mercredi 26 septembre 2012

"Tais-toi, je t'en prie"






Les week end ressemblent à ces tempêtes automnales qui débutent en ce moment : coups de vent furieux, ciel bas et lourd, atmosphère électrique et chargée, bref, deux jours intenses pourrait-on dire laconiquement.
Généralement tous les enfants se retrouvent, petits et grands, contrairement à l'année dernière où mes étudiants ne revenaient pas forcément chaque fin de semaine  et où je n'avais pas le retour non plus de deux pensionnaires. Je me retrouve avec quatre valises bourrées de linges à nettoyer et ranger, ceci en un temps limité; il faut aussi faire de bons repas roboratifs pour des étudiants qui ont mangé des cacahuètes toute la semaine (tu te rends pas compte m'man, cuire des pâtes au micro-ondes ça marche pas?!) et remplir évidemment pleins de paperasseries administratives ou bulletins de notes de signatures hâtives et colériques...
Pour couronner le tout, dimanche soir j'étais de "tour" de covoiturage pour ramener les enfants en pension, à deux heures de route environ. La bétaillère étant malade depuis un mois, le garagiste me prête une Citroën C4 flambant neuve avec radio-cd, je suis enchantée et remets immédiatement quelques vieux disques qui traînent à la maison (les meilleurs sont restés dans la bétaillère mais bon).

La bande d'ados dans la voiture écoute avec circonspection et plaisir malgré tout, me semble t-il, Supertramp et Marc Knopfler, "Golden Heart". Arrivés dans la campagne autour de l'internat, dernière demi-heure de route un orage éclate, des trombes de flotte je dois m'arrêter plusieurs fois sur la route, qui disparaît. Je suis très nerveuse mais le sang froid d'un des garçons à mes côtés me rend un peu de sérénité et je peux continuer ma route jusqu'au bout.

Je repars seule et me perds dès la sortie de la ville, pour reprendre l'autoroute puis me perds à nouveau en ratant cette fois la sortie en direction de mes pénates; je me retrouve en pleine pampa, il est 11h du soir j'en ai plein les bottes, je suis fatiguée et les éclairs de chaleur ne cessent de se succéder aux épisodes orageux violents. Le spectacle est apocalyptique et j'en veux au Bon Dieu de cette épreuve supplémentaire, en fin de week end, à un moment où je suis vraiment au bout du rouleau, je pense au combat de Jacob avec l'Ange et je me dis qu'en fait de combat je suis plutôt comme le petit Jonas balloté sur son navire au milieu des flots déchaînés et qui finira bouffé par une grosse baleine; je me dis que c'est cela ma vie, tenir debout face aux vents contraires de l'ignorance crasse d'une société imbécile, de la mauvaise foi permanente de ceux qui nous gouvernent et s'occupent de nos enfants, tenir contre soi-même, ses paresses, ses hystéries, ses angoisses, ses manquements. Une énorme baleine* qui vous lamine en permanence, qui vous passe dessus sans aucun égard pour votre état, votre volonté de vous en sortir et d'en sortir ceux que vous aimez...Un ami à qui je lâchais une phrase de découragement me répondait que finalement il n'y avait que cela à faire : tenir, témoigner, dans tout ce que l'on est et fait, de la vérité, toujours, pour tout. C'est tout ce qui nous est demandé, c'est pas grand chose en soi et pourtant c'est tout. Je me souviens avoir reçu ce mail comme "une terre altérée" reçoit son eau!  Sans doute cet ami ne savait-il pas que par ces simples mots, pris dans une conversation virtuelle anodine (mais les conversations sont-elles vraiment anodines??), il me remontait le moral comme on remonte sa boîte à musique, d'un simple coup de pouce et torsion du poignet...

Je finis par reconnaître un nom de ville, et je fonce dans la direction proposée, espérant récupérer ma route.La musique me tient éveillée, la voiture roule bien, son volant plus petit et plus fin que celui de la grosse bétaillère convient bien à mes petites mains nerveuses. Comme d'habitude, j'y arriverai. Mais j'en veux quand même au Bon Dieu, je Lui en veux d'avoir permis de m'être perdue d'avoir tourné en rond pendant quelques heures, je Lui en veux de me perdre souvent dans ma vie et de tourner en rond, je Lui en veux ce soir parce que j'ai perdu un livre à peine commencé, le "Tais-toi je t'en prie" de Raymond Carver.

Recueil de nouvelles plus minimalistes les unes que les autres, celle-ci en particulier dont je vous livre le résumé en style télégraphique, déjà envoyé ce matin à l'aube à un compère qui écrit,  pour vous donner le ton (mais il y en a de si différentes!), intitulée "La peau des personnages":  C'est l'histoire d'un type qui écrit, il va dîner avec sa femme chez des voisins qu'ils ne connaissent, là le voisin lui raconte des histoires qui lui sont arrivées en lui disant "c'est de la matière pour vos futurs bouquins", l'écrivain ne dit rien, il en a marre de ce dîner, il veut rentrer mais reste parce que ça fait plaisir à sa femme et puis à un moment ça dégénère, les voisins qui reçoivent commencent à critiquer l'écrivain et sa femme (une sombre histoire de location de maison) et ils pètent un câble devant eux. Et là l'écrivain qui ne dit toujours rien se marre, ils finissent par rentrer chez eux et la dernière phrase de Carver : "Myers fixait la chaussée devant lui en silence. Il arrivait aux dernières lignes d'une nouvelle."
Ce qui est frappant chez Carver c'est l'attachement à des saynètes de la vie quotidienne (un dîner chez des voisins, une partie de pêche racontée par un gamin, le travail d'une serveuse qui sert un obèse etc.) avec toujours des fins qui n'en sont pas, des fins en queue de poisson. Comme si l'auteur se posait une infinité de questions, au travers de ses personnages et d'épisodes anodins, et qu'il n'avait pas les réponses ou bien qu'il n'osait pas se les avouer, les réponses. Humain, trop humain, Carver,  donc à lire impérativement.

Il correspondait bien à mon état d'esprit de ce week end, Carver,  à mon week end où il ne se passait rien de particulier, en fait, et où après tout plein d'agitations de toutes sortes, activités basiques que j'ai effectuées sans trop gamberger si ce n'est dans ma voiture et sans réponses évidemment, parce qu'il n'y a jamais de réponses, que des actes, parce qu'il faut à un moment donné se taire et prier, parce qu'après moult détours à la con, j'ai fini par arriver chez moi.







*Je m’engage, seule, dans un petit chemin,

Le vent souffle dans les arbres immenses.

Mille bruits, diffus, éclatants, me dérangent.

Je marche doucement vers un lieu incertain ;

Puis, de plus en plus vite, mon pied avance :

J’ai vu une lumière, me semble t-il, au loin .


Clarté rassurante, clairière paisible,

La fleur est odorante et le papillon voltige.

Je me suis endormie dans une chaleur rassurante

J’ai fermé les yeux sur une lueur aveuglante.

La forêt fraîche et sombre m’a happée de nouveau

Dans ma nuit, enfoncée, dans le gouffre, le saut.


Relevée lentement, la poussière retombe

Doucement.

Où suis je ?


L’arène est lumineuse, le sable brûlant sous mes pas ;

Dans la lumière incandescente, au milieu des vivats

J’ai mon glaive bien en main, rien ne m’atteindra.

La bête est énorme, luisante et noire, l’œil fou.

Je n’ai pas peur, non, je suis déjà morte, c’est tout.

L’ombre immense se lève, oh fraîcheur bienfaisante !

Le soleil tournoie, je suis piétinée, broyée, pantelante.


Je respire et je vis, paupières obstinément baissées ;

Voir sans regarder, savoir sans lire, pas de réalité.

Je me suis ensevelie dans le gouffre – tombeau

Je pensais vivre ainsi cachée au milieu du troupeau.

Mais le monstre m’a trouvée, mon propre cerveau

Il m’a tuée pour de bon , réveillée à nouveau.


Relevée lentement,

Je suis

En enfer

Maintenant


Ballet immémorial, défi transcendantal

Ne pas s’endormir, rester éveillé,

Chercher la vérité, trouver la réalité

Je suis A, petite fille de la forêt,

Je suis A, petite fille du soleil,

Je suis A, entre terre et ciel. 






9 commentaires:

  1. Bien sûr qu'on peut faire des nouilles au micro-ondes.

    - Prendre un Pyrex profond avec couvercle.

    - Mettre les nouilles.

    - Verser un peu d'huile et remuer (pour qu'elles n'attachent pas).

    - Faire bouillir de l'eau dans une bouilloire électrique.

    - La verser dans le Pyrex.

    - Fermer le couvercle.

    - Mettre dans le micro-ondes une dizaine de minutes à pleine puissance.

    Voilà, c'est tout. Pour être complet, c'est mieux si le micro-ondes est un peu plus grand que la taille standard : ça permet d'avoir un récipient plus haut, l'eau a plus de place pour monter.

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    1. Merci Marchenoir! Mais à dire vrai, je crois que l'idée de mes étudiants c'était de balancer une poignée de nouilles dans le MO et d'attendre de voir...(bon j'exagère un peu mais ça devait pas être loin de la réalité!^^)

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  2. Jordan Carver est aussi écrivain ?
    C'est vraiment la femme parfaite .

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    1. Elle est pas minimaliste dans son physique, la Jordan...

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    2. L'esprit est comme un ordinateur . Les femmes n'ont pas suffisement de mémoire interne , n'ont pas de processeur assez puissant , elles ont besoin d'un disque dur externe pour compenser . Les voici .
      J'insiste , il faut une forte poitrine pour contenir une belle âme et un grand coeur .

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  3. Et finalement, Crevette, vous êtes rentrés chez vous à bon port.
    Quelle est la marque de votre bétaillère ?

    Obéron

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    1. Oui bien sûr que je suis bien rentrée...
      La bétaillère est une Citroën Jumpy, neuf places.
      C'est une excellente voiture, ça reste une voiture et pas une camionnette et j'aime cela, je l'avoue.
      Mais là il faudrait que je rende rapidement la C4 parce que je m'amuse trop avec!^^

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  4. Je remets un commentaire enlevé :

    oui oui "tenir, témoigner", impeccables en nos voies, pas à la manière des païens (surtout pas!), très volontaires en premières ligne pour "s'user de son mieux" pour la bonne cause et essuyer le coin des lèvres des gens qui te crachent dessus. Faut aimer ses ennemis, faut pas chercher le repos, faut se battre mais tout intérieurement en laissant bien les salopards prendre le contrôle de la société pour te martyriser (le martyr l'aubaine: ça prouve que c'est toi qu'à raison) et bien crever droit comme un I (impeccables en nos voies) bien agoni de TFL (true forced lonelyness) de déclassement et de ragots.

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    1. J'ai regardé une émission passionnante sur Ayrton Senna récemment. J'essaierai d'en parler plus tard... Senna en 1989 est le grand rival de Prost. Au grand prix du Japon, Prost va lui faire un coup de traître et percuter sa voiture. Si Senna ne gagnait pas cette course, il était ipso facto perdant du titre de champion du monde. Senna repart malgré une bagnole déglinguée; il repart en passant par une chicane. Il remonte tous les pilotes et gagne de façon inouïe ce grand prix. Mais Prost va contester auprès du jury la façon dont Senna s'est remis dans la course et il sera appuyé par Balestre, président français de la FIA et favorable à Prost... Senna sera privé de sa victoire et de son titre de champion du monde de façon absolument injuste. Traîtrise de Prost, traîtrise des jurés... "J'ai été traité comme un criminel" dit Senna qui a failli arrêter à ce moment-là la formule 1 tellement il était écœuré.

      Pourquoi cet exemple? Parce que voilà un homme, un pilote de talent qui va être trahi, écrasé de façon absolument dégueulasse et lâché par tous ses pairs et traîné dans la boue et privé de Justice. Un peu comme ce que tu peux ressentir toi.

      Mais alors qu'il est au fond du trou, Ron Dennis, directeur de Mc Laren (écurie de Senna) va lui dire cette phrase que l'on devrait tous apprendre par coeur tellement elle est belle et juste dans sa simplicité:

      "Lorsqu'on croit que ses valeurs sont justes* alors, se défiler devant les forces obscures qu'on rencontre dans la vie n'est pas une option viable."

      Ça n'est pas être un "martyr" pour être martyr que de "tenir", ça n'est pas de l'arrogance ou de la bêtise, c'est se comporter en homme, tout simplement.Ce que tu es!



      *("correct values" dit-il en anglais avec cet accent si particulier et si fort sur le Co-rrect!)

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