement l'artiste car tout homme est appelé à une forme de plénitude. A mon sens, c'est la question de toute une vie. Moi qui ai beaucoup d'enfants, je pose pour eux cette affirmation, deviens un homme véritable, but que je revendique haut et fort . Non pas "sois un homme, mon fils" car ça ne veut rien dire, on naît homme, mais sois un homme vrai, accomplit, aboutit, même si d'une certaine façon tes propres faiblesses et manques te déterminent fondamentalement, ontologiquement, paradoxe vertigineux de la finitude humaine vis à vis de la perfection divine.( creuser ce paradoxe : l’homme est fait pour la lumière, dit-on, mais la lumière n’est rien sans l’ombre ! )
Un homme véritable? "On ne fais pas ce qu'on devrait, on fait ce qu'on peut, c'est à dire ce que Dieu donne à faire" ( Journal de L. Bloy, Juin 1895 )
Hier, j'étais avec mon mari à une soirée donnée en l'honneur des 40 ans d'un ami .Je rencontrais un prêtre que je n'avais pas vu depuis 10 ans. Il m'a regardé et m'a posé la même question qu'il y a 10 ans."Es-tu dans la paix?" J'étais très troublée parce que cette question je me la posais depuis toutes ces années sans apporter de réponse positive et pour une bonne catholique comme moi, c'était tout de même un aveu plutôt humiliant de ma vie spirituelle alors qu'aux yeux du monde, je possède tout pour être dans la paix. Je lui expliquais cela rapidement ( avec une saucisse dans l'assiette, ça n'est pas très évident , je suis extrêmement maladroite) et lui dis que non, je n'étais pas dans la paix puisqu'il n'y avait pas eu à proprement parler de combat ou de guerre ou d'épreuves particulières et donc pas de reddition ni de paix. Il m'a regardé avec son regard flou de myope et m'a dit :"pourquoi vouloir combattre?"
Vous comprenez mieux la phrase de Léon Bloy, n'est ce pas? Un homme véritable, c'est celui qui va faire ce qu'il a à faire, sans refuser à Dieu la vie qu'il mène et doit mener. ça n'est pas de la mesquinerie, ça n'est pas quelque chose d'époustouflant, c'est vivre!
Jeanne Bloy, dans le journal de son mari :"Il faut creuser et descendre dans la terre jusqu'au lit des morts. Alors on trouvera la Joie."( Août 1895 ) . Mettre les mains dans la terre, en d’autres termes, faire ce que Dieu nous demande, ne rien lui refuser. C’est le message du bouquin de Mère Teresa. Toute son action est partie de cet appel du Christ : »Me refuseras-tu.» Et elle a fait le serment de ne jamais rien refuser au Christ. C’était bête comme chou mais il fallait y penser ! Plus question de combat mais seulement de reddition tout de suite !
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