dimanche 15 janvier 2012

Fanatisme sans certitude.- extraits 3

"Le phénomène contemporain de réapparition des mythes est clairement perceptible chez les penseurs ou philosophes qui suscitent ou constatent, pour des raisons diverses, la disparition des vérités quelles qu'elles soient.
(...)
Il est courant de voir la notion de vérité récusée volontairement pour mieux faire place à la morale. Pour les tenants du "pragmatisme", par exemple, le fanatisme des vérités a causé tant de mal dans le passé proche et lointain, que leur disparition seule garantira le relèvement de la morale. Nos certitudes nous ont fait oublier les hommes qui grelottaient derrière elles. Autrement dit, plus nous biffons les fondements, plus les vertus retrouveront la possibilité de se déployer. Lorsque Vattimo défend la charité ou l'amitié, il s'agit pour lui de répondre à cette situation terrible où la vérité était capable de passer devant la charité ou l'amitié : le terrorisme de la vérité, celle-ci devenue démesure. Si la charité et l'amitié doivent fleurir, il faut que la vérité abandonne ses prétentions et disparaisse comme telle.
On le voit, ces pourfendeurs de vérité ne sont pas pour autant relativistes.
(...)
Lorsque Habermas affirme l'importance primordiale des droits de l'homme, il ne leur confère pas un fondement rationnel ni, évidemment, transcendant.(...) Ainsi Habermas se saisit des principes antérieurs, les débarrasse de leur fondement métaphysique ou religieux, les récupère (en les triant), et les affirme catégoriquement sur la base des "intuitions". Leur valeur repose désormais sur le fait qu'elles sont acceptées de façon consensuelle par un groupe social, parce qu'elles constituent le mode de vie de ce groupe : elles ne sont pas "vraies" mais elles doivent être "valides".
(...)
A cet égard la pensée postmétaphysique, dotée d'une morale flottante, conserve peu ou prou les formes fanatiques de l'ancienne pensée, sans en avancer pour autant les atouts de certitude. Elle livre de ce fait une incohérence. Une pensée assise sur des mythes ne saurait devenir fanatique, puisqu'elle n'a aucune certitude (et c'est d'ailleurs pour se libérer du fanatisme que l'on récuse ici la certitude). Il est contradictoire de réinstaurer une intolérance sous forme de mise au ban de ceux qui ont encore des certitudes... Le comportement des anciens porteurs de vérités demeure, lors même que les vérités ont été biffées. L'ancien mode d'affirmation est utilisé comme si cette valeur était encore fondée : se croyant légitime de l'affirmer avec autant de vigueur qu'autrefois. Habermas juge normal que soient exclus ceux qui n'acceptent pas la tolérance universelle de toutes les formes de vie. Par ailleurs il n'accepte pas la réfutation de l'idéal d'égalité, ou de la social-démocratie. Il a des ennemis intellectuels, des gens dont il considère que la pensée ne doit pas être prise en compte. Autrement dit, il affirme que tous les projets de vie doivent être considérés comme équivalents, mais en exceptant ceux qui récusent cette équivalence. Autrement dit, acceptation de tous, sauf de ceux qui ne pensent pas comme nous. Ceux qui n'acceptent pas l'égalité de toutes les formes de vie sont appelés "fondamentalistes", et n'ont pas droit de cité."

(Chantal Delsol, "L'âge du renoncement")

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire