mercredi 20 janvier 2021

"L'énorme ennui de la vie quotidienne"


 A la suite d'une conversation sur les réseaux, à propos des relations entre hiérarchie ecclésiale et traditionnalistes, je relis et transmets un passage de ce très beau petit recueil de Bernanos, "Les Prédestinés" : 

"Notre Église est l'église des saints. Du pontife au gentil clergeon qui boit le vin des burettes, chacun sait qu'on ne trouve au calendrier qu'un très petit nombre d'abbés oratoires et de prélats diplomates. Seul peut en douter tel ou tel bonhomme bien pensant, à gros ventre et à chaîne d'or, qui trouve que les saints courent trop vite et souhaiterait d'entrer au paradis à petit pas, comme au banc d'œuvre, avec le curé son compère. Notre Église est l'église des saints. Nous respectons les services d'intendance, la prévôté, les majors et les cartographes, mais notre cœur est avec les gens de l 'avant, notre cœur est avec ceux qui se font tuer. Nul d'entre nous portant sa charge - patrie, métier, famille - avec nos pauvres visages creusés par l'angoisse, nos mains dures, l'énorme ennui de la vie quotidienne, du pain de chaque jour à défendre, et l'honneur de nos maisons, nul d'entre nous n'aura jamais assez de théologie pour devenir seulement chanoine. Mais nous en savons assez pour deviner des saints. Que d'autres administrent en paix le royaume de Dieu! Nous avons déjà trop à faire d'arracher chaque heure du jour, une par une, à grand'peine, chaque heure de l'interminable jour, jusqu'à l'heure attendue, l'heure unique où Dieu daignera souffler sur sa créature exténuée, ô Mort si fraîche, ô seul matin! Que d'autres prennent le soin du spirituel, argumentent, légifèrent : nous tenons le temporel à pleines mains, nous tenons à pleines mains le royaume temporel de Dieu. Nous tenons l'héritage des saints."

Décidément, Bernanos reste pour moi indépassable, aussi bien sur le fond que sur la forme.

Morne plaine

C'est vrai qu'une fois sortis de l'enfance dont nous apercevons encore de temps à autre
Les paisibles lueurs douces et dorées qui éclairent de leur présence notre nuit,
Nous nous tournons un jour brutalement vers les espaces adultes immenses et gris
Et la guerre débute, larvée, perfide, contre nous-mêmes et tous, contre la Faute,
Dans ces plaines quotidiennes, désertes et arides, et elle ne cesse jamais plus.

Cette guerre nécessite toutes nos forces, notre vertu et notre haine pour l'ennemi
Sans nom et sans visage qui se manifeste par notre paresse, nos péchés, nos travers
Et ceux de nos frères, cette guerre qui ne finira jamais tant que nous serons en vie
C'est l'histoire de nos jours et de nos nuits, de nos épreuves et nos pénibles galères
Dans ces plaines quotidiennes, désertes et arides, et elle ne cesse jamais plus.

J'aimerais connaître un instant de félicité qui durerait plus de quelques secondes;
Jour après jour, je brasse péniblement quelques gestes pesants en eau profonde
J'aimerais, quand ma tête émerge de loin en loin pour une respiration avide et longue,
Apercevoir la côte, la terre, atteindre le sable, creuser et reposer dans ma tombe

Dans ces plaines quotidiennes, désertes et arides que je vis à perte de vue. 

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