jeudi 4 avril 2013

"Le lait peut être renversé par Perette"



Ce commentaire de Nicolas pris sur Ilys sous le texte "Question de priorités" par Hank


Nicolas
C’est amusant que vous illustriez ça par des ruines. En 1979, Yves Stourdzé écrit un petit livre vertigineux, incompréhensible et capital, qu’il intitule Les Ruines du futur. C’est pour ça que la gauche, ou peu importe comment on veut appeler cela, ne peut pas gagner : nous vivons dans les ruines du futur qu’elle a rêvé. Et nous vivrons demain dans les ruines du futur qu’elle rêve aujourd’hui. Ca foire toujours, et de plus en plus. Il faudrait citer des passage entiers, je n’ai pas le courage,mais je prend quand même le petit et long volume de Sens & Tonka, vert fluo et violet sur une étagère pas très loin, entre les vieux classici Oscar Mondadori de Dante et un volume démembré de Kiel et Tanger.
Les premières lignes du premier chapitre : « En finirons-nous avec les notions de régulation et d’harmonie. Ecrabouiller le visage souriant d’un petit chaperon rouge sans problèmes. Achever ces condensés d’équilibre béat qui recouvrent le champ de l’économie : le lait peut être renversé par Perrette. »
Or la gauche, c’est justement l’idée que le lait ne doit ni ne peut être renversé par Perrette. De Fichte à Marx et jusqu’à la dégénérescence du socialisme français, y compris sa version de droite qu’illustre le FN, l’idée c’est qu’il faut faire en sorte que Perrette ne renverse rien, qu’on doit pouvoir calculer, réglementer, faire de l’économétrie ou mettre des droits de douane pour que Perrette ne renverse pas le lait. Mais c’est peine perdue : elle peut toujours le renverser. Et de plus en plus à mesure de leurs efforts, puisque ces efforts tendent à une abstraction toujours plus grande, à une virtualisation de tout via l’information et l’informatique qui envahissent tout à proportion de leur volonté de contrôle multipliée. Or ça leur échappe à la fois par le bas, par le réel, et par le haut, par la plasticité de l’information généralisée qui devient un outil pour tous, et plus seulement pour eux.
Dans le même temps qu’il fait son tableau pour tout rationaliser, Fichte doit fermer son Etat. Mais les frontières restent poreuses, quoi qu’il en dise sur son papier. L’argent omnivalent qui semblait tant faciliter son décompte échappe, se cache, se transforme. Son tableau lui-même, celui qui doit décrire tous les mouvements économiques pour permettre de les contrôler et de les organiser dans le délire harmoniste et régulateur, devient un facteur dont la complexité même permet de tricher avec lui. Les gens planquent leur or et apprennent à tricher avec les colonnes de chiffres.
On les attend pour les traiter de fachos et les mettre dans la colonne correspondante de la partie du tableau qui gère la politique, et ils arrivent avec des ballons bleus et roses au lieu des croix gammées. On veut les traiter de cathos, mais il reste si peu de cathos, et si peu convaincus, que ça ne fait plus peur à assez de monde pour que ce soit efficace.
Ils tiennent à leur ruine ? à leur rêve ruiné ? qu’ils le gardent. On leur laisse. A nous les marges de ces ruines qui sont entre temps devenues textuelles, les endroits abandonnés où ces ruines redeviennent matériau pour des processus de digestion, de métamorphose, pour des micro-avalanches qui sapent un peu les fondements de leurs belles ruines, selon l’image qu’on veut employer. En sachant que la nostalgie des temps merveilleux où c’était grand édifice contre grand édifice est menteuse ; ça a toujours été des combats dans les ruines, avec une nostalgie des palais qui était logique, rêvée, reconstruite après coup, pas chronologique ni historiquement – empiriquement – vraie.
Après vous faites ce que vous voulez, mais appuyer son fusil sur une pierre pour viser la ruine d’en face, c’est amusant. Les ruines sont à eux. Toujours. Par définition. Et nous cherchons à les prendre pan de mur par pan de mur, certains en proie à une nostalgie trompeuse de ce qu’ils appelleront civilisation ou je ne sais quoi qui n’était pas des ruines avant, voilà plus ou moins longtemps ; d’autre moins sensibles à cette nostalgie pour ce qu’ils croient n’avoir jamais existé, ou du moins pas comme la nostalgie des ruines le leur présente ; d’autres enfin qui rêvent de bâtir sur les ruines qu’ils prendront – en général ceux-là finiront par faire eux-mêmes des constructeurs de ruines assez passables.

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