mardi 6 décembre 2011

Le sel de la terre

Extraits du livre d'entretiens avec le Cardinal Ratzinger (devenu Benoît XVI depuis), Le sel de la terre.
Ces extraits peuvent être mis en lien avec la lecture du texte de Lounès sur Ilys  "Face à la racaille", notamment ces réflexions :

"Cela fait un peu « illuminé » de se lancer dans ce qui va suivre mais je crois que si la posture volontariste est impuissante c’est parce-que les racailles sont mus par une sorte de foi, une foi intuitive et instinctive. Ils « sentent » qu’un fossé va peut-être s’ouvrir dans l’avenir et ils ne seraient pas opposés à l’idée de le remplir avec nos cadavres. C’est sans doute une question de foi cette histoire-là. (...)On a cru qu’il n’y aurait aucune conséquence à l’abandon de la vraie foi or ces conséquences sont toutes écrites dans le Deutéronome au chapitre 28 verset 15 et franchement qui peut nier que ce n’est pas exactement cela qui s’accomplit ? Un initié m’a dit que dans la Bible, lorsque Dieu veut châtier son peuple infidèle il sélectionne un autre peuple, impie celui-là, et le lance à l’assaut du premier pour que les hommes des deux camps s’entretuent. C’est au moins une donnée à prendre en compte.Dans ce film incroyablement précurseur sorti en 1998 et intitulé « Couvre-feu », on voyait un terroriste islamiste jouer le « gentil » tout le long du film, et se revêtir d’une ceinture d’explosifs à la fin et dire ceci : « Certains pensent que l’argent c’est le pouvoir, ils ont tort. C’est la foi le pouvoir »"
                                 
                                 Le sel de la terre, extraits : 


A propos de la mission de l'Eglise dans le monde, le cardinal anglais Newman disait un jour : "C'est seulement parce que nous sommes là, nous les chrétiens, parce qu'il y a ce réseau de communautés répandu par l'oecuménisme, que sera enrayé le déclin du monde. L'existence du monde est relié à celle de l'Eglise. Si l'Eglise tombe malade, le monde gémira sur lui-même."

On peut sans doute trouver ces mots très énergiques, mais je dirai que l'histoire des grandes dictatures athées de notre siècle, le national-socialisme et le communisme, montre que la chute de l'Eglise, le déclin et l'absence de la foi comme force marquante précipitent vraiment le monde dans des abîmes. Et le paganisme préchrétien avait encore une certaine forme d'innocence, le lien avec les dieux créait aussi des valeurs fondamentales qui assignaient des limites au mal; mais si les forces opposées au mal tombaient aujourd'hui, l'effondrement serait effectivement monstrueux.
Nous pouvons dire avec une certitude empiriquement fondée que, si la puissance morale que représente la foi chrétienne était soudain arrachée de l'humanité, alors l'humanité tituberait comme un bateau déchiré par un iceberg et sa survie serait en très grand danger.

                                                                      
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Une partie des nouvelles questions qui se posent à l'Eglise, des dangers qu'elle court, se dessine déjà nettement. Nous avons déjà dit qu'on lui reprochait son fondamentalisme; l'Eglise, dit-on, s'opposerait en réalité à la société démocratique, elle entraverait la liberté d'opinion et de croyance et travaillerait à édifier un Etat de Dieu. Même en dehors de ce reproche, la substance intérieure de la foi biblique est de plus en plus minée. La mort sur la croix, l'Ascension et le message de la rédemption sont fondamentalement mis en doute. Les disciples n'auraient eu en fait que des visions, même le sermon sur la montagne n'aurait pas été prononcé. Et l'idée que l'Eglise devrait s'abolir elle-même en faveur d'une religiosité postchrétienne trouve de plus en plus de partisans.

A cela s'oppose la force de foi des croyants, qui par millions trouvent aujourd'hui encore dans la foi de l'Eglise le chemin qui leur permet de devenir vraiment un être humain. Durant les grandes dictatures de notre siècle, la foi chrétienne a été maintes fois déclarée morte; seuls les incorrigibles et les inamendables restaient avec elle, disait-on. Après la chute de ces potentats, nous voyons que les croyants mis au ban de la société ont été les véritables témoins de l'humanité, et qu'ils ont libéré la voie de la reconstruction. La foi chrétienne a beaucoup plus d'avenir que ces idéologies qui l'invitent à se supprimer elle-même.


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La tradition de la foi a-t-elle aussi besoin d'un nouveau ton, d'un nouvel accent?


Je pense que oui; car si tant de fatigue accable les chrétiens, du moins en Europe, c'est bien le signe qu'un nouveau ton est nécessaire. J'ai lu l'histoire d'un prêtre orthodoxe qui disait : "J'ai fait tant d'efforts, et pourtant les gens ne m'écoutent pas, ils s'endorment ou ils ne viennent pas du tout. Sans doute n'avait-il pas la bonne manière de parler. C'est une expérience typique, d'autres la font aussi. L'important, c'est que le prédicateur ait lui-même une relation intérieure avec l'Ecriture Sainte, avec le Christ, à partir de la parole vivante, et qu'en homme du temps où il vit et qui est le sien, d'où il ne s'enfuit pas, il élabore intérieurement sa foi. Et ensuite, s'il peut vraiment parler personnellement, profondément, alors le ton nouveau  vient tout seul.


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Il y a des années, vous avez exprimé l'espoir que se dessine quelque chose comme "l'heure de la Pentecôte dans l'Eglise". Il y a, disiez-vous, des groupes de jeunes gens qui adhèrent avec une résolution ouvertement déclarée à la foi tout entière de l'Eglise, la "catholicité pleine et indivisée". A-t-on besoin de nouveaux chrétiens plus courageux, plus fiers? Vous avez affirmé un jour que l'Eglise n'avait pas besoin aujourd'hui de nouveaux réformateurs, mais plutôt de nouveaux saints, venus d'eux-mêmes, poussés par la vitalité intérieure de la foi et redécouvrant ainsi la richesse de la foi et son inaliénabilité.

Pour en rester d'abord aux mots "réformateurs" et "saints" : chaque saint est un réformateur, en ce sens qu'il anime de nouveau l'Eglise et aussi la purifie. Mais par le mot de "réformateurs", on entend plus fréquemment des gens qui décident de mesures structurelles et se meuvent pour ainsi dire dans le domaine des structures. Et de ceux-là, je dirais que nous n'en avons pas réellement un besoin aussi urgent pour l'instant. Ce dont nous avons réellement besoin, ce sont de gens qui sont intérieurement habités par le christianisme, le vivent comme un bonheur et un espoir et sont ainsi devenus des âmes aimantes. C'est cela que nous appelons des saints.
Les vrais réformateurs de l'Eglise, grâce auxquels elle est redevenue plus simple et a ouvert ainsi de nouveaux accès à la foi, ont toujours été les saints. Pensons seulement que saint Benoît, à la fin de l'Antiquité, crée la forme de vie qui permet au christianisme de se répandre avec la migration des peuples. Ou pensez à François et Dominique - dans une Eglise féodale, en train de se pétrifier, éclate le tout nouvel essor d'un mouvement évangélique qui vit la pauvreté de l'Evangile, sa simplicité, sa joie, et déclenche ensuite un vrai mouvement de masse. Ou bien rappelons-nous le XVIe siècle. Le Concile de Trente était important, mais s'il a pu s'imposer comme une Réforme catholique, c'est qu'il y a eu des saints comme Thérèse d'Avila, Jean de la Croix, Ignace de Loyola, Charles Borromée et beaucoup d'autres. Frappés intérieurement par la foi, ils l'ont vécue à leur manière à eux, c'est leur exemple qui a ensuite permis les réformes, celles qui étaient nécessaires et salutaires. Voilà pourquoi je dirais que les réformes, aujourd'hui, ne viendront certainement pas des forums ou synodes, qui ont aussi leur raison d'être et parfois leurs nécessités. Les réformes viendront de personnalités convaincantes, que nous pourrons appeler des saints.

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