dimanche 24 août 2014

Du lecteur

"J'estime qu'ils se trompent lourdement ceux qui affirment que les bases de la connaissance, de la culture, les bases de tout sont nécessairement ces classiques que l'on trouve énumérés dans toutes les listes des "meilleurs" livres. Je sais qu'il existe plusieurs universités dont tout le programme se fonde sur ce genre de liste. A mon avis, tout homme doit bâtir lui-même ses propres fondations. C'est le caractère unique de chacun qui en fait un individu. Quels que soient les matériaux qui ont contribué à donner sa forme à notre culture, chaque homme doit décider tout seul des éléments qu'il y choisira pour son propre usage. Les grandes œuvres sélectionnées par des esprits universitaires ne représentent que leur choix à eux. De tels esprits ont la manie de s'imaginer être nos guides élus, nos mentors. Peut-être si l'on nous laissait libre, finirions-nous par partager leur point de vue. Mais le moyen le plus sûr de ne pas parvenir à ce résultat, c'est de conseiller la lecture de telle liste de livres, représentant les soi-disant fondations de toute culture.Un homme devrait commencer par son époque. Il devrait commencer par se familiariser avec le monde où il vit et dont il fait partie. Il ne devrait pas avoir peur de lire trop ou trop peu. Il devrait lire comme il mange ou comme il prend de l'exercice. Le bon lecteur ne tardera pas à graviter autour des bons livres. Il découvrira, grâce à ses contemporains, ce qu'il y a dans la littérature du passé qui apporte un exemple, une inspiration ou simplement un délassement. Il devrait avoir le plaisir de faire ces découvertes tout seul, à sa guise. Tout ce qui a de la valeur, du charme, de la beauté, tout ce qui est lourd de sagesse ne saurait être perdu ni oublié. Mais les choses peuvent perdre toute valeur, tout charme, toute séduction, si l'on vous traîne par les cheveux pour les admirer. N'avez-vous jamais remarqué, après bien des expériences décevantes, que quand on recommande un livre à un ami moins on en dit mieux cela vaut?"

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"Ma faiblesse à moi, c'est de crier sur les toits chaque fois que je crois avoir découvert quelque chose qui me paraisse d'une importance vitale. Quand je viens de finir un livre admirable, par exemple, je m'installe presque toujours à ma table pour écrire des lettres à mes amis, parfois à l'auteur, voire à l'éditeur. L'expérience qu'a été pour moi cette lecture devient un élément qui prend place dans ma conversation de tous les jours, qui s'intègre à ce que je bois, à ce que je mange. J'ai parlé de faiblesse à ce propos. J'ai peut-être tort. "Croissez et multipliez!" a commandé le Seigneur.E. Graham Howe, l'auteur de War Dance, l'a exprimé sous une autre forme que j'aime encore mieux. "Créez et partagez!" conseillait-il. Et bien qu'au premier abord la lecture puisse ne pas sembler un acte de création, c'en est un pourtant au sens profond du terme. Sans le lecteur enthousiaste, qui est vraiment la contrepartie de l'auteur et très souvent son plus secret rival, un livre mourrait. L'homme qui répand la bonne parole augmente non seulement la vie du livre en question mais l'acte de création lui-même. Il insuffle l'esprit aux autres lecteurs. Partout il se fait le champion de l'esprit créateur. Qu'il en ait  ou non conscience, ce qu'il fait là c'est louer l'oeuvre de Dieu. Car le bon lecteur, comme le bon auteur, sait que tout est issu de la même source. Il sait qu'il ne pourrait partager l'expérience personnelle de l'auteur s'il n'était pas lui-même pétri de la même substance. Et quand je dis auteur j'entends Auteur, avec un A majuscule. L'écrivain est évidemment le meilleur de tous les lecteurs, car en écrivant, ou en "créant" comme on dit, il ne fait que lire et que transcrire le grand message de la création que dans sa bonté le Créateur a dévoilé à ses yeux."

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"Non, à mes yeux, le trait dominant d'un écrivain c'est son don d'"exploiter" le vaste silence qui nous enveloppe tous. De tous les artistes, il est celui qui sait le mieux qu'"au commencement était le Verbe et que le Verbe était Dieu". Il a capturé l'esprit qui anime toute création et il l'a exprimé en signes et en symboles. Sous prétexte de communiquer avec ses frères humains, il nous a sans s'en douter enseigné à communier avec le Créateur. En prenant pour instrument le langage, il montre que celui-ci n'est point langage mais prière. Un genre très particulier de prière, certes, puisqu'elle ne demande rien au Créateur : "Béni sois-tu, ô Seigneur!" C'est cela qu'elle exprime, quel qu'en soit le sujet, dans quelque idiome qu'elle soit formulée. "Laisse-moi m'épuiser, ô Seigneur, en chantant tes louanges!"
N'est-ce pas là "le travail divin" dont on a parlé?"

Henry Miller, "Ils étaient vivants et ils m'ont parlé"

4 commentaires:

  1. Georges Steiner a consacré un superbe livre à la lecture et au lecteur, "Passions impunies". Il illustre au début le caractère sacré de la lecture par une description minutieuse d'un tableau de Chardin, "Un philosophe occupé à sa lecture".

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  2. Bonjour,

    Que se passe t il avec ILYS ? ilikeyourstyle.net renvoi sur une page de lien publicitaire ...

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  3. Bonjour,

    Un de ceux d'Ilys me dit : "dis lui qu'on a tout vendu pour se payer des putes et de la coke"

    Je traduis donc : "il semblerait qu'ils n'aient pas renouvelé un contrat sur le net"
    ou bien :
    "Il semblerait qu'ils veuillent renouveler un peu leur lectorat, en particulier féminin"

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