lundi 26 mars 2018

"Là où l'on ne croit pas à l'existence de l'âme, il n'y a que fort peu de drames."


En référence à Bernanos et Dantec que Flannery O'Connor aurait qualifiés de grands romanciers ayant écrit de grands romans religieux, en référence à Houellebecq qui a décrit dans ses romans ce "démon qui nous possède" de notre incertitude spirituelle.

"L'écrivain sérieux prend invariablement pour point de départ l'imperfection humaine, et souvent l'imperfection d'un personnage par ailleurs admirable. Généralement le drame se fonde sur le péché originel, que l'auteur le conçoive ou non en termes de théologie. En outre, tout personnage de roman digne de ce nom est supposé porter un fardeau de significations qui le dépassent. Le romancier ne met pas en scène des créatures observées sous vide; il peint des êtres en situation, dans un monde qui représente à l'évidence un manque, qui rend manifeste ce mystère d'incomplétude partagé et la tragédie particulière à notre temps. Mais le romancier s'efforce aussi de nous communiquer, dans les limites de son récit, une expérience universelle de la nature humaine en tout temps. Pour cette raison, les plus grands drames impliquent naturellement la perte ou le salut de l'âme. Là où l'on ne croit pas à l'existence de l'âme, il n'y a que fort peu de drames. Le romancier chrétien se distingue de ses confrères païens en ceci qu'il tient le péché pour le péché. Fidèle à son Eglise, il ne le considère ni comme une maladie ni comme un accident imputable au milieu social, mais comme un choix dont l'homme est responsable, une liberté d'offenser Dieu qui engage son avenir éternel. Le salut, cela se prend ou non au sérieux. Et il est bon de se rappeler que c'est le comble du sérieux qui mène au comble du comique. Si et seulement si nous sommes fermes dans nos croyances, l'aspect comique de l'univers apparaît à nos yeux. Que tant de fictions contemporaines soient dépourvues d'humour s'explique en partie par le relativisme de tant d'auteurs, continuellement réduits à justifier les actes de leurs personnages en se référant à une échelle de valeur mouvante.
Notre salut est un drame qui se joue avec le démon, démon qui n'est n'est pas simplement le mal généralisé, mais une intelligence maligne agissant de sa pleine souveraineté. Si les romanciers qui se font du monde une conception religieuse excellent de nos jours à décrire le mal, c'est qu'ils doivent faire en sorte que leur public ne se méprenne pas sur sa véritable nature.
Quand ils ne font pas qu'un, le romancier et le croyant ont encore bien des traits communs -une même méfiance de l'abstrait, un même respect des limites, un même désir de découvrir, sous l'écorce des choses, l'esprit qui les informe et donne au monde sa cohésion. Mais tant que nous ne retrouverons pas l'heureuse union d'une société croyante d'artistes croyants, je ne crois pas que nous aurons de très grands romans religieux. D'ici là, le romancier doit faire de son mieux pour aider à la douloureuse gestation d'un monde qui est le sien. Peut-être découvrira-t-il, au bout du compte, qu'au lieu de réfléchir l'image de ce qui est au cœur des choses, il n'a guère reflété que notre incertaine condition, et, à travers elle, le visage du démon dont nous sommes possédés. C'est une oeuvre modeste, mais sans doute est-elle nécessaire."

Flannery O'Connor, "Mystère et manières", "Romancier et croyant"; in "Œuvres complètes" , éditions Quarto Gallimard, P 897-898

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire