lundi 2 février 2009

Bernanos, "Journal d'un curé de campagne", et "Les Prédestinés"


Une question me hante en permanence dans cette quête de la sainteté qui est normalement celle de tout chrétien, c'est le lien avec l'artiste, l'écrivain plus particulièrement. Certains écrivains éminents, malgré des vie personnelles effroyables, ratées, médiocres, ont été jusqu'au bout de leur combat de l'écriture et leur engagement n'a été qu'une recherche de la vérité, du beau, et donc de Dieu d'une certaine façon.Même lorsque c'est pour décrire la mort de Dieu, ou leur refus de Dieu, ou encore un monde sans Dieu.( ex. Houellebecq) Tous ces écrivains ne sont pas des saints et pourtant! j'éprouve une tendresse particulière pour ces derniers et une immense admiration pour cette quête absolue.Le lien m'échappe entre le saint et l'artiste et c'est cela que je cherche en permanence dans mes lectures. Cette quête du sens, de la vérité qui me paraît si indispensable aujourd'hui car elle est attaquée au coeur, se fait par des hommes et des femmes d'une fragilité absolue, des misérables, des ratés.Cette quête rejoint pourtant Celui qui EST le Chemin, la Vérité, la Vie.On rejoint ainsi ce que l'on disait sur ces faibles qui sont les forts, toujours.D'où bien entendu l'importance à accorder dans nos sociétés à la liberté d'expression à la question du sens des mots. Car "le réel qui est un secret" ( Dantec) est perceptible par l'homme par son langage, et ultimement par l'écrit. Si nous voulons connaître une certaine vérité sur l'homme (et donc son lien avec Dieu), il nous faut bien sûr passer par l'esprit humain dont les artistes, les philosophes et les écrivains sont les représentants les plus éminents.

Les saints pour Bernanos, sont ces êtres fragiles, faibles, laminés par une meute de forts ( c'est le cas, par exemple, de Sainte Jeanne d'Arc face à ses juges d'église), des enfants pour la plupart, qui possèdent une âme d'enfant c'est à dire bien loin de la raison-raisonneuse et qui pourtant les fait agir toujours exactement, au millimètre près, comme il aurait fallu agir dans ces circonstances-là. Cette adéquation parfaite entre le coeur, l'amour, la raison et l'agir, c'est ce qui caractérise le saint. De cette adéquation jaillit la présence divine, la Grâce... L'écrivain ? il y a une forme d'adéquation aussi entre ce qu'il dit-écrit et ce qui est-la réalité. De cette adéquation jaillit la vérité, une forme de beauté et de grâce...
Bernanos, Bloy et dans une certaine mesure Dantec, d'autres aussi que je ne connais pas : des écrivains éminents, catholiques dont la quête de la vérité, par l'écriture, rejoint la quête de Dieu. Les trois sont allés très loin dans l'exploration du côté obscur de l'âme humaine pour, dans tous les cas, faire ressortir la lumière divine et la puissance de la Grâce...
Pour essayer de te parler de Bernanos, j'ai du reprendre la lecture (toujours à recommencer) du "Journal d'un curé de campagne"; si tu ne l'as pas lu, fais-le et je puis t'assurer que tu tomberas foudroyé. Bernanos, à la différence de Bloy qui est comme la foudre dans sa Parole, Bernanos c'est aussi une puissance incommensurable mais qui se glisse dans ton coeur comme un rouleur compresseur... Il est une vague immense qui s'est préparée loin dans le fond des mers.

"Que savons-nous du péché? Les géologues nous apprennent que le sol qui nous semble si ferme, si stable, n'est réellement qu'une mince pellicule au-dessus d'un océan de feu liquide et toujours frémissante comme la peau qui se forme sur le lait prêt à bouillir... Quelle épaisseur a le péché? A quelle profondeur faudrait-il creuser pour retrouver le gouffre d'azur"

Oh S.! As-tu jamais lu quelque chose d'aussi beau ? Le savais tu, toi qu'au fond de ton âme subsistait une part inaltérable et inaltérée, le lieu où ton Dieu veille, "un gouffre d'azur"? N'est ce pas la plus belle chose qu'on puisse savoir ?
Que veux tu savoir de la sainteté, S., si ce n'est qu'elle est ce cadeau si précieux que Dieu nous offre ? Que veux tu savoir si ce n'est que c'est simplement l'appel brûlant de ton Seigneur qui veut te remplir d'amour pour Lui ? Que veux tu être d'autre si ce n'est cette torche qui s'embrase pour l'éternité? N'as tu donc pas envie d'aimer pour de vrai? et totalement ?

"Il est une heure : la dernière lampe du village vient de s'éteindre. Vent et pluie.
Même solitude, même silence. Et cette fois aucun espoir de forcer l'obstacle, ou de le tourner. Il n'y a d'ailleurs pas d'obstacle. Rien. Dieu! je respire, j'aspire la nuit, la nuit entre en moi par je ne sais quelle inconcevable, quelle inimaginable brèche de l'âme. Je suis-moi-même nuit.
Je m'efforce de penser à des angoisses pareilles à la mienne. Nulle compassion pour ces inconnus. Ma solitude est parfaite, et je la hais. Nulle pitié de moi-même.
Si je n'allais plus aimer!"

A propos de ce Dieu qu'il nous faut imiter dans son humilité absolue et qui se cache, qu'il nous faut chercher :
"La sainteté de Dieu! La simplicité de Dieu, l'effrayante simplicité de Dieu qui a damné l'orgueil des Anges! Oui, le démon a dû essayer de la regarder en face et l'immense torche flamboyante à la cime de la création s'est abimée d'un seul coup dans la nuit. Le peuple juif avait la tête dure, sans quoi il aurait compris qu'un Dieu fait homme, réalisant la perfection de l'homme, risquait de passer inaperçu, qu'il fallait ouvrir l'oeil."
A propos de ces forts qui sont les faibles, cette phrase sublime du curé de Torchy, ami du curé de campagne : "Tu es dans la peine, m'a t-il répondu. C'est à toi de me bénir.Et il a pris ma main dans la sienne, il l'a levée rapidement jusqu'à son front, et il est parti."

Et ce portrait de ce même curé de campagne par un de ses amis soldat, qui révèle le saint et surtout, surtout qui te fait comprendre, S., à quel point il est facile de le devenir, saint. Oui! N'ayons pas peur de le dire! Il est facile d'être un saint puisque c'est Dieu qui le veut pour nous. Ecoute ceci ( c'est le soldat qui parle en premier, ami du prêtre et le narrateur est ce curé de campagne, héros de l'histoire et saint fragile et puissant à la fois) :
"Je veux dire que si votre visage n'exprimait pas... Il s'est arrêté. Mais ses yeux pâles ne me déconcertaient plus, j'y lisais très bien sa pensée.-"L'habitude de la prière, je suppose, a t-il repris. Dame! ce langage ne m'est pas trop familier..."-"La prière! L'habitude de la prière! Hélas! si vous saviez... je prie très mal." Il a trouvé une réponse étrange, qui m'a fait beaucoup réfléchir depuis.-"L'habitude de la prière, cela signifie plutôt pour moi la préoccupation perpétuelle de la prière, une lutte, un effort.C'est la crainte incessante de la peur, la peur de la peur, qui modèle le visage de l'homme brave.Le vôtre-permettez-moi- semble usé par la prière, cela fait penser à un très vieux missel ou encore à ces figures effacées, tracées au burin sur les dalles des gisants. N'importe! Je crois qu'il ne faudrait pas grand chose pour que ce visage fût celui d'un hors la loi, dans notre genre."

Pour être un saint, suffit d'avoir la préoccupation perpétuelle de la prière, c'est à dire de Dieu. Tout ce que tu fais, tu le fais avec cette préoccupation de Dieu, ce fer brûlant qui t'a été transmis au baptême. C'est tout.

La citation en dessous, tirée des Prédestinés, recueil de textes de Bernanos sur certains saints et sur la sainteté. Il dit, à propos de Sainte Jeanne d'Arc, devant ses juges :
"Pour sauver sa vie, il fallait seulement qu'elle abjurât, qu'elle renonçât à de vains fantômes, fût-ce contre le témoignage même de ses sens, puisque docilité vaut toujours mieux que présomption. "Item, en conclusion, abondamment et de nouveau fut ladite femme admonestée d'avoir à se soumettre à l'Eglise, sous peine d'être abandonnée par l'Eglise. Que si l'Eglise l'abandonnait, serait en grand péril du feu éternel et du feu temporel." A quoi elle riposte d'un tel cri de détresse, d'un cher cri d'enfant, dont on voudrait pouvoir baiser la trace de l'air, d'un cri d'appel qui eût fait jaillir du fourreau n'importe quelle épée de chevalier, d'un cri innocent à quoi répondra, d'âge en âge, le furieux aboiement des canons français : "Vous ne ferez jamais ce que vous dites contre moi sans qu'il vous advienne mal, au corps et à l'âme!"

Tu vois, S., cette phrase, cette unique phrase, ces mots suffisent à me faire pleurer tant ils sont d'une poésie absolue, d'une clarté totale. Quand la forme rejoint l'être des choses, le fond jaillit alors comme l'éclair et le tonnerre dans la nuée! Quelle beauté que la lecture de Bernanos! Et quelle image de la sainteté, n'est ce pas ? Si humaine, cette sainteté, si pleinement humaine...

Nouvelle race de saints ? La sainteté ne me paraît plus, comme je le pensais auparavant, l’apanage de surhommes ou de monstres mais comme l’affaire des plus petits, des plus misérables, des plus pauvres d’entre nous. L’affaire de ceux qui ont un cœur d’enfant, dirait Bernanos. Tenir ces deux principes, garder le feu de l’Esprit dans nos cœurs et rester humain, devenir un homme, est d’une simplicité biblique, à la portée de tous.

« Notre Eglise est l’église des saints. Qui s’approche d’elle avec méfiance ne croit voir que des portes closes, des barrières et des guichets, une espèce de gendarmerie spirituelle…Car la sainteté est une aventure, elle est même la seule aventure. Qui l’a une fois compris est entré au cœur de la foi catholique, a senti tressaillir dans sa chair mortelle une autre terreur que celle de la mort, une espérance surhumaine….Mais qui se met en peine des saints ? On voudrait qu’ils fussent des vieillards pleins d’expérience et de politique, la plupart sont des enfants….Quel saint eut beaucoup à se louer des gens d’église ? Hé ! Que font ici les gens d’église ! Pourquoi veut-on qu’ait accès aux plus héroïques des hommes tel ou tel qui s’assure que le royaume du ciel s’emporte comme un siège à l’Académie, en ménageant tout le monde….Qu’une autre Eglise montre ses saints !
Enfin, lu « Baleine »,il y a un an environ, un tout petit roman de Paul Gadenne. C’est bien lui qui aura, de façon étonnante, le mot de la fin, qui donne la clef des hommes véritables, des saints :
« Nous sommes tout petits, Pierre, c’est vrai ; sans aucun pouvoir, c’est vrai ; mais cela, nous si petits et si impuissants, nous le pouvons. Nous le pouvons, reprit-elle. Les plus petits des hommes peuvent faire cela – un petit effort sur eux-mêmes…

Je sentis, à travers l’obscurité, la force de son regard.

- La vraie foi, dit-elle, cela doit ressembler aux atomes : il suffit qu’il y en ait un qui éclate…(…)

- Assurément, dis-je, c’est cela qui changerait le cours du monde.

(Ecrit i l y a un an environ)

J’ai soif

L’enfant est né, après bien des alarmes.
Il est beau et repose sur le sein de sa mère.
L’enfant est né, après des cris et des larmes.
Il est maintenant une créature de la terre.

Mais son regard se porte déjà vers le ciel,
Ses bras se tendent vers l’immatériel,
Se referment dans le vide et le néant.
Il est une créature des cieux, pourtant.

Baptisé selon la coutume, avec de l’eau
Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit,
Dieu se love dans son cœur aussitôt
Feu ardent et rouge-sang dans le joyau.

Feu ardent et brûlant attiré par l’eau,
Il murmure maintenant et pour l’éternité,
Dans le cœur de cette âme embrasée
« J’ai soif , Moi le Seigneur, le Très-Haut » .

Descendu aux enfers, volontaire prisonnier
Au cœur de l’homme, un brûlant et divin secret.
Le Seigneur-Dieu, le Créateur, le Crucifié
« J’ai soif » murmure t-Il à l’enfant nouveau-né.

« J’ai soif ! » la Voix enfle et se perd
Dans une vie d’épreuves et de misère.
« J’ai soif ! » crient l’enfant et son Dieu-Trinitaire,
Ils sont à la fois, tous deux, l’eau et le désert.

« J’ai soif ! » parfois la Voix se tait, tout s’endort.
Le bruit du monde, la mollesse de nos corps
Assourdissent le doux murmure, le cri délirant
La voix du Père, et celle de l’enfant.

Occultée, la Voix du Tout-Puissant
Moquée, piétinée, écrasée, cette voix d’enfant
Et dans un silence d’outre-tombe
Quand tout est fini, mort, nuit sombre

Les martyrs, les saints, les pauvres, les malheureux !
De leur bouche pleine de cendre et qui ne s’ouvre plus
Naît un merveilleux sourire. Ils ne crient plus
Puisqu’ils ont appelé, et le Verbe est venu .
Le Calice suprême, La Coupe du salut,
S’est versée sur leurs lèvres, jusqu’à la lie
Ils ont bu.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire