lundi 9 février 2009

Houellebecq, BHL, Ennemis Publics


dimanche 28 décembre 2008
Avant tout, lisez le magnifique article de Radu sur le Ring à propos de Houellebecq et BHL : c’est une analyse philosophique précise des deux parties tout à fait passionnante.

Ici, vous ne trouverez que des extraits du livre qui m’ont marquée.
J’écrivais il y a très longtemps ceci :
« Au cœur de la nuit, dans le silence profond de la maison qui dort, dans mes rendez-vous clandestins et secrets, avec mes très chers livres, je poursuis sans relâche ma quête et mon enquête, ma traque absolue . Au matin, personne ne se doute des mondes que j’ai traversés, des aventures que j’ai vécues, des Trésors que j’ai découverts. »
Maintenant que je connais d’autres lecteurs, je veux leur transmettre ces trésors découverts.
Qu’est ce que lire ? Vous souvenez-vous ? J’avais dis, grâce à la lecture de Villa Vortex :
« je suis comme Kernal dans Villa Vortex : je découvre "la théorie", c'est à dire je lis et ces lectures deviennent une forme d'arme absolue. Je n'en avais pas conscience tout en en ayant très vaguement l'intuition depuis toujours. Maintenant la question : pourquoi une mère de famille ? Je n'ai pas de réponse. Ecoutez donc cela : "J'étais devenu un combattant de la Théorie, un moine-soldat, le guerrier d'une armée secrète, sans nom et sans visage, le réseau de la nuit, l'armée des morts." (Villa Vortex, Folio S.F. p321).Je continue :" Mon cerveau : une usine à cartes, un monstre machinique qui s'étoilait tel un réseau par-dessus le monde en son entier, une gigantesque toile d'araignée qui traçait et retraçait les parcours virtuels d'auteurs probables de crimes qui n'existaient pas."
"J'étais devenu un appendice de la bibliothèque de Wolfmann. Un appendice qui se nourrissait de ce qui le dévorait, c'était assez paradoxal tout ça, mais je m'y étais fait, aux paradoxes."
Le travail de l'écrivain rejoint notre « mission » de lecteur. Houellebecq dans ce livre d’entretiens nie être une intellectuel engagé. Il me semble pourtant que l’écrivain, l’artiste est pour moi l’être le plus engagé, le plus guerrier qui soit car il a pour fonction de révéler « le réel qui un secret. » C’est pourquoi les artistes dans des régimes totalitaires sont les premiers à mourir, à être éliminés ! Ils voient ce que personne ne voit, ils disent ce que l’on arrive pas à exprimer , ils décrivent la réalité qui est sous nos yeux, invisible, indicible, obscure.
« C’est mon destin depuis des années, depuis vingt ou trente ans peut-être, que les gens viennent me voir et me racontent sans même que je les interroge des choses que peut-être ils n’avaient jamais pensées – pensées clairement, avant de me les dire. J'ai senti, dès le début (et je sens toujours), comme une espèce de devoir (le mot est étrange, mais pour le coup je n'en vois pas d'autre) : j'étais requis à sauver les phénomènes ; à donner de mon mieux une retranscription de ces phénomènes humains qui se manifestaient, si spontanément, devant moi. » (p.83)
Un soldat est « réquisitionné » ; un écrivain ? « le soldat du Verbe » dit Dantec.
Soljenitsyne :
« On nous dira : que peut la littérature contre la ruée sauvage de la violence ? Mais n’oublions pas que la violence ne vit pas seule, qu’elle est incapable de vivre seule : elle est intimement associée, par le plus étroit des liens naturels, au mensonge. [...] Et le simple acte de courage d’un homme simple est de refuser le mensonge. Que le monde s’y adonne, qu’il en fasse même sa loi - mais sans moi. Les écrivains et les artistes peuvent faire davantage. Ils peuvent vaincre le mensonge. Dans le combat contre le mensonge, l’art a toujours gagné, et il gagnera toujours, ouvertement, irréfutablement, dans le monde entier. Le mensonge peut résister à beaucoup de choses. Pas à l’art. Et dès que le mensonge sera confondu, la violence apparaîtra dans sa nudité et dans sa laideur. Et la violence, alors, s’effondrera. C’est pourquoi, mes amis, je pense que nous pouvons aider le monde en cette heure brûlante. Non en nous donnant pour excuse de ne pas être armés, non en nous adonnant à une vie futile, mais en partant en guerre. Les Russes aiment les proverbes qui ont trait à la vérité. Ceux-ci expriment de façon constante et parfois frappante la dure expérience de leur pays : « Une parole de vérité pèse plus que le monde entier.

Dantec dans Villa vortex : « Le LIVRE AURAIT RAISON DU MONDE »

Dans ces entretiens, j’ai lu surtout lu les lettres de Houellebecq, je l’avoue. Et dans l’une de ses dernières, il évoque son travail de poète : ce passage est l’un des plus éblouissant que j’ai lu :
« Parce qu’il faut quelque chose, quand même, pour rester en contact avec la poésie, une certaine innocence. Techniquement parlant, il ne faut rien d’autre. Il y a un très beau mot désignant l’homme qui a découvert un trésor, c’est celui d’inventeur. Qu’il l’ait découvert par hasard, en s’égarant dans la forêt ou après quinze ans de recherche, compulsant de vieilles cartes datant de l’époque des conquistadors, n’y change absolument rien. Et c’est la même chose qu’on ressent lorsqu’on a écrit un poème : qu’on ait passé deux ans ou quinze minutes à l’écrire, cela revient au même. Tout se passe comme si, c’est irrationnel, je sais bien, tout se passe comme si le poème avait déjà été écrit bien avant nous, qu’il avait été écrit de toute éternité, et qu’on n’avait fait que le découvrir. Le poème une fois découvert, on s’en tient à quelque distance. On l’a dégagé de la terre qui l’entourait, on a donné quelques coups de brosse ; et il brille, accessible à tous, de son bel éclat d’or mat. »

Retour à l’innocence qui n’est pas de la mièvrerie mais une forme d’évidence que l’on possédait enfant, d’intuition géniale mais sans les mots .

Laurent Dandrieu, journaliste à Valeurs Actuelles dit d’un film qu’il a aimé ( Le Feu follet de Louis Malle) : « un film sur le désespoir si juste et si beau qu’il en redonne l’espérance ».
Je pourrais reprendre à mon compte cette réflexion en évoquant Houellebecq. Des livres sur le désespoir si justes et si beaux qu’ils en redonnent l’espérance.
Description de ce monde, de la France et de l’occident :
« Que la France ( et pas seulement elle, l’Europe occidentale tout entière ) ait sombré dans la dépression après les trente Glorieuses, cela me paraît absolument normal. L’optimisme était trop général, la croyance au progrès trop franche et trop naïve, les espérances trop partagées . « Extension du domaine de la lutte » était, je crois, un livre salutaire ; et je crois aussi qu’il ne pourrait plus être publié aujourd’hui. Parce que nos sociétés en sont maintenant arrivées à ce stade terminal où elles refusent de reconnaître leur mal-être, où elles demandent à la fiction de l’insouciance, du rêve ; elles n’ont simplement plus le courage de voir leur propre réalité en face. »
« Il n’empêche que j’ai senti, en revenant en Europe occidentale, que je revenais chez les morts."
Je ne peux m’empêcher de mettre en parallèle ces termes ironiques et lapidaires de Dantec : « Tout va bien ». ( American Black Box, je crois )
Houellebecq :
(…) « Je n’ai jamais eu, voyez-vous, le sentiment de vivre en démocratie ; j’ai toujours eu le sentiment de vivre dans une espèce de technocratie, sans être d’ailleurs persuadé que c’était là une mauvaise chose ; peut-être les technocrates sont-ils sages, et justes ; peut-être devrais-je, d’ailleurs, renoncer à l’alcool, peut-être même devrais-je m’arrêter de fumer.
Et j’aurais bien tort au fond, d’accuser ces braves technocrates, qui disposent sans nul doute, pour exercer leur difficile métier [ j’espère que vous appréciez l’humour cinglant de ce passage !!] de préparation des lois, d’une formation appropriée ; ces mesures de santé publique seraient sans nul doute approuvées par nos concitoyens à une majorité écrasante. Je n’ai donc, littéralement, qu’à m’écraser…En pratique je peux me chercher un trou pour y mourir, un coin de campagne où je pourrai, isolé, me livrer jusqu’au bout à mes modestes vices. »
Passage de Dantec partant à Cuba dans ABB :
« Derniers joints avant le passage des frontières. On ne prend plus de risques à mon âge, surtout vers un tiers-monde coco-dollarisé, avec une famille et les nouvelles lois de sécurité aéroportuaires. Rien que pour ça, Ben Laden mérite une bonne raclée. Non seulement, comme le dit fort bien Nick Tosches, « ce type n’était même pas du quartier », mais en plus il aura donné aux paranoïdes ( qui confondent fumeurs de joints et criminels de guerre ) l’occasion tant attendue pour mettre en œuvre leur politique de dinosaures démocratiques. »
Il est vrai que ces deux écrivains ont en commun d’avoir perçu cette « dévolution » du monde. Simplement, l’un – Dantec- veut en « découdre » alors que l’autre – Houellebecq – observe cette dévolution avec un détachement résigné . Et mortel. L’un croit que l’on peut « marcher sur les cendres », l’autre pense être en cendres.
Ces deux passages d’auteurs rejoignent, vous l’avez sûrement remarqué, le livre d’Alain Laurent, La société ouverte et ses nouveaux ennemis :
« L’esprit totalitaire peut donc resurgir un jour prochain dans une nouvelle incarnation initialement inoffensive et VERTUEUSE, un travestissement inédit derrière lequel très peu de physionomistes identifieront de prime abord le vieux visage messianique et maléfique de l’idéologie. »
A propos de cette technocratie qui nous dirige, de ce « dinosaure démocratique », Alain Laurent emploie l’expression : « l’ingénérie sociale ».

Toujours, la France et Houellebecq :
« Jamais je ne me suis senti de devoir, ni d’obligation, par rapport à la France, et le choix d’un pays de résidence a pour moi à peu près autant de résonance émotive que le choix d’un hôtel. Nous sommes de passage sur cette terre, je l’ai maintenant parfaitement compris ; nous n’avons pas de racines, nous ne produisons pas de fruit.
(…) Il se peut que je revienne un jour en France, et ce sera pour une raison très simple : j’aurai assez de parler et de lire en anglais, dans ma vie quotidienne. Ça m’énerve un peu de manifester cet attachement à ma langue, je trouve que ça fait posture d’écrivain ; mais c’est la vérité. Et pourquoi d’ailleurs cela serait-il réservé aux écrivains ? La langue qu’on parle, qu’on utilise pour s’exprimer, c’est quand même un point important dans la vie d’un homme- au moins autant que la nourriture qu’il avale.
Et la langue française est vraiment une des réussites de ce pays, harmonieuse, un peu sourde, aux tonalités restreintes. Il m’est arrivé en voyage de ressentir un désir violent, irrésistible, de lire ne serait-ce que quelques lignes écrites en français. »
Et bien ! cette évocation amoureuse de la langue française dans la bouche de quelqu’un qui vient de signifier qu’il n’en à rien à battre de la France me touche infiniment. C’est l’une des phrase du livre qui me font dire : j’ai aimé ce livre et il y a de l’espoir dans ces paroles.
« Harmonieuse, un peu sourde, aux tonalités restreintes » : l’entendez-vous la musique, entendez-vous la voix de vos mères ? C’est ainsi que je parle à mes enfants, c’est quand je leur parle de cette façon, avec ce ton, qu’ils m’écoutent. Ils me regardent - et là, c’est la paire d’yeux de mes petits jumeaux qui me vient à l’esprit-, attentifs à la musique plus qu’au message : celui-ci s’imprime dans leur esprit, dans leur cœur avant même qu’ils en aient compris la signification, il s’imprime à jamais dans leur âme grâce à l’harmonie, au ton un peu sourd, aux tonalités restreintes.
Puissance du langage et en l’occurrence, ici, puissance de la langue française, de la langue MATERNELLE. Puissance de la musique, puissance du Verbe, retrouvez Link de Nova qui sauve le monde avec sa guitare. C’est ainsi que je comprends mieux ce qu’est la musique. Cette puissance qui va directement à l’âme, immatérialité face à l’immatériel de notre esprit. Immatérialité si concrète .
Oh ! et je ne résiste pas : ces jours-ci je relisais des passages de Jules Vernes, mes lectures adorées de jeunesse. Dans Vingt mille lieues sous les mers, Il y a ce passage absolument palpitant qui m’a tenu en haleine pendant des années : c’est l’attaque du Nautilus par les poulpes géants. Un des hommes de Nemo se fait prendre dans les tentacules du terrible animal :
« Quelle scène ! Le malheureux, saisi par le tentacule et collé à ses ventouses, était balancé dans l’air au caprice de cette énorme trompe. Il râlait, il étouffait, il criait : « A moi ! à moi ! » Ces mots, prononcés en français, me causèrent une profonde stupeur ! J’avais donc un compatriote à bord, plusieurs, peut-être ! Cet appel déchirant, je l’entendrai toute ma vie ! »

Le professeur Aronnax, le narrateur, prisonnier involontaire du Nautilus, constate que Nemo et son équipage parlent une langue inconnue, inventée de toute pièce par le capitaine.
Mais là, à l’instant décisif, le marin qui va mourir crie dans sa langue maternelle, le français !
Ce passage, émouvant au possible, je voulais le mettre en parallèle avec Houllebecq qui a besoin d’entendre ou de lire français…

A propos de la religion, Houellebecq a des mots que je vous livre sans rien ajouter : que dire si ce n’est que cette âme brûlante qui s’ignore mérite la rencontre avec son Seigneur et son Dieu ? Mais la voudra t-elle, cette rencontre, à la fin du fin ? Cette question seule m’importe.
« Vous avez, [dit-il à BHL] de manière IMMERITEE, reçu une espèce de grâce, pour le coup je ne vois pas d’autre mot. Quelque chose qui vous permet de prendre au sérieux ces histoires de « ruah », de souffle divin, alors que je ne ferai JAMAIS, en ces circonstances, que hocher la tête.
« Parce qu’en effet un monde sans Dieu, sans spiritualité, sans rien, a de quoi faire terriblement flipper. Parce que croire en Dieu, tout bonnement, comme le faisait nos ancêtres, rentrer dans le sein de la religion maternelle présente des avantages, et ne présente même que des avantages. [ c’est là où je ne suis plus Houellebecq : je dirais : ne présente pas QUE des avantages mais EST le SEUL avantage car le Salut de l’homme ] Je sais que n’aimez pas tellement Péguy, mais, quand même : « Qu’ils viennent s’écrouler entre deux bras tendus… » Ou bien celui qui fait l’unanimité, encore et toujours ( et à quel juste titre), Baudelaire :
« C’est l’auberge fameuse inscrite dans le Livre
Où l’on pourra manger, et dormir, et s’asseoir.

Vous allez me dire : mais Houellebecq paraît bien méprisant avec le religion, sorte de « planche de salut » inventée par l’homme qui craint tant la mort. « L’espace vient, s’approche et cherche à me dévorer. Il y a un petit bruit au centre de la pièce. Les fantômes sont là, ils constituent l’espace, ils m’entourent. Ils se nourrissent des yeux crevés des hommes. » (La possibilité d’une île) Certes, c’est sans doute son point de vue, mais non méprisant : envieux. Envieux envers ceux qui ont reçu cette grâce « imméritée », ce don de la foi. Pourquoi nous et pas lui ?
Nous ne mesurons pas assez l’incroyable chance que nous avons d’être chrétiens. Nous ne mesurons pas ce don inouï de la Grâce dans nos âmes.

A propos de sa mère et là, l’analyse sur la déshumanisation contemporaine est absolument fascinante et terrifiante :
« Ce que je voudrais simplement vous dire, c’est que cet âge ancestral, préhistorique de l’humanité, nous y sommes aujourd’hui revenus, dans nos civilisations postmodernes. Le face à face entre mère et l’enfant est aujourd’hui absolu, radical, et cela dès la conception : c’est la mère par exemple, et elle seule, qui décide ou non d’avorter.
(…) On sent bien hélas qu’il y a dans le parcours éclaté, absurde de Lucie Ceccaldi [sa mère] quelque chose de terriblement, d’atrocement contemporain.
(..) Et puis surtout il y a, bien sûr, l’incapacité absolue à se sacrifier pour ses enfants, l’incapacité même à supporter qu’on va mourir, et que ses enfants vont continuer à vivre. »
Relisons ce passage d’anthologie de J.G. Ballard, dans son excellent Millénium People où le héros, David Markham, raconte que sa mère, psychologue de renom, n’a jamais été fichue d’éprouver quoique ce soit pour lui, son fils, et ne l’a pas élevé du tout : « C’est un esprit libre, répondis-je sincèrement. Elle m’a aimé profondément – pendant dix minutes. Puis ç’a été fini. ».
Cette vision inhumaine de la mère pousse Houellebecq à s’interroger sur le mal et il a cette réflexion magnifique :
« Ce qui est en jeu, c’est la reconnaissance qu’un mal a été commis dans le monde.(…) C’est la reconnaissance, enfin que ce mal est limité ; c’est la transformation d’un mal indéfini, ignoble, en un mal restreint, défini dans l’espace et dans le temps. C’est une tentative d’interruption du déroulement illimité des chaînes causales ; de la reproduction sans fin du malheur et du mal.Certains vont plus loin, et tentent de prendre appui sur ce mal pour se construire ; ils font de leur géniteur indigne un absolu contre-modèle. Certains vont vraiment loin, et je sais que ma sœur ( j’espère qu’elle me pardonnera de la citer ) est allée jusqu’à refuser de travailler, pour se consacrer à sa seule vocation de mère de famille ; et je sais qu’elle y est parvenue. Une sur mille, peut-être, y serait parvenue ; mais il n’y a pas de fatalité. On peut briser la chaîne de la souffrance et du mal. »
Je répète : « on peut briser la chaîne de la souffrance et du mal ». Comment ? Ici, en étant simplement une mère de famille. Cette arme absolue, cette espérance incroyable, il faut que ce soit un maître de la désespérance qui nous la livre, il faut que ce soit celui qui a été littéralement « tué » par sa mère par manque d’amour qui nous transmette une façon d’échapper au mal et à la mort.
Quelle merveilleuse réponse, quel incroyable lumière dans nos vies, : le quotidien magnifié, l’engagement entier dans ce que l’on a à faire et dans ce que l’on est. Pas grand chose, certes, mais suffisamment pour « briser la chaîne de la souffrance et du mal ».
Je m’arrêterai avec ce passage .

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